Être ou ne pas être Charlie est-ce la question ?
Avons-nous sous couvert de notre appartenance à la République française, pour obligation d’être solidaire à la doctrine qui inspire Charlie Hebdo. Plus particulièrement celle de l’Athéisme. Pour ma part j’ai le sentiment que la liberté d’expression ne peut en aucun cas faire abstraction à ma liberté de penser. Ici pour définir ma pensée profonde sur le droit ou pas des incroyants à blasphémer, elle est sans le moindre quiproquo, conforme à la laïcité. Pour être plus précis : si ce principe hautement philosophique laisse le droit à certains de piétiner sans ménagement les pratiques cultuelles et millénaires des uns et des autres. J’ose encore espérer qu’il autorise à ceux qui veulent encore s’épanouir dans leur foi, le droit à ne pas s’associer à la grande récréation mécréante des affranchis du « sacré ».
Oui c’est bien de cela dont il est question aujourd’hui : de la liberté et de ses limites. La liberté de croire ou ne pas croire, la liberté de se moquer ou pas, la liberté de provoquer ou pas, la liberté de blasphémer ou pas. Bref, quelles sont les limites exactes à ne pas franchir et quel est le degré de susceptibilité de chacun fasse à l’irrévérence lorsque la législation-elle, est tangible. La loi fixe les limites en ces termes : nulle ne peut calomnier, diffamer, injurier, provoquer à la haine ou à la violence ou encore faire l’apologie du terrorisme. Tout ceci est très clair finalement, mais en même temps tellement peu respecté par nombreux de nos concitoyens qu’on en oublierait jusqu’à l’existence-même de ces frontières à ne pas dépasser.
Continuellement dans notre pays des individus, et pas les moins avertis, mettent au défi ces règles fondamentales qui garantissent notre égalité et la paix publique. Certaines personnes de notoriété nationale pratiquent ouvertement l’insulte en associant systématiquement noir, arabe et délinquance. D’autres encore n’hésitent pas à associer chômage à fainéantise d’une façon globale. On a même vu sous le prétexte de l’indignation, un journaliste connu lancer un appel au meurtre sur une antenne publique à l’encontre d’un humoriste français déjà condamné par la Justice. Le comble de cette histoire : le même journaliste qui dans le passé tellement indigné par les dérapages insupportables de sa cible et ouvert au crime, s’abandonner à son tour aux raccourcis racistes sans se soucier qu’une sanction aussi radicale que la sienne soit prononcée à son encontre, par des êtres encore plus fanatisés que lui. C’est dire que la haine tellement singulière dans notre pays est bien relayée par le gratin médiatisé de notre société et c’est à partir de là qu’elle sème le trouble collectif.
Comment ne pas être dubitatif face aux préceptes républicains qui ornent le fronton de nos écoles et nos mairies, lorsque des hommes politiques garants de notre cohésion se libèrent maladroitement dans des propos qui frisent régulièrement l’insolence à l’égard des diversités ethniques qui composent la Nation française ? Où se situe l’exemplarité ? Où se situe le respect mutuel ? A moins que ces personnes ne considèrent que l’exercice du respect et de la bonne conduite soient des domaines réservés à une classe infériorisée par la provenance sociale. Une classe tellement vile qu’elle ne mérite en aucune manière qu’on ne s’y attarde autrement que pour la conditionner à l’assujettissement systématique à une caste qui se jugerait supérieure de par son pédigrée. Est-ce cela une République qui se voudrait exemplaire ? Est-ce cela la vocation d’un peuple souverain digne et fier d’appartenir à une communauté soudée face aux menaces extérieures ?
Nous devrions nous poser la question de savoir ce qui se passerait dans une telle ambiance nationale, dans le cas où nous aurions affaire à gérer une agression extérieure plus orchestrée sur un plan militaire. Cela nous obligerait certainement à modérer la violence de nos propos trop souvent accusatoires et partiaux peu enclin à la conciliation. Peu enclin à la réflexion concertée qui peut apaiser quelques esprits les plus bornés et réduire la fracture entre gens de bonne volonté. L’espace communautaire ou public oblige à impliquer chaque individu à la préservation d’une paix commune quel que soit leur domaine d’excellence, c’est indubitable ! La hiérarchie et l’ordre sont respectés à partir du moment où les responsabilités sont partagées. A partir du moment où c’est l’égalité des chances qui fait notre valeur et décide de la place qui nous revient dans la société. C’est à partir de cette condition indispensable que nous pourrons mesurer concrètement les compétences réelles de chaque individu parmi les plus volontaires, afin que l’échec ne soit pas associé automatiquement à une providence fantasmée ou manifeste.
Or la société française jusqu’aux derniers jours qui précédaient le drame national, préférait laisser le hasard de l’origine sociale le soin de décider de l’avenir des enfants de la Nation. Autant dire que ceux qui vivent aux mauvais endroits depuis leur naissance ont très peu de chance de quitter ces lieux sans user d’astuces plus ou moins loufoques pour y parvenir. C’est un fait ! Parler aujourd’hui des mauvaises domiciliations n’est pas un scoop. Ces quartiers invivables existent bel et bien. Ils sont par ailleurs répertoriés et classés officiellement par des niveaux de dangerosités dans des registres préfectoraux. Le seul moyen d’en sortir lorsqu’on n’y est né serait l’évolution sociale par l’école et le travail.
La réalité au jour où j’écris ces lignes, est tout autre, car l’école dans ces zones urbaines difficiles manque cruellement de moyens et fait face elle aussi aux insuffisances de la République dans des domaines divers. Avant de devenir sensibles, ces quartiers sont d’abord des zones sinistrées dotées en premier lieu d’un urbanisme mal adapté en rapport à la démographie galopante. Le chômage de masse qui y sévit, rend encore la situation plus difficile lorsqu’il faut vivre par solidarité à trois, quatre familles sous le même toit. Parfois sous tutelle de l’Etat, avec un seul salaire qui plus est, à peine plus élevé que le Smic quand il n’est pas tout simplement égal ou inférieur. La violence et la promiscuité y règnent à l’intérieur-même de ces foyers : les cohabitants contraints de se supporter par charité ou quelquefois par crainte de mauvais jugements extérieurs. De toute façon où est l’échappatoire probable lorsque l’on n’a aucune chance de s’en sortir ailleurs que dans le giron familial.
Certaines personnes très éloignées de ces réalités quotidiennes insolites, se mettent à divaguer copieusement sur des pannes évidentes d’éducation ou sur la pauvreté culturelle de ces enfants malmenés par la République et involontairement par leurs propres familles. Quelle éducation est possible dans une telle configuration ? Quelle culture est assimilable dans une telle condition sociale ? Évidemment, il existe dans notre pays des gens de bonne composition qui tentent régulièrement de changer les choses au plus près de ces ménages forcés. Faut-il être armé plus que de courage et d’espoir pour s’acharner comme le font certains de ces acteurs anonymes, se donnant beaucoup de mal chaque jour pour tenter d’inverser une situation qui pour beaucoup est une évidence. Le chantier est tellement immense pour leurs petites épaules qu’on peut sans se tromper dire que les résultats qu’ils obtiennent sont à peine perceptibles statiquement. S’il faut ajouter que nous aurions bien du mal à établir une étude fiable, compte-tenu qu’avec notre model qui se veut plus assimilationniste qu’intégrationniste, il devient difficile de cerner clairement les difficultés liées à l’origine autre que sociale. D’ailleurs s’il y ait un débat dont nous devrions amorcer dans ces prochains jours c’est bien d’élucider les limites réelles de l’assimilationnisme dans une République qui n’a pas encore assimilée courageusement toutes ses composantes ethniques.
Le débat sur l’identité française à mon avis va enfin prendre toute son ampleur lorsqu’il faudra évoquer l’égalité de traitement de tous les Français : face à l’emploi, le logement, les études, les carrières, la réussite, etc. Plus brièvement de l’égalité des chances. Si je suis Charlie pour dire non aux violences d’où qu’elles viennent, non au terrorisme, non à la lâcheté de quelques énergumènes ou de groupes surarmés face à ceux qui ne le sont pas. Oui à l’antimilitarisme, oui au droit à l’athéisme, oui à la liberté d’expression…. Je refuse en revanche d’être Charlie s’il faille considérer que je doive être d’accord à cent pour cent avec toute la philosophie de l’hebdomadaire satirique. Sachant d’avance que les sensibilités intimes de chaque individu ne se mesurent pas forcément en degré d’éducation ou de culture, je me réserve alors le droit de ne pas contribuer à la vexation collective sur les domaines tellement délicats que sont les dogmes qui me soient étranges. En effet je ne crois en aucune religion car elles sont à mon avis de simples refuges qui abritent pêle-mêle des idéologies qui ont toujours été matière à controverse. La violence et le pardon, la misogynie et l’exaltation à la maternité, le racisme et la fraternité, l’injustice et le partage y voisinent étrangement dans les écritures « saintes ». Au-delà du déchiffrage intellectuel confus, il faut ajouter que les fidèles qui pratiquent ces dogmes « remplis de bons sentiments » ne sont pas tous de fervents pacifistes par nature. Les livres d’histoire sont là pour en témoigner. Je fais référence là, aussi bien du massacre de la Saint-Barthélemy par les Catholiques que celui très actuel de Dogo Nahawa au Nigéria par les extrémistes musulmans ou encore le massacre des musulmans par les bouddhistes birmans.
Bref, pas une seule des grandes religions de ce monde en ma connaissance, ne semblent jamais s’être illustrées dans des scènes de violence à un moment ou à un autre de leur existence : tantôt agresseurs et tantôt victimes de leurs anciens dominateurs. Cela tente à prouver qu’il n’est pas nécessairement utile de pratiquer une religion pour être pacifiste ou violent. Cela est aussi vrai dans un sens que dans l’autre évidemment. Serait-ce la preuve que ceux qui furent d’une certaine manière endoctrinés par la violence et la haine d’un Coulibaly ou d’une Catherine de Médicis du passé peuvent dans un futur plus ou moins proche, se retrouver dans la peau de Charlie pour dire à haute voix : NON ! NON ! A toutes ces horreurs insupportables, NON ! A tous ces crimes abominables. S’il y ait un Dieu auquel je veux bien croire c’est un Dieu unique pour tous les hommes qui n’aurait pas de frontière, serait un non-violent, bénirait notre liberté à condition que nous respections l’autre, s’acharnerait à nous guider plutôt qu’à nous punir lorsque le mal est fait, qui nous aiderait à nous aimer plutôt qu’à nous détester. Mais quelle religion pourrait représenter dignement ce Dieu tellement parfait et juste, mais tellement universel finalement ? Je doute que ce dogme existe en ce monde en notre temps, alors je préfère dans ce cas me passer des religions et espérer en ce Dieu unique sans forme, sans race, sans ethnie pour qu’il nous guide vers ce qui a de meilleur en l’homme. Ce qui n’empêche en aucun cas à d’autres de continuer à croire en ce qu’ils veulent. Au dieu de leur région ou de leur ethnie ça m’est égal ! A condition bien entendu qu’ils soient tolérants, respectueux, compréhensifs et paisibles. Ne serait-ce pas le projet humain le plus élogieux ?
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