Euthanasie : halte au faux consensus ! (1) définitions
Depuis plusieurs années, des militants associatifs font pression sur la classe politique pour légiférer sur l’euthanasie. Au besoin avec un sondage dont on fausse sciemment les conclusions. Un débat au Sénat va avoir lieu et va susciter une nouvelle fois des passions bien peu constructives. Première partie.
Dans la soirée du mardi 25 janvier 2011, le Sénat discutera en séance plénière de trois propositions de loi prônant l’euthanasie volontaire ou l’aide active à mourir, dans le cadre des séances réservées aux groupes politiques définies par la réforme des institutions du 23 juillet 2008.
Le Sénat s’empare du débat sur l’euthanasie
Le point novateur, c’est que la présidente de la Commission des Affaires sociales, Muguette Dini, une centriste, avait accepté de regrouper ces trois textes (deux provenant de l’opposition et un d’un sénateur UMP) dans un même débat, le rendant ainsi important symboliquement même si, dans tous les cas, le gouvernement a déjà annoncé qu’il ne souhaitait pas changer la législation dans ce domaine.
La dernière réunion de la Commission, le 18 janvier 2011, a accouché d’un unique texte relatif à « l’assistance médicalisée pour mourir » et préconise ainsi : « Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant un souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. ».
Notons que grâce, toujours, à la réforme des institutions du 23 juillet 2008, ce qui est une réelle avancée pour la démocratie parlementaire, c’est ce texte-ci, c’est-à-dire corrigé par la Commission, qui sera débattu et pas les propositions initiales.
L’euthanasie est un thème récurrent dans la vie politique. Il occupe ainsi beaucoup d’espaces de débat alors qu’il correspond avant tout à un problème intime, très privé, très particulier, qui devrait rester dans le secret des consciences. Vouloir légiférer, c’est vouloir donner des règles générales à ce qui ne peut être que particulier.
C’est un débat qui a été souvent "pollué" par des affaires comme celle de Chantal Sébire ou celle de Vincent Humbert qui ne correspondaient pas à l’euthanasie mais au suicide assisté, ce qui est un peu différent.
Comme l’a dit en 2008 le député Jean Leonetti, médecin et grand spécialiste de la question au Parlement, « le débat autour des droits des malades et de la fin de vie ne saurait se réduire, comme certains voudraient le faire croire, à une réponse simple à une question simple. ».
Certes, un sondage aurait laissé entendre que les Français étaient favorables à l’euthanasie à 94%. Un tel score stalinien n’est cependant pas vraiment exploitable.
Dans cet article en plusieurs parties, je définirai certains termes et la teneur du texte qui sera en discussion, puis, j’évoquerai le fameux sondage qui a donné des ailes à un certain nombre de militants, j’aborderai ensuite les enjeux avec l’expérience de législations dans d’autres pays, enfin, je me pencherai sur les arguments régulièrement utilisés avant de conclure.
Définitions
Pour être clair dans ce qui va suivre, il est essentiel de définir certains termes qui sont souvent employés dans le débat.
L’euthanasie consiste à donner la mort à une personne mourante qui la demande clairement. Cette définition n’est cependant pas assez précise puisqu’il y a deux types d’euthanasie : active et passive, et deux modes : direct et indirect.
L’euthanasie active est le fait qu’un tiers (en principe un médecin) entraîne la mort par un acte concret (injection de liquide létal, par exemple).
L’euthanasie passive, au contraire, est lorsqu’on ne fait rien, lorsqu’on s’abstient de soigner.
L’euthanasie active indirecte, c’est par exemple administrer des traitements palliatifs pour réduire les souffrances, ce qui peut provoquer la mort sans l’intention de la donner. En 2008, la France comptait environ quatre mille places de soins palliatifs (soit 6,4 pour 100 000 habitants).
L’euthanasie passive indirecte, c’est refuser l’acharnement thérapeutique, ce qui peut entraîner la mort.
Ces deux types d’euthanasie indirecte sont autorisés par la loi Leonetti du 22 avril 2005.
L’euthanasie passive directe, c’est le refus de tous soins, ce qui entraîne une non-assistance de personne en danger et est réprimé en France.
Enfin, l’euthanasie active directe, c’est le fait d’administrer un traitement dans l’intention de donner la mort. Aujourd’hui, c’est considéré comme un meurtre et c’est sur ce point que le texte de la proposition de loi sorti le 18 janvier 2011 veut agir.
Rappelons que même si un individu le demandait, personne en France aujourd’hui n’est autorisé à tuer cet individu sans être poursuivi pour assassinat.
Dans tous les cas, l’euthanasie est différente du suicide assisté qui consiste à aider une personne suicidaire à accomplir son acte parce qu’elle en est elle-même incapable matériellement (fourniture des produits nécessaires, accompagnement etc.) mais qui ne délègue pas l’acte de tuer.
Généralement, le suicide ne correspond pas à une condition d’agonie ou de fin de vie. Hélas, les personnes dépressives sont souvent suicidaires. Heureusement que beaucoup d’entre elles ne passent pas à l’acte et encore plus heureusement que des organisations (comme cela se passe en Suisse) n’aident pas au passage à l’acte.
Le texte débattu
Ce qui me choque dans le texte de la Commission, cité au début de mon article, c’est le concept nouveau, une « assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur ».
Or, cela signifie deux choses : d’une part que les médecins pourraient donner la mort (mais ne seraient pas obligés), et d’autre part, qu’une loi légaliserait la mise à mort d’une personne.
Cette possibilité offerte d’un tel acte "médical", avec la volonté du malade en principe, irait sérieusement détériorer le lien de confiance qui unit le malade à son médecin, et créerait inévitablement un soupçon psychologiquement insupportable, comme cela a pu déjà se constater aux Pays-Bas (voir plus loin).
La mission parlementaire évoque deux autres risques : la déresponsabilisation du médecin « dans son devoir de tout mettre en œuvre pour procurer au patient le meilleur soin » et surtout « une fragilisation des exigences morales des médecins » en remarquant : « Pour un corps médical qui pourrait traiter la mort comme une option possible, le sens de l’absolue singularité de la vie d’un homme risquerait de disparaître. ».
Le fait que la loi permette à une personne d’attenter à la vie d’une autre, même avec toutes les précautions possibles, créerait un précédent irréversible qui permettrait, par la suite, des dérives terribles. La Ministre de la Santé Roselyne Bachelot l’exprime ainsi : « La vie d’autrui n’est à la disposition de personne. ».
Jacques Attali l’avait déjà envisagé très cyniquement il y a une trentaine d’années : « Des machines à tuer permettront d’éliminer la vie, lorsqu’elle sera trop insupportable ou économiquement trop coûteuse. Je pense donc que l’euthanasie sera une règle de la société future. » ("L’Avenir de la vie", 1981). Il ne s’agit plus du droit de mourir (tout le monde mourra), mais bien du droit de tuer.
Le texte adopté en Commission définit en outre un cadre juridique très flou sans réel contrôle. Par exemple, il est demandé de vérifier « le caractère libre, éclairé et réfléchi de [la] demande » sans donner plus de critère d’éclairage, de liberté ni de réflexion.
Le texte voudrait supprimer une prétendue hypocrisie mais en réinstallerait aussitôt une autre dans son cinquième article : « Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats où elle est partie la personne dont la mort résulte d’une assistance médicalisée pour mourir » dont on peut comprendre l’intérêt en relation avec les contrats d’assurance.
Surtout, les opposants à ce texte considèrent qu’il nie tout simplement la grande avancée qu’a introduite la loi Leonetti, à savoir le développement des soins palliatifs et la fin de l’acharnement thérapeutique.
Une psychologue de l’hôpital de Quimper explique ainsi : « On a les moyens de soigner la douleur en dosant par exemple la morphine de façon très fine. ».
Dans la prochaine partie, j’expliquerai en quoi le sondage publié le 2 novembre 2010 ne donne aucune indication vraiment exploitable.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 janvier 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Texte exact qui sera débattu le 25 janvier 2011 au Sénat.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.
Loi Leonetti du 22 avril 2005.
Rapport du 28 novembre 2008 sur la mission d’évaluation de la loi Leonetti.
Ordre du jour du Sénat du 25 janvier 2011.
Le texte des trois propositions de loi en discussion.
Sondage IFOP du 2 novembre 2010.
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