Essai sur la légitimité d’un rassemblement
Pour être tout à fait honnête (car il faut bien l'être, parfois), il y a, parmi les articles diffusés sur la toile ces derniers jours et concernant les nombreux rassemblements qui ont suivi les abominables actes contre Charlie Hebdo, des lignes qui me dérangent plus que quelques autres. C'est la substance même du rassemblement qui peut, seule, faire taire ces démagogies.
L'hostilité dont font part certains auteurs (le terme me dérange, je ne voudrai pas donner trop d'importance à ce genre d'individu) est nauséabonde, le mot est choisi, et dirige ma réflexion sur un point que je crois être essentiel. Il y avait, dimanche, deux rassemblements au même endroit, au même moment, fait par les mêmes personnes. Une sorte de schizophrénie populaire, seul traitement connu à ce jour contre les démons de notre temps.
Il y avait, là, la volonté de rendre hommage, bien évidemment, à ces camarades de Charlie Hebdo, tombés pour avoir usé de leur liberté de parole. Il y avait également un rassemblement des amis de la République, héritiers de 1789, enfants du soulèvement post 21 avril 2002, parents des valeurs ancrées dans la Constitution de la Vème République.
Mais cette dichotomie, peu de personnes aux extrêmes (l'article a été pesé) semblent la faire. Elle justifierait, pourtant, qu'aient pu cohabiter des "Charlie" et la marseillaise. Laquelle est un chant, adopté comme hymne national en 1795, donc symbole de la Révolution française, laquelle symbolise le combat pour les libertés au titre desquelles la liberté d'expression. Y verront un chant purement guerrier ceux qui n'en connaissent pas l'histoire ou ont oublié que la solidarité du socialisme venait de là, de l'égalité pour tous (et du bonnet rouge pour les têtes à chapeau).
Dès lors, comment peut-on insinuer, comme le blogueur Patric Jean semble le faire, au XXIème siècle et en se revendiquant du bien ("L'humanité est une suite discontinue d'hommes libres qu'isole irrémédiablement leur subjectivité" - Simone de Beauvoir) que l'on ne puisse rendre hommage à quelqu'un, sous prétexte que ses idées n'aient pas été les nôtres ? Ne peut-on plus avoir de respect pour qui fut jadis un adversaire sur le terrain des idées ?
Bien avant, dès les premières lignes de cette suite de maux (les miens, non les mots maladroits ou alors dangereusement distillés de ce blogueur que l’on préférerait blagueur), j'apprends que l'on doit cracher sur nos ennemis d'hier parce qu'ils luttent aujourd'hui contre l'inacceptable et pour que cela ne se reproduise (rétablissons alors la peine capitale, la deuxième chance n'est plus permise). J'irai plus loin encore et je me poserai cette question : devons-nous espérer le futur massacre de Minute (je n'ai pas parlé de journal car ce n'en est pas un à mes yeux) au nom de nos valeurs ? C'est bien, pourtant, le raisonnement in fine de celui qui a écrit l'article (j'estime à 90% le nombre d'articles à éviter chez Franprix, si celui-ci en était un, il en ferait partie). C'est aussi le raisonnement des auteurs du massacre de mercredi dernier. Toutes les idéologies, et les plus utopiques (aux yeux de leurs supporters) en premier amènent à ce raisonnement, c'est bien là le plus grand danger.
Ma dernière remarque doit toutefois concerner la lutte des classes. Parce que certaines personnes ont écrit qu’avant tout rassemblement, la priorité est là, dans ce combat d’antan, aujourd’hui simplifié à une lutte contre le parti au pouvoir. Cette lutte des classes est réelle, bien entendu, mais elle est parfois un élément de facilité. Elle est comme le choc des civilisations de Samuel Huntington, elle permet d'être toujours du bon côté, celui du plus faible, qui n'a plus rien à perdre mais tout à gagner (c'est ainsi que certains partis craignent le jour où ils arriveront au pouvoir, sachant pertinemment que leur mandat sera réduit au strict minimum, on survit à la lumière puis on meurt, l'ombre revivifie et l'on ressuscite, bienvenue sur Terre).
Tous ces éléments servent une généralisation absurde et servent la transmission du rejet de l'autre. La contestation est bonne lorsqu'elle est productive, autrement, elle sert à la destruction de l'ensemble. C'est ce que je regrette.
Je suis profondément de gauche mais je regrette le conservatisme dont font preuve ceux que je sais être si proche de mes idées. De tous les côtés, conservatisme et protectionnisme servent, parce qu'ils sont exacerbés, à agrandir le fossé creusé entre les couches sociales. Nous faisons tout à moitié et jouons aujourd'hui à la balle au prisonnier : "tu me touches je te touche, prison, je t'ai touché, sortie de prison, ce n'est pas moi qui ait été touché c'est lui". Et lorsque, sur le terrain, les deux équipes se neutralisent ou se mutilent, c'est l'équipe sur le banc de touche qui finit par l'emporter. Nous avons fait de cette équipe, pourtant par le passé simple mirage, un espoir pour beaucoup de gens. Ils croient désormais l'Oasis, lac au milieu du désert de Gobi (ça change du Sahara), c'est notre responsabilité.
Nous ne pourrons pas, comme beaucoup l'ont fait dimanche, continuer à agir lâchement. Le combat de la gauche ne doit plus simplement être un combat contre les classes sociales, il doit être bien plus important que cela, beaucoup plus profond. Acceptons de moderniser notre économie, ouvrons les vannes, donnons une chance à tout le monde, n'ayons plus peur d'agir hors de nos frontières pour aider les peuples qui en ont besoin (non, cela n'est pas du néocolonialisme, c'est la racine même de nos valeurs, celles pour lesquelles se sont battus les Hommes se revendiquant des Lumières), acceptons d'être accompagnés dans notre marche par d'autres qui, hier, se montraient si différents, partageons avec ceux qui n'ont pas les mêmes idées, soyons unis.
Etre de gauche, c'est être tolérant. Hier, j'étais fier de mes valeurs, de mes opinions. Parce qu'en marchant dans les rues de Paris, j'ai vu, de nouveau, au loin, cette lumière que la France et ses citoyens (entendu largement) mérite tant. Mais mériter est une chose, agir en est une autre, et l'union est la base de toute construction. C'est dans le temps que le rassemblement de dimanche ira trouver sa plus belle légitimité. Or, pour avoir une maison à la hauteur de tous, inutile d'aller critiquer ou détruire la maison du voisin.
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