Éric de Montgolfier, les pieds dans le Tapie
« J’ai eu beaucoup de dossiers étouffés et j’ai eu la tentation, à plusieurs reprises, de m’adresser au "Canard enchaîné". Je ne l’ai pas fait parce que je travaillais pour le ministère. » (Éric de Montgolfier, 1994).
Comme Patrick Bouchitey, l’ancien procureur Éric de Montgolfier fête son 75e anniversaire ce mercredi 11 août 2021. Ce magistrat très connu des médias et du grand public est à la retraite depuis huit ans, depuis le 30 juin 2013 (où il était procureur général près la cour d’appel de Bourges).
Diplômé de l’École nationale de la magistrature en 1975, Éric de Montgolfier a été sous les feux de l’actualité à partir de 1993 et de l’affaire OM-Valenciennes. Procureur de la République de Valenciennes, il était en effet chargé de l’affaire qui a mis Bernard Tapie, qui était ministre de François Mitterrand, en prison. Il était question d’une victoire arrangée d’un match entre les deux clubs de football.
Magistrat n’ayant pas sa langue dans sa poche (il a publié en 2006 un livre au titre très évocateur : "Le Devoir de déplaire" chez Michel Lafon), il avait osé affirmer, bien plus tard, le 2 juin 2009 à Laurent Delahousse sur France 2 : « Si le président de l’Olympique de Marseille n’avait pas été Bernard Tapie, il ne serait jamais allé en prison. Les faits ne le méritaient pas. ».
C’est assez incroyable d’observer qu’une telle déclaration n’a eu aucune véritable réaction d’un point de vue institutionnel. La justice doit être équitable et impartiale. On a le droit de ne pas apprécier Bernard Tapie car il a toujours été un personnage clivant et que, malgré lui, il reste le représentant de la France des années 1980 où l’on découvrait la jouissance de l’argent (on pourrait l’exprimer autrement), mais j’ai toujours apprécié celui qui n’avait pas peur du grand méchant loup, qui s’appelait à l’époque Jean-Marie Le Pen. Le courage, en politique, est une chose, la communication politique en est une autre, et lui avait les deux à l’époque du mitterrandisme triomphant (au grand dam des fidèles socialistes).
Mais au-delà de cela, de ce vrai produit politique de François Mitterrand (instrumentalisé pour torpiller la candidature de Michel Rocard, objectif atteint en 1994), j’ai toujours considéré que Bernard Tapie avait été une victime du système politique, dont il n’avait pas les codes. Il pouvait même devenir dangereux pour ceux qui l’avaient instrumentalisé jusqu’alors. Il pouvait jouer avec les élections législatives, les élections régionales, les élections européennes, mais pas question qu’il s’occupât en 1995 de l’élection présidentielle ni même des élections municipales à Marseille, chasse gardée des "vrais" politiques.
Je ne dis pas que Bernard Tapie était innocent de tout ce qu’on lui a reproché car je ne suis pas juge et je soupçonne que les petits arrangements doivent un jour se payer cash, mais le témoignage d’Éric de Montgolfier, quinze ans après les faits, donne une idée de cette volonté d’anéantir Bernard Tapie, et pas seulement politiquement, aussi financièrement et même médiatiquement. Tout, il devait redevenir rien. Son combat contre la maladie, impressionnant, me renforce dans l’idée qu’il reste une victime plus qu’un prédateur dans cette autre affaire (celle d’Adidas).
Revenons au procureur dont la notoriété s’est collée à celle de Bernard Tapie, à savoir Éric de Montgolfier. En 1999, sa ministre de tutelle, Élisabeth Guigou l’a envoyé au parquet de Nice supposément pour y "faire le ménage".
Éric de Montgolfier a notamment mis en cause un juge niçois qui était en "collusion" avec le milieu politique mais aussi avec le milieu de la mafia. Une loge maçonnique a été aussi mise en cause. Le juge impliqué a fini par être mis en retraite d’office, décision confirmée définitivement le 15 mars 2006 par le Conseil d’État.
Après son départ à la retraite, Éric de Montgolfier a fait une brève incursion dans la scène politique en soutenant activement la candidature de Benoît Hamon à l’élection présidentielle de 2017. Un soutien étonnant qui s’expliquait par le fait que le candidat socialiste ne semblait pas vouloir reprendre le contrôle de la justice.
On pourra toujours s’étonner de l’engagement politique d’un magistrat mais après tout, comme pour les militaires, dès lors qu’ils n’exercent plus, les magistrats, en tant que simples citoyens, ont bien le droit de s’investir dans la vie politique. Les exemples sont nombreux : Eva Joly, Laurence Vichnievsky, Éric Halphen, Thierry Jean-Pierre, Rachida Dati, Georges Fenech, Alain Marsaud, Jean-Paul Garraud, etc.
Certain ont "réussi" à s’insérer durablement dans le paysage politique (nationale ou simplement locale), d’autres au contraire ont toujours été à la marge, même avec une exposition médiatique très forte. Éric de Montgolfier a fait partie de cette seconde catégorie. À chacun sa …vocation !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 août 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Note : le titre est de moi, mais sans originalité puisque, avant moi, "Le Temps" (27 juin 2013), "L’Humanité" (23 mai 2013), "Le Monde" (6 janvier 2016), "L’Opinion" (17 février 2015) et France 24 (4 août 2011) l’ont déjà utilisé. Dans un autre contexte. Je l’ai donc gardé.
Pour aller plus loin :
Éric de Montgolfier.
Eva Joly.
Rachida Dati.
Le combattant Bernard Tapie.
Injustice pour Nicolas Sarkozy ?
Protection des mineurs (2) : pas d’imprescriptibilité pour la pédocriminalité.
Protection des mineurs (1) : 15 ans, âge minimal du consentement sexuel ?
Roland Dumas.
Robert Badinter.
Éric Dupond-Moretti, le ténor intimidé.
Jacqueline Sauvage.
Chaque vie humaine compte.
L’exécution de Mata Hari.
Violences conjugales : le massacre des femmes continue.
Une lueur d’espoir pour Serge Atlaoui ?
Vives inquiétudes pour Mary Jane Veloso.
Mort d’Adama Traoré : le communautarisme identitaire est un racisme.
Sarah Halimi, assassinée car Juive.
Harcèlement sexuel.
Ni claque ni fessée aux enfants, ni violences conjugales !
Robert Boulin, quarante années plus tard…
Violences conjugales en France : quelques chiffres qui parlent.
La lutte contre la violence faite aux femmes, nouvelle cause nationale ?
Que restera-t-il du drame de Thionville ?
Marie Trintignant.
L’affaire Patrick Henry.
L’affaire Florence Rey.
L’affaire Aldo Moro.
L’affaire Seznec.
L’affaire Grégory.
Le dilemme d’État.
Pour ou contre la peine de mort ?
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