Ennui, rébellion, routine et idéaux
"Police partout, justice nulle part" hurle une centaine de jeunes gens devant une horde de policiers surarmés un mardi soir.
A la vue de ce décor de lutte, il est facile de choisir son camp.
La
puanteur de l’autorité titille nos narines. On sent les nuages virer au
noir et la bête immonde ressurgir de sa caverne. Bella Ciao pourrait
même avoir sa place pour encourager cette résistance noble contre
l’oppression.
La jeune génération qui relève la tête devant les coups
de matraque, c’est symboliquement appréciable.
Cependant, les apparences sont trompeuses.
Cette
scène heroïque d’un combat pour la liberté. Cette insulte à la
brutalité étatique. Ce défi d’une jeunesse qui ne se soumettra jamais à
la tyrannie policière ne se déroule pas sur les Champs-Elysées en mai
1942. Elle n’a pas lieu non plus devant le Reichtag en 1933 et encore
moins dans le centre de Budapest en 1956. Hitler s’est désagrégé en
cendres depuis longtemps, il n’y a pas de char d’assaut soviétique en
vue et on ne compte aucun cadavre criblé de balles gisant dans les
caniveaux.
Non le contexte est différent et il est tout récent.
Habitant
peut-être toi aussi dans une jolie ville francaise, tu as sûrement déjà
remarqué les petits tracts en papier collés sur les murs de nos rues.
De la politique sur post-it imprimée à la va-vite sur une photocopieuse
de faculté. Cela foisonne sur les poteaux !
En lisant le contenu
avec attention, on a droit à des appels de lutte pour contrer tel homme
ou telle loi mais rarement à des messages optimistes. Beaucoup de gens
en colère et idéalistes qui veulent en découdre une bonne fois pour
toutes avec l’injustice de nos institutions. Vu comme ça, on comprend.
En
tant qu’individu honnête et bien dans sa peau, tu n’as sûrement donc
pas manqué les marches lycéennes emmerdant le Front national, les
assemblées générales étudiantes ponctuées de méga manifs dénoncant le
danger capitaliste du CPE et le tout dernier cru 2007, les lançeurs de
bouteilles à tendance anti-Sarko post-élection.
Bravo, tu as compris que la petite introduction de mon texte faisait reference à ces joyeux rassemblements militants.
Moyenne d’âge de tout ce beau monde ? Moins de 30 ans à tout casser et dejà une boîte cranienne débordant de revendications.
Oh
mon Dieu, Sarkozy a été élu ! Marchons dans la rue avec nos pancartes,
séchons les cours et crions notre dégout du libéralisme et de la montée
du fachisme.
Oh mon Dieu, le CPE a été voté ! Marchons dans la rue
avec nos pancartes, séchons les cours et gueulons notre dégout du
capitalisme à outrance.
Et ainsi de suite... Le cortège continue au son des tambourins. Une vrai routine.
Mais pourquoi tant de rassemblements coléreux à base de "djeun’s" ?
Tout
d’abord, il est utile de rappeller que cette génération "non non" qui
se sent si concernée par la politique et qui parait rejeter beaucoup de
choses est d’abord une génération réduite. Elle ne se mesure que
lorsqu’elle descend dans la rue et 2000 manifestants criards ne
représentent pas forcément la population entière.
Mais tout de même, le phénomène est bien là et j’ai ma petite idée sur ses causes.
La
génération 80 n’a jamais connu de guerre ni de crise majeure. Etre né
durant ces années-là, c’est n’avoir connu que les synthétiseurs
d’Indochine, le Rap de Public Enemy, les émissions de Dorothée, la
barbe de Corbier et une petite guerre du Golfe bien lointaine.
Oui,
il y a aussi eu la montée du chômage, allez-vous me rétorquer. Et vous
avez raison, c’est important. Quoique, à modérer toutefois, car la
France n’est pas en miettes comme on le répéte sans arrêt. Les milliers
d’exilés qui rêvent de s’y installer au péril de leur vie chaque année
le prouvent.
Nourrie au romantisme de Mai 68 et aux textes ciselés de Diam’s, la contestation est entrée dans les moeurs.
Les
images des étudiants américains, manifestant contre la guerre du
Vietnam en 1967 devant le Pentagone, nous font vibrer. Surtout quant on
vit dans une société qui a aboli le service militaire et n’envoie plus
d’appellés au casse pipe depuis 40 ans.
Tous ces posters du Che
punaisés dans les chambres d’ados révèlent qu’il est à la mode d’être
un rebelle, un vrai. Je ne parle même pas du mordant "I am an
anarchist" seventies des Sex Pistols apposé en caractère gras sur les
Tee-Shirts de nos têtes blondes. Sans oublier, le "nique la police"
constant du rap banlieusard fantasmant sur l’arrivée d’une affaire
Rodney King bis à la française.
Notre société est pratiquement pacifiée et l’ennui nous bouffe, alors il faut s’occuper.
Famine des idéaux ? J’en ai parfois l’impression.
Aujourd’hui,
on peste contre un contrat de travail et l’élection démocratique d’un
président. De temps en temps contre des bavures policières filmées. On
cherche ce que l’on peut se mettre sous la dent et on envie les luttes
passées.
Alors on va dans la rue, manifester avec de beaux slogans à
faire palir une agence de pub. Personnellement j’aime beaucoup le "Sarko
facho, le peuple aura ta peau". A se demander si la définition du
fachisme dans le dictionnaire n’a pas été modifiée. J’ai des doutes
parfois.
Et l’électorat jeune de "Besancenot" ? Je m’imagine dejà,
révassant d’une France trotskyste revolutionnaire tout en regardant ma
série americaine preférée le samedi soir sur M6.
Bon sang, arrêtez
de me traiter de réactionnaire mes amis, vous vous fourvoyez ! Le
parfum ambiant de la révolution sent bon le Patchouli mélangé à du
Chanel n°5.
A n’en point douter, la formidable énergie déployée
dans cette fougue militante est impressionante. Véritable conscience
politique précoce ? Peut-être.
Toutefois, comme dans toute
entreprise humaine, des incohérences apparaissent. Il y a encore, de nos
jours, de véritables sujets d’actualité qui n’ont rien à envier aux
pires heures de l’humanité. Et surprise ! Elles sont boudées par nos
lançeurs de pavés.
Les massacres massifs en Yougoslavie, peu de
jeunes s’en sont souciés. Les assassinats en chaîne au Darfour, les
otages égorgés en Irak et la dureté des dictatures coréenne, iraniène
et cubaine n’ont pas provoqué grand émoi. Je n’ai pas le souvenir
d’importants mouvements sociaux en France dénoncant ces actualités
sanglantes. Il est possible que l’intérêt porté à un drame soit
proportionnel au nombre de kilomètres le séparant de notre beau pays.
Il y a sans doute du vrai dans cette théorie bancale, bien qu’il vient de m’apparaitre à l’instant une exception qui date de 2003.
Facile
de se remémorer le NO WAR craché par les foules sur la face du
président texan. Des tas de beaux jeunes gens dans les rues,
caricatures politiques en papier mâché sur des chariots et pancartes
greffées aux mains. La guerre en Irak, allez savoir pourquoi, ce sujet
nous a passionés particulièrement...
A cause d’une ressemblance avec une
certaine guerre du Vietnam peut-être ? Go back to sixties. Non non,
j’ai rien
dit...
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