Encore et toujours contre le passe sanitaire
Depuis les annonces du 12 juillet de Macron, un débat profond secoue le pays, avec des excès de part et d’autre. Aujourd’hui, comme il y a une semaine, des Français défilent contre le passe sanitaire, et ils ont à nouveau tout mon soutien, tant la potion de l’exécutif est un Absurdistan autoritaire. Après un entretien de Jacques Sapir avec Front Populaire, je souhaite réexpliquer ma position.
L’offensive des partisans du passe
C’était probablement un objectif de l’exécutif : provoquer un durcissement du débat public pour que, dans un tel affrontement, le chef de l’Etat apparaisse comme le chef d’une ligne dure, potentiellement majoritaire, avec une vaccination obligatoire, ou largement contrainte par la mise en place d’un passe sanitaire. Le procédé repose sur une histoire assez facile à vendre : faire porter la contrainte sur ceux qui refusent de se vacciner et qui ne participeraient pas à l’effort de la majorité, une « frange capricieuse et défaitiste, très minoritaire », pour reprendre les mots de Gabriel Attal. Ils fermeraient les yeux sur tout ce que la vaccination nous a apporté, paradoxe prétendument effarant au pays de Pasteur. Ce faisant, grandit une ambiance de guerre civile entre partisans et opposants aux mesures du gouvernement.
Jacques Sapir, que l’on ne peut pas soupçonner de la moindre complaisance à l’égard de l’exécutif, a raison de souligner que même quand la pire personne dit une vérité, ou fait quelque chose de bien, il est légitime de le reconnaître. Même si je m’oppose presque toujours à la politique de la majorité, j’ai reconnu quelques rares choix pertinents à mes yeux : l’arrêt du projet Europa City, l’opposition au rachat de Carrefour, ou le chômage partiel mis en place pendant la pandémie. Bien sûr, on peut avoir un a priori négatif venant de Macron, et, de même que Sapir le rappelle, y voir des intentions guère reluisantes. Mais si on juge en son âme et conscience que le choix fait sert l’intérêt général, alors, mieux vaut le reconnaître. Et c’est le cas de Jacques Sapir, qui estime que le tour de vis du 12 juillet va sauver des vies.
Son argumentation est celle d’un scientifique, extrêmement rationnelle, très largement documentée. Il rappelle ainsi de manière très précise les dangers de ce virus, ainsi que l’efficacité de la vaccination : même si elle ne l’est pas à 100%, elle est probablement la solution la plus efficace pour réduire fortement le bilan humain de cette pandémie. Et ceci le pousse non seulement à soutenir le passe sanitaire, comme moyen de contraindre à la vaccination, et même une obligation. Il motive son opinion par une question d’équilibre entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel et voient dans certains opposants aux mesures actuelles « d’obscènes défenseurs d’un égoïsme décomplexé ». Jacques Sapir regrette le « fantastique recul de l’esprit scientifique depuis trente ou quarante ans » et voit dans l’opposition un phénomène marginal par rapport à « une grande majorité de gens qui se sont faits et qui se feront vacciner ».
Un problème légitime de confiance
Si je suis toujours favorable à la vaccination, en revanche, je ne suis pas d’accord avec le jugement de Sapir sur les opposants au passe sanitaire ou même à la vaccination. Même si je comprends les raisons de son jugement, son esprit très scientifique qui juge, sans doute à raison, que nous avons une démonstration claire de l’efficacité des vaccins, et son souci de préserver au mieux l’intérêt collectif, je pense qu’il a une interprétation beaucoup trop dure, et incomplète, des motivations des opposants au passe, et même, au vaccin. Bien sûr, quand Macron dit ou fait quelque chose de sensé, il faut être capable de le reconnaître, mais il y a quand même un gros problème d’émetteur pour toutes ces nouvelles contraintes. Le 12 juillet encore, Macron, qui maitrisait pourtant sa communication, a annoncé des mesures totalement impraticables et il a contredit ce qu’il défendait pas plus tard que trois mois avant.
Les contraintes que peuvent être mises la vie en société, même pour notre bien, doivent reposer sur une confiance à l’égard de ceux qui nous dirigent. Dans une démocratie, il me semble normal que les nouveaux interdits ou les nouvelles obligations puissent être discutées. Même si je peux comprendre que la rationnalité scientifique et l’examen des pourcentages, que j’ai mené également, fasse accepter la vaccination, deux raisons font qu’il faut écouter les opposants. D’abord, même si l’examen purement rationnel peut sembler trancher les questions, il ne faut pas oublier qu’aussi rares soient-ils, les effets secondaires existent, dont quelques uns qui pourraient être graves. En outre, même si l’expérience nous montre aujourd’hui qu’ils sont très sûrs, il ne faut pas oublier que ces vaccins ont été mis au point en très peu de temps, Macron soulignant en décembre dernier qu’on « ne connaît pas tout sur le vaccin ».
Est-il si illégitime que des personnes ne veuillent pas prendre ce risque, aussi infime soit-il, le tout pour une efficacité dont on sait qu’elle n’est pas à 100%. Bien sûr, la comparaison des pourcentages peut clôre le débat pour beaucoup, mais le rapport à la santé n’est pas le même pour tous, et il faut écouter ceux qui rechignent, en cherchant à les comprendre, plutôt que leur marteler des chiffres, tout en insultant leur rationnalité, ce qui me semble bien peu efficace pour les convaincre. Il faut quand même rappeler que notre époque a été traversée par de nombreux scandales sanitaires, ou alimentaires, et beaucoup de mensonges de nos dirigeants, qui ont largement affaibli la confiance des citoyens envers ceux qui nous dirigent. C’est cet élément de contexte majeur qui me semble manquer au jugement des partisans du passe ou de l’obligation vaccinale. Même le refus de se vacciner ne se nourrit pas uniquement de théories farfelues, il est aussi plus largement le produit de notre société et l’ignorer nourrit un dialogue de sourds.
Un raisonnement froid et analytique peut aisément conduire à se vacciner. Mais notre société traine un lourd passif, rappelé fréquemment dans les médias, d’autorisation, et même de promotion, de produits dangereux dont l’interdiction a tardé. Bien sûr, je ne pense pas que ce soit le cas ici, mais se comporter comme si on l’ignorait ne sert pas la cause que l’on veut servir. La défiance des citoyens à l’égard de ce que produit la science n’est malheureusement pas totalement illégitime, même si ce que produit la science est très largement positif. Les complotistes et antivax ne viennent pas de nulle part. C’est notre société qui les a enfantés, et on ne peut pas dire que la grande légereté de la macronie, qui a tant menti, qui s’est tant renié, le tout, avec une forme profondément détestable, entre arrogance et assurance mal placée, aide à convaincre tous ceux qui peuvent avoir un doute. Notre société n’incite malheureusement pas à la confiance à l’égard de ceux qui nous dirigent, et oublier ce point me semble une erreur assez fondamentale.
Même si nous ne savons pas tout, je pense aujourd’hui que se vacciner est la meilleure décision, pour soi, et pour ceux dont on est proche. Cela réduit considérablement le risque de faire des formes graves, comme le montre bien le cas britannique où l’envolée des cas n’a pas du tout provoqué une envolée proportionnelle des hospitalisations et des décès. Et les risques sont extrêmement faibles par rapport à ce qu’apporte un vaccin, individuellement, même pour les populations plus jeunes. Qui plus est, cela réduit très fortement la circulation du virus, et fait que l’intérêt collectif rejoint l’intérêt individuel ici. Seul bémol, pour les femmes enceintes, il est nécessaire d’avoir toutes les assurances qu’il faut etant donnée l’attention que nécessite cette phase de la vie, point sur lequel il est difficile de faire totalement confiance à Véran.
Un problème légitime d’autoritarisme
Bien sûr, les partisans du passe sanitaire ou de l’obligation vaccinale peuvent pointer les 13 vaccins désormais obligatoires pour l’accès à l’accueil des jeunes enfants. Mais ils devraient aussi reconnaître que bien des maladies visées sont largement plus dangereuses que le coronavirus, et que ces obligations viennent après une période d’étude incomparablement plus longue. Et plus globalement, je ne suis pas sûr qu’avoir recours aux interdits ou aux obligations soient la meilleure voie à suivre dans un contexte de défiance d’une minorité de la population. De manière intéressante, la France cumule à la fois la gestion la plus autoritaire des pays ouest-européens de la crise sanitaire, et un des taux les plus faibles de vaccination. Et si l’autoritarisme de l’exécutif, loin d’être la solution à nos problèmes, comme le nombre de prises de rendez-vous après l’allocution du 12 juillet pourrait sembler l’indiquer, faisait partie du problème ?
L’Allemagne a un taux de vaccination plus fort que la France, sans contrainte, sans passe, et par une démarche consistant à convaindre. Bien sûr, toutes les contraintes mises en place vont pousser des Français à se vacciner, ou à avancer leur vaccination, par commodité, mais s’agit-il vraiment de ceux qui étaient les moins partants pour la vaccination ? J’en doute. L’autoritarisme de l’exécutif pourrait au contraire radicaliser une frange non négligeable de la population dans son opposition à la vaccination. Certains pourraient penser qu’après tout, ce n’est pas grave, et que ce seront eux les perdants, mais tout ceci pose une question légitime sur la maniement des interdits et des obligations en démocratie. Naturellement, je ne suis pas un libertarien qui les refuse par principe, l’intérêt général me semblant, en effet, une raison pour les mettre parfois en place, mais le degré d’autoritarisme de la France par rapport aux autres pays européens m’interroge de plus en plus, sans pour autant que notre bilan sanitaire soit vraiment meilleur.
Il n’est pas besoin d’être libertaire pour être effaré devant le monstre bureaucratique autoritaire qu’a enfanté Macron pour cette crise, et dont le passe n’est malheureusement que le dernier épisode. En août, des serveurs qui n’ont pas de passe pourront le demander à leurs clients ! Des policiers qui ne l’auront pas pourront sanctionner durement des personnes qui seront dans la même situation qu’eux ! Les lieux de culte en seront exonérés, alors qu’un des premiers foyers en France était un rassemblement religieux ! Il sera demandé pour les trains, mais pas le métro ! Et que dire de son obligation pour des terrasses extérieures, alors que les députés ont choisi de s’en exonérer ! Les règles qu’édicte la macronie me semblent beaucoup trop folles pour être soutenues, même au nom de l’intérêt général. La crise sanitaire me semble ouvrir la voie à une gestion volontiers tyranniqus, avec des règles plus absurdes les unes que les autres, et un dégré d’arbitraire révoltant, Macon n’ayant pas laissé le temps à beaucoup de Français pour se conformer aux règles. Cette indifférence complète aux conséquences de ses décisions me semble unique dans l’europe occidentale, les autres pays laissant généralement un délai suffisant à leurs citoyens s’adapter. Et que dire des sanctions extaordinairement dures fixées dans la loi, alors que l’actualité charrie son lot de coupables de faits bien plus graves, pour lesquels nos lois sont bien souvent trop indulgentes… Il y a un côté tyrannique chez Macron qui justifie à lui seul, pour moi, l’opposition au passe.
En outre, qu’apporterait véritablement à l’intérêt général la mise en place prolongée de ce passe ? Il y a tellement d’exceptions que l’on peut douter de son efficacité. Bien sûr, cela devrait réduire les contaminations dans les lieux où les passes seront imposés, mais son effet sera-t-il si important alors que des employés ou des mineurs sans passe pourront également y aller, et alors qu’un passe n’est pas la garantie à 100% de non contamination, mais seulement une très forte réduction de ce risque ? En outre, dans ces lieux, du fait de l’imposition du passe, on peut craindre un très fort relâchement des gestes barrières, alors que, sans passe, du fait des risques existant, on peut imaginer que les Français seraient probablement plus attentifs à leurs gestes… Plus globalement, les restrictions du passe, aussi contraignantes soient-elles, ne couvrent qu’une partie limitée des interactions sociales, et toutes les autres (métro, courses, rassemblements familiaux ou amicaux…) seront des occasions de circulation du virus.
De plus, le cas britannique semble indiquer que dans une société où les personnes vulnérables sont très largement vaccinées, ce qui est aussi le cas en France, le danger de ce variant semble bien moins grand. Le nombre de contamination a été multiplié par 20 en deux mois outre-Manche, se rapprochant des pics de la dernière vague. Néanmoins, le nombre de morts reste, à date, 20 fois inférieur au pic d’alors. Toutes les mesures prises doivent également être mises en balance avec le danger réel que représente le coronavirus aujourd’hui. Bien sûr, au nom de l’intérêt général et d’un très grand risque pour la société, des interdits et des obligations peuvent être mis en place, mais ici, entre l’impact très modéré du passe sur la circulation du virus, et la dangerosité bien moindre de la vague actuelle, doit se poser la question de l’importance des mesures prises, derrière les raccourcis ridicules et révoltants de l’exécutif.
Et plus globalement, cela pose aussi la question du type de société que nous voulons construire, comme le soutient François-Xavier Bellamy dans le Figaro. N’abandonnons-nous pas trop facilement nos libertés à un pouvoir volontiers tyrannique au nom de la sécurité ? Ne prenons-nous pas le risque que ces abandons, théoriquement temporaires, finissent, en partie au moins, par ne plus être exceptionnels ? Ne prenons-nous pas une voie qui se rapproche insidieusement de sociétés pleinement autocratiques, où L’État utilise les outils numériques pour une surveillance orwellienne des citoyens ? Et que dire du recours un peu trop massif à une surveillance des citoyens par les citoyens, dont les échos sont profondément malsains. Bien sûr, nous ne sommes pas en dictature, et l’emploi de ce terme me semble abusif et préjudiciable à la cause de l’opposition au passe. Une dictature, c’est la Chine, et nous savons que ce qu’ils font n’a rien à voir avec ce qui se passe dans notre pays. Néanmoins, la panoplie de mesures annoncées par Macron ne nous fait-elle pas nous rapprocher, un tout petit peu bien sûr, de certaines de ses pratiques ?
En conclusion, parce que je crois que ces mesures n’exerceront, au mieux, qu’un frein très léger sur une épidémie devenue moins dangereuse du fait de la vaccination d’une grande majorité des personnes à risque, et qu’elles représentent non seulement une entrave aux libertés inquiétante par le précédent qu’elle créé en instituant une différence de traitement entre citoyens, je reste totalement opposé au passe sanitaire. Depuis le début dans cette crise, je pense que nos dirigeants gagneraient à beaucoup moins pratiquer l’interdit et adopter une démarche de responsabilisation, plus conforme à ma vision d’une démocratie adulte. Ici encore, l’éxécutif traite les citoyens comme des enfants stupides et fait preuve d’un arbitraire inacceptable dans un pays comme le nôtre. Merci à tous ceux qui battent la rue en ce moment pour le dire.
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