La pédocriminalité ferait, dit-on, vendre et serait volontiers le centre des conversations de comptoir. À ce titre, il est de mauvais aloi d’en parler dans les cercles alternatifs et les médias citoyens qui, pour la plupart, s’expriment sur internet. Si la culture alternative se veut une contre-culture ou l’expression des courants d’idées parallèles au consensus culturel du moment, on comprend que l’affichage médiatique des actes pédocriminels, avec ce que cela induit de compassionnel, d’éclatant et de spectaculaire pose problème. Est-ce le sujet ou son mode de communication qui serait en jeu ? Précisément sur ce sujet, c’est le contenu du message qui fait question, pas son mode de transmission.
Ainsi, la culture underground d’internet n’aime pas évoquer - pour certains - la mort des enfants, le rapt des petites filles, le viol d’une adolescente... Cela fait pleurer le bourgeois... Ce n’est pas un sujet digne d’un militant alternatif et la presse « alternative » ne devrait pas répercuter l’écho de ces faits-divers, réservés, donc, à la presse populaire. (?) « Nul besoin de nous rappeler qu’il s’agit d’une chose horrible et les parents responsables savent ce qu’il faut faire pour protéger leur engeance », dit une internaute. Silence donc !
Média participatif citoyen, Agoravox a publié divers articles sur ces sujets et, chaque fois, on y a retrouvé des commentaires qui, à peu près, faisaient part de ce tabou.
S’agit-il d’une nécessité destinée à préserver la pureté du combat alternatif ? Doit-on, au prétexte de transmettre des valeurs alternatives, éviter ce qui fait pleurer le pékin ? La question trouve très vite une réponse unique : l’interdit vaut pour les « récits sirupeux qui excitent la compassion du lecteur » et on comprend qu’il concerne principalement la pédophilie que nous nommerons, ici, pédocriminalité. S’agit-il d’une nouvelle idéologie qui prendrait naissance dans les méandres de l’océan internet ? Même les cultures alternatives sécrètent leur morale.
Certains usent d’un terme nouveau pour évoquer ces sujets : ils « glurgent », disent-ils pour exprimer qu’ils sont à vomir ou à chier.
Le glurge, vomitif d’internet.
Le propos n’est pas exceptionnel, au comptoir du café du commerce, façon blog-citoyen-alternatif, les remarques du même type sont foison. Un psychanalyste dirait que le propos dérange car il touche profond, derrière la bien-pensance.
Que le lecteur attentif me pardonne donc, je vais le « glurger » au long de quelques dizaines de lignes et transgresser ce nouveau tabou en vous parlant des victimes de la prédation pédocriminelle. Que les âmes insensibles, soucieuses de raison s’abstiennent...
L’indifférence à un fait repose d’abord sur l’ignorance de ce fait et je n’ai pas échappé à cette règle. J’étais bien calé sur mes recherches dans le domaine de l’imaginaire quand j’ai été confronté à plusieurs témoignages d’abus sexuel sur des enfants, dont certains en bas âge. Mon expérience m’amène souvent à accompagner régulièrement des adultes qui ont été abusés durant leur enfance. À mes débuts dans l’action sociale, j’avais déjà dû faire face à des cas d’inceste avéré... Pourtant, j’avoue être demeuré, durant de longues années, dans mon refuge sans que cela ne me conduise à une quelconque action ni prise de position. Plusieurs affaires judiciaires mettant en cause des pédocriminels, dont l’affaire de la Cour d’assises de Saint-Omer, m’ont mis hors de moi. Soudain, je prenais conscience que, comme psychologue clinicien, je ne pouvais cautionner les dires et les conclusions de mes collègues experts ; je ne pouvais accepter plus longtemps ce que les théories psycho-analytiques laissaient entendre sur la transgression du tabou de l’inceste. Depuis très longtemps, il m’était apparu évident que, pour être au plus près de l’humain, dans ses joies et dans ses peines, il fallait écarter nos belles théories que je tiens pour antédiluviennes et terriblement réductrices. La confrontation à ces différentes affaires me montrait que nous n’étions plus dans un amphithéâtre à débattre entre spécialistes. Les dégâts s’étalaient, là, dans la presse et le prétoire. J’avoue mettre fait « prendre par la banalisation du mal ». Et la rationalisation, l’abolition de toute forme de sentiment faisaient le lit du déni, un aveuglement sélectif d’autant plus important qu’il touchait un des piliers de toute société humaine : le tabou de l’inceste d’abord, l’atteinte faite à l’enfant, futur du monde, ensuite.
Quelque terrible que soit cette réalité, il importe de savoir, de s’informer, de parler et d’écrire. Cela ne concerne pas les « sous-classes » de nos sociétés quiètes et confortables, cela nous touche bien près. Ce n’est ni un drame de la misère ni un aspect sombre et incompressible de nos sociétés.
Une société prédatrice
Nous ne pouvons éviter de penser que, dans une société prédatrice comme l’est la société de marché, le prédateur, où qu’il soit, de quelque sorte qu’il soit, bénéficie d’emblée d’un préjugé favorable et d’une écoute bienveillante auprès des juges, contre ceux qui l’accusent. Parce que c’est un point aveugle de nos mœurs. Parce que nos sociétés occidentales sont fondées sur une dialectique dominant/dominé. Et cela pouvait fort bien marcher avec, en fond de bataille, une éthique solide et des garants pour la protéger. Or, force est de constater une déliquescence de l’humanité de nos mœurs. La société libérale, où le marché règne en dieu, ignore les règles fondamentales de la solidarité, de la protection des faibles contre le puissant, etc.
Il s’agit-là d’une perte du fondement essentiel dont tout groupe humain a besoin pour durer : le sentiment. Cette chose qui ajoute humanité et bienveillance à chaque acte civil, moral ou politique. Or, une société qui se fonde sur le rationnel, le pragmatisme, la raison pure perd progressivement toute forme de souplesse et d’acceptation de la différence, de l’étrangeté... de ce qui dérange pour défaut de non-conformité à l’ordre établi. Les victimes ou les rescapés de l’inceste posent problème par la portée d’une plainte qui dévoile un malaise plus profond que la simple "névrose personnelle".
Le fiasco général d’Outreau pourrait m’exhorter à la plus grande prudence quant à défendre la victime... du pédocriminel. Certains journalistes n’ont-ils pas crié au loup en raillant la « généralisation du mal » que d’autres voulaient dénoncer au début de ce qui n’était qu’une affaire criminelle banale ? En mettant en exergue le grave problème des condamnations abusives, on oublie trop vite qu’il y eut vraiment des enfants victimes. Qui en a parlé ?
Faut-il que ce crime se banalise ? Et s’il ronge les fondements de nos idéaux les plus précieux ?
Inventaire
Légitimement, on pourrait s’attendre au fatal dénombrement statistique pour évoquer une banalisation de ce mal. Hé bien, il n’y a pas d’inventaire ! Pourquoi le sociologue, si prompt à dénombrer le moindre paramètre de nos mœurs ne s’est-il pas précipité pour recenser les victimes de la pédocriminalité, sous toutes ses formes, sous tous ses aspects et modes opératoires ? L’absence même d’inventaire est significative en soi. Les Etats-Unis et le Canada sont, pour l’instant, les premiers à engager des investigations approfondies et les chiffres sont effrayants. Des enquêtes expérimentales ont été diligentées en France, les résultats concordent ! (Références en fin d’article).
Avant même d’envisager toute forme de prévention voire de répression, il conviendrait d’abord de savoir de quoi il retourne, cela permettrait de faire obstacle aux rumeurs et aux préjugés de toutes sortes. Il est cependant une chose que le travailleur social ne peut ignorer, c’est l’impact de la prédation sexuelle sur l’enfant, marque qui demeure comme une blessure non cautérisée durant sa vie entière.
Il n’existe pas, à ce jour, de véritable inventaire clinique qui fasse le point sur les séquelles des traumatismes de l’enfance. La France est très en retard sur ce point et un débat fait rage entre les tenants d’une orthodoxie psychanalytique et les comportementalistes. Débat déplacé, incongru !
Tout juste classe-t-on les symptômes de ces personnes parmi les troubles post-traumatiques. Cette catégorie englobe aussi bien les victimes d’accidents, d’attentats que les victimes de viols ou de prise d’otage. De plus, les conséquences des traumatismes subis dans l’enfance s’étalent durant des décennies dans la vie adulte et la psycho-traumatologie n’a pas encore le recul nécessaire pour approcher ce problème. Autant dire que l’on ne sait pas très bien quoi faire de ces ostrogoths.
La marque spécifique de l’inceste sur la victime
La personne adulte qui aurait été victime d’inceste ou de violence durant son enfance présentera des caractéristiques spécifiques qui permettent de supposer rapidement l’existence d’une stase psychique. Nous trouverons des caractéristiques identiques chez ceux qui auraient eu à subir des faits de guerre, des exodes forcés ou des violences de sang. Mais l’inceste inflige une marque spécifique : la violence vient d’un parent ou d’un adulte ayant autorité. Le sentiment de trahison qui survient est non seulement très prégnant, mais il est au point de fondation de la personnalité.
Devenu adulte, tout se passe comme si une personnalité de surface s’était constituée. La blessure de l’enfance aurait occasionné une lésion telle que l’énergie psychique aurait été conduite à trouver d’autres circuits en évitant les zones douloureuses de la mémoire et de la psyché. Tout se passe comme si une sorte de cal s’était créé et des circuits dérivés cherchaient à reconstituer l’entité humaine avec le maximum d’énergie disponible.
Il y a donc une faille dans la structure globale de la personnalité. L’ego se forme à partir de représentations qui ne sont plus approvisionnées par une continuité de l’histoire de la personne. Dans sa vie, cet adulte se reconstitue de manière quasi instinctive car l’élan naturel qui conduirait à s’en remettre aux parents est désormais coupé. Le lien de confiance, fondamental dans l’édification de la personnalité a été gravement blessé.
Par-dessus ce cal, l’énergie psychique recrée donc un ego de substitution, sans racine. Il flotte dans un lieu et un temps sans véritable lien avec le passé, ou si peu. On a parfois l’impression de se trouver face à des personnes froides ou distantes, « pas présentes » à la réalité. Comme si le sujet se noyait dans un monde de rêveries. Parfois, certaines de ces personnes surcompense cette blessure en « en faisant trop », en s’accrochant sans relâche à la réalité ! Autre manière de cacher la plaie et d’attirer un peu d’amour. Comme si, être simplement soi-même ne pouvait suffire. Comme si tout accès au bonheur pouvait dissimuler un piège.
Chez un individu qui aurait vécu une histoire banale, le contact au monde - la réalité physique objective -, se constitue à partir des sensations, des émotions et des intuitions et c’est grâce à la relation souple à toute l’histoire du sujet que des représentations naissent de ces « affects » pour conduire à une action judicieuse et contrôlée. De plus, ces représentations résultent de l’apport parental primaire qui permet une rapide réponse aux sollicitations du milieu.
Chez les victimes d’inceste, ce lien à l’histoire n’existe pas ou bien se trouve-t-il fortement altéré. La trahison de l’adulte a fortement lésé cette faculté de l’enfant à s’abandonner et à faire confiance. L’ego se constituera plus tard une sorte de peau par imitation de modèles externes car, ce qui prime, c’est bien la cohésion de la psyché, donc l’exercice d’un contrôle minima de la dynamique psychique. Cette cohésion contrôlée s’opère sans relation avec « la profondeur psychique » : l’histoire du sujet et toutes les représentations qui pourraient en découler.
Cette cohésion n’est pas non plus reliée au patrimoine « génétique », l’histoire des parents et de la famille, ce qui peut s’avérer très grave. En effet, l’individu se retrouve un peu comme un exilé qui parviendrait dans un pays sans rien en connaître et qui serait obligé de s’adapter par le seul effet de sa sensibilité aux comportements des autres sans qu’il en comprenne tout à fait le sens. D’où cette apparente déconnexion émotive, ce semblant de froideur. Il n’y a pas d’adhésion globale, profonde aux faits de la réalité.
On trouve d’ailleurs chez les exilés de force ce même type de distance au monde. Les actes quotidiens, la personnalité globale sont déconnectés du sens des choses.
La sexualité, le couple
Partant des constats suivants : « Les conséquences de l’inceste atteignent l’ensemble de la vie des personnes qui en ont été la victime. Ces conséquences apparaissent également dans leurs relations avec les autres, y compris dans ses aspects les plus intimes. Pour une personne qui a été victime d’inceste dans l’enfance, homme ou femme, une relation amoureuse peut-être une expérience particulièrement complexe, voire douloureuse », les éditeurs du site de l’Association internationale des victimes de l’inceste, l’AIVI, lancent un débat sur le thème : « Vivre en couple après l’inceste ». Ils posent les questions suivantes : « Est-il encore possible de faire confiance à l’autre lorsqu’on a été victime d’inceste ? Les victimes d’inceste ont-elles tendance à développer des relations de couple particulières ? La relation est-elle un danger, ou est-elle plutôt un espoir ? Quelle place peut ou doit prendre un conjoint vis-à-vis du passé d’une victime ? Quelle est la place des relations sexuelles dans la vie de couple d’une victime d’inceste ? ... »
Les difficultés rencontrées dans la sexualité découlent du processus de gel des sensations et des émotions. Elles sont la conséquence d’une lésion située plus en amont. Celle-ci, nous l’avons vu est bien plus conséquente, globale et porteuse de blocages diffus et étendus. Ce sont les instances de régulation de la relation à l’autre qui sont altérées. D’une part, l’individu s’est construit sans modèle, d’autre part, sa propre image en miroir est endommagée. Tout le dispositif de reconnaissance et d’intégration des affects et des instincts est altéré car la personne a été trahie par son père et sa mère, donc par les porteurs des représentations primordiales pour la construction de la personnalité. Dans un premier temps, donc, c’est la capacité à faire confiance à l’autre qui est amoindrie, voire considérablement blessée. Faire confiance, c’est aussi se lâcher, s’abandonner en toute sécurité dans la relation. Il règne donc une certaine confusion dans la capacité à distinguer le bien du mal. La personne risque ainsi de se laisser piéger dans des situations les plus variées, des plus positives aux plus négatives.
Dans sa construction, la personne a dû user des sources d’énergie qui sont antérieures à celles qui s’appuient sur les parents comme supports de projections structurantes, vecteurs d’adaptations pertinentes à soi et au monde.
La conscience de l’individu ne pourra pas intégrer correctement les messages qui sont à l’origine des sensations et des émotions, ceux-ci se trouveront livrés à eux-mêmes, soumis à des forces archaïques et primaires. Nous serons donc souvent dans l’excès, de prudence ou, à l’inverse, d’animalité. Entre ces extrêmes, on trouvera les comportements les plus variés.
Ainsi, les personnes les plus portées à trouver leur épanouissement, grâce aux stimulations du milieu, chercheront, plus ou moins instinctivement, à se créer une expérience à travers des aventures variées et multiples, parfois les plus folles, comme si la conscience avait perdu une barrière, celle du discernement. On retrouve là l’impact de cette étrange désaffection du monde qui provient d’un manque de repères transmis par les parents.
Les personnes plus intériorisées se protégeront plus volontiers, car leur tendance naturelle les conduit à intérioriser d’abord, à agir ensuite. Comme la sexualité implique tout l’individu, ces personnes risquent de se retrouver isolées et solitaires.
Admettons que, dans le cours naturel du processus d’évolution d’un enfant, l’éveil à la sexualité se fait, dans nos cultures, entre 13 et 16 ans, précisément en même temps que l’apparition des émois caractéristiques de la période de l’adolescence. Ces émois, hormis quelques ajustements se retrouveront inchangés tout au long de la vie de l’individu.
Les transgressions et abus se produisent, le plus souvent, avant cet âge, quand l’enfant est entièrement sous la dépendance de la force de l’adulte. C’est donc avant même l’apparition des processus constitutifs de la sexualité adulte que se produisent les plus graves lésions psychologiques, sans oublier les lésions physiques qui altéreront également l’image que la personne aura de son propre corps.
C’est donc en amont de la sexualité que les problèmes de couple se poseront. Et nous retrouverons souvent ce même rapport à l’émotion, contenue, malvenue souvent et rarement dévoilée. Comme si la personne reconstituait le processus du viol quand elle est confrontée au dévoilement de son intimité. Consciente de cela, elle peut faire diversion durant de nombreuses années en masquant sa souffrance. J’ai rencontré des couples où la femme s’est confiée alors que tous ses enfants étaient majeurs et autonomes.
Plus grave encore, c’est le problème de la confiance en soi qui est altérée. L’atteinte à la dignité de l’enfant imprégnera la vie entière de l’adulte si aucune réparation n’est entreprise. D’où cette difficulté à se confier, parfois, la vie durant.
Entre soumission et rébellion
La personne se retrouvera toujours dans la nacelle de l’ambivalence, entre soumission et rébellion. La soumission renvoie aux séquelles du crime subi. La rébellion lui rappelle que de nombreux pans de sa personnalité demeurent étouffés, refoulés. Puisque le pont entre conscient et inconscient est plutôt soumis à suspicion - la personne ne se fait pas confiance - on pourra voir s’épanouir des caractères soumis à des humeurs changeantes sur fond de sensibilité exacerbée.
La soumission mieux acceptée par une femme, voire recherchée par elle, du fait de l’empreinte masculine de nos sociétés, ne résoudra jamais rien car la personne aura toujours, en sourdine, la vague impression que ses propres sentiments ne sont pas entendus et que sa véritable voie se trouve ailleurs.
Chez l’homme, la mise sous boisseau de ses sentiments, la soumission incontournable à l’influence des autres pourra conduire à des comportements, soit d’effacement total, soit de rébellion incompréhensible et violente - l’équivalence psychologique de ces formes d’expression d’une même masse d’énergie est bien connue. La répression de l’instinct alimente ici une sourde violence dont l’individu cherchera à se protéger.
Et si on apprenait à connaître ce petit quart de chaque génération, les ostrogoths ? Vous savez, ceux qui savent d’avance et si bien qu’ils vont vous glurger et qui se taisent...
Pour en savoir plus :
Un site complet qui recueille les informations autour des prédations sexuelles de l’enfance (glurge assuré) :
Éléments d’histoire de la domination de l’homme sur l’enfant, par Marc André Cotton.
Connaître le pédocriminel, mode opératoire et étiologie d’un crime. Classement des pédocriminels (dans la rubrique « articles », deux articles)