Etre Charlie, certes, mais le rester surtout !
Je suis Charlie est un slogan fondamental qu’il faut dire, redire, écrire, faire lire, exposer le plus possible. Une détermination calme serait mieux que bien des déterminations vénères qu’on voit souvent.
Faire des constats… raisonner, argumenter à partir de ce qui se passe vraiment. Ne pas dire des noms d’oiseaux. Tout cela serait mieux.
Une éthique de responsabilité plutôt qu’une éthique de conviction. Plutôt calculer les conséquences de nos actes, et parler est un acte, qu’affirmer que vu qui on est, vu qu’on pense ce qu’on pense… on peut mépriser les autres et leurs donner des noms dégradants. A ceux qui sincèrement pensent que viser les conséquences de ses paroles plutôt que la certitude que l’on a qu’elles sont justes revient à être faible et ne pas s’autoriser à dire ce qu’on pense, à ceux qui sincèrement voient les choses comme ça, je demande de lire vraiment ce que j’écris vraiment.
Christophe Deloire directeur général de Reporters sans frontières a déclaré sur iTélé, cité par le Figaro, qu’« attaquer une rédaction à l’arme lourde, c’est le type de violence qu’on voit en Irak, en Somalie, ou au Pakistan ». Et en effet, nous avions eu des poseurs de bombes en 85-86 (treize attentats du mois de février 1985 à septembre 86, faisant treize morts et trois cents blessés).
Une attaque de commando constitue une forme de déclaration de guerre. Il nous faudrait tenir des constats forts, sérieux, conséquents. Dire ce qui est. Au moins dire ce qui est. Pour nos postures, nos actions, partir d’un constat. Et si possible, d’un constat partagé. Travailler à forger ce constat partagé. Travailler à forger le partage d’un constat, conforme à ce qui se passe vraiment. En 2012, Mohamed Merah a assassiné des enfants juifs de l’école d’Ohr Torah (ex-Ozar Hatorah) et des soldats français : Imad Ibn-Ziaten, Abel Chennouf et Mohamed Legouad, (à Toulouse et à Montauban). Le 24 mai 2014, au Musée Juif de Bruxelles, Mehdi Nemmouche a tué quatre personnes. Le président de la République nous a dit que cinq attentats islamistes auraient été déjoués depuis l’été dernier. Des « loups solitaires », nous dit-on.
Les discours s’organisent sur un mode de morale : le constat doit être corrigé des principes moraux, dont le premier est qu’on ne doit pas dire du mal des autres. Voir (1) et dire ce que l’on voit (2) passent derrière l’idée morale de faire mal à quelqu’un, à un groupe humain. Ce que l’on peut dire ou écrire n’est pas mesuré au réel mais d’après de grandes lignes morales qui sont dans les mots négatifs « amalgame » et « stéréotype ». Ici, l’islamophobie. D’abord ne pas être islamophobe. Ensuite, calculer ce que l’on peut dire ou non. Faire disparaître du discours ce qui pourrait être islamophobe, et partant, le faire disparaitre du réel. Voilà la ligne de partage des discours.
Pourtant, il appartient au constat d’écrire que « 126 journalistes, dont 12 femmes, ont été assassinés entre 1993 et 1998 en Algérie. Cinq sont portés disparus. » C’était le 27 août 2012 : http://www.humanite.fr/medias/said-mekbel-le-billettiste-qui-pourfend-les-puissants-502757
« La rédaction de Charlie Hebdo a fait part lundi 25 novembre 2013 de son "effarement" en découvrant la "violence" à son égard des paroles d'une chanson de la BO du film La Marche, sur les écrans mercredi 27 novembre, qui dans un couplet "réclame un autodafé contre ces chiens" du journal satirique. La chanson incriminée a été composée et est interprétée par une dizaine de rappeurs renommés, dont Akhenaton, Disiz, Kool Shen et Nekfeu. » http://abonnes.lemonde.fr/actualite-medias/article/2013/11/25/charlie-hebdo-effare-de-la-violence-de-la-bo-du-film-la-marche-a-son-encontre_3519910_3236.html
A quoi répond : http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2013/11/20/non-charlie-hebdo-n-est-pas-raciste_3516646_3232.html Il faut tout de suite dire qu’on n’est pas raciste. Il ne semble pas que des réactions collectives fortes, des réactions judiciaires aient été opposées à cet appel à la haine (le mot « chiens ») et à la violence (autodafé).
Edwy Plenel s’est mis dans cet axe amour-désamour avec son livre « pour les musulmans ». Comme s’il s’agissait d’être pour ou contre ! J’espère qu’il répondra à ma lettre un jour.
Cet axe moral, paranoïaque, des victimes et des bourreaux, des interdits de penser, des obligations de penser… devrait être quitté pour un axe plus scientifique de l’observation, des raisonnements clairs des raisonnements pensés aussi… discutables, argumentables.
Brice Couturier, sur France-Culture, fait ce constat de déclaration de guerre, qui s’appuie sur une description du réel, vu et écrit sans filtres : http://www.franceculture.fr/emission-la-chronique-de-brice-couturier-la-guerre-est-declaree-2015-01-08
Celui qui met la plus grande énergie dans un combat, les moyens les plus forts, oblige l’autre à faire de même. S’il a ses poings, sortez les vôtres ; s’il a un bâton, prenez-en un ; s’il a un fusil, il vaut mieux que vous ayez un fusil… etc. N’allez-pas contre une kalachnikov avec une batte de baseball… Vous ne feriez pas long feu.
Alors, quelles armes faut-il mettre contre cette guerre ? Il n’est pas question de sortir des armes automatiques.
Pour l’instant, la force de l’unité du peuple, dans des rassemblements, des pétitions, dans l’appropriation de ce slogan-logo Je suis Charlie. Le tout sera de durer. La plupart des citoyens qui s’expriment comptent sur l’affirmation des principes (ils sont souvent en désaccord sur ces principes) et une force de conviction : il faut y croire très fort. « Nous sommes une République laïque » nous dit Brice Couturier. « Ainsi, il ne saurait exister chez nous de délit de blasphème. » Il me semble qu’il faut réfléchir plus intensément encore. Nous avons créé un délit de blasphème envers la laïcité de la République, en rendant délictueux le port d’un foulard lié à l’islam, pour les élèves.
Autrement dit, les idées ne naissent pas que de la répétition, de la prédication. On nous dit qu’il faut être pédagogique, que la force de ces croyances qui amène des citoyens à s’arroger le pouvoir de tuer se guérirait par l’éducation ; il me semble qu’ils ont été éduqués, à l’école de la République. Les idées ne naissent pas seulement de la fréquence de leur exposition, ni de l’intensité de leur expression, elles naissent aussi des conditions « objectives » de la place dans la société de celles et ceux qui les émettent et de celles et ceux qui les reçoivent. Elles naissent des rapports de forces, des situations, des usages, des mœurs, des lois…
Je suis Charlie est une belle émotion populaire, nette, franche et massive (souvenir-sourire), salutaire. Il faut se brancher dès maintenant sur le dur désir de durer (Paul Eluard). Surtout si, comme cela semble déjà être le cas, de nombreuses attaques font ressembler cette guerre à un harcèlement : le harcelé perd ses forces, de lassitude, ce qui est le but du harceleur. Quand le feu de l’actualité sera retombé, les plus convaincus continueront leur qui-vive, tandis que la plupart des citoyens vaquera à ses occupations et préoccupations.
Puisse ce silence obtenu par le meurtre de citoyens désarmés ne durer qu’une minute !
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