Euthanasie, secret médical… échange avec Hippocrate
Euthanasie (mort douce en grec)
Docteur Hippocrate, permettez-moi, pour les besoins de mon exposé, d’imaginer vous rendre vie, 25 siècles après votre décès. Je vous interpellerais sur votre sentiment quant à l’acharnement que mettent mes contemporains à trouver pertinent de se conformer au serment qui porte votre nom :« le serment d’Hippocrate ». Vous êtes né en 460 avant Jésus Christ sur l’île de Cos, une île de la mer Egée en Asie mineure. Grand médecin et grand philosophe, vous fréquentiez Aristote et Platon, vos maîtres faisaient partie des plus grands hommes comme Démocrite.
Le serment d’Hippocrate dont vous êtes l’auteur commence par ces mots : « Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses… ». Permettez-moi, sans vous offenser de prétendre que de nos jours, ce préambule, ainsi que les prières et incantations qui suivent sont totalement décalés. Ils évoquent pour moi des films que nous appelons « Péplum » ou, des sectes. Eh bien, ils sont à peine mis au goût du jour, votre serment est encore une référence actuelle en matière de déontologie pour la médecine ! seuls, quelques petits accommodements ont été apportés. Vous prôniez : « Je ne mettrai à aucune femme un pessaire abortif … ». Pourtant, l’IVG est autorisée depuis 1975. Les « Dieux Internet Wikipédia » révèlent dans « Wikipédia Hippocrate », dans la rubrique une relation thérapeutique, alinéa objet de la santé, une consternante immoralité, empreinte d’orgueil. Vous déclarez en effet, vous adressant à vos étudiants, qu’il ne faut pas soigner les cas jugés désespérés, de crainte d’y laisser sa réputation.
Votre serment, instaure la confraternité entre médecins, l’égalité des hommes devant la maladie, la défense de la vie avant tout et le respect du secret médical. Le serment que vous avez légué à la postérité, est un texte actuellement prononcé par les médecins au moment de recevoir leurs diplômes. Il n’a pas de valeur juridique. Il rappelle à ceux qui le prononcent les obligations légales, morales et éthiques liées à leur métier. Vous imaginez aisément qu’en 25 siècles les choses ont bien changé, nous ne sommes plus dans une autre époque, mais dans un autre monde.
Comment comprendre alors que notre médecine contemporaine n’accepte pas de légiférer sur une revendication très majoritaire du peuple, concernant l’euthanasie ? De nos jours, il existe un autre stade que la vie ou la mort. Celui-ci est une sorte « d’entre deux », un coma dans lequel la conscience de l’individu a disparu, seul son corps subsiste. C’est incroyable, je sais ! Quand une personne sombre dans l’inconscience, en arrêt cardio-respiratoire, il est légitime, bien sûr, de la réanimer mais … plus tard, quand les médecins attestent, grâce à l’IRM, que le cerveau est gravement lésé, endommagé, ils abandonnent ces êtres à leurs tristes sorts. La véritable rupture anthropologique se situe là ! Il y a encore quelques siècles, cela n’était pas possible, mais de nos jours, avec les progrès de la réanimation, on va chercher les patients à la frontière de la mort sans avoir même la certitude qu’il n’y a pas de souffrance. Qu’en pensez-vous Docteur Hippocrate, vous à qui nous devons la locution : « Primum non nocere », c’est-à-dire : d’abord ne pas nuire. Appliquées à notre époque, les deux injonctions que vous formuliez aboutissent à des situations impensées : « Je ne prolongerai pas abusivement les agonies » et « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ». Oui mais voilà, vos héritiers prolongent les agonies et ne provoquent pas la mort. Quand les paramètres biologiques sont stabilisés, les corps peuvent végéter des mois, des années. Il n’y a pas de tuyaux à enlever, il n’y a plus rien à faire. Cette cruelle situation est pire que la pire des peines. Mon fils est resté 8 ans ½ dans cet enfermement, totalement inconscient et paralysé. Toujours alité, il ne pouvait pas être déplacé, il ne tenait pas sa tête. Son corps adoptait des positions viciées, ses chairs s’abîmaient, son squelette se recroquevillait. Il était nourri par sonde de gastrostomie qui perforait son estomac et respirait par trachéotomie. Il faisait de constantes fausses routes car il déglutissait à minima sa salive et s’étouffait donc régulièrement dans ses propres glaires. Mon témoignage est certainement pour vous, docteur Hippocrate, un véritable choc civilisationnel. C’est une fracture avec l’esprit même de ce que vous imaginiez pour les héritiers de votre art. N’oublions pas primum non nocere. A défaut de guérir, la médecine condamne à des peines de vie. Avec mon mari, nous demandions juste, pendant des années, qu’on lui accorde « le droit de mourir », puisqu’il ne pouvait plus vivre. Lorsque ce droit lui fût accordé, il mourût en 6 jours, sans médicaments, sans hydratation, sans nutriments, son gavage était stoppé. C’est la loi ! Celle-ci émane surtout de vos confrères qui, pour beaucoup d’entre eux, siègent dans un lieu de gouvernance appelé Assemblée Nationale. Par contre, notre enfant n’a pas été sédaté, en contradiction avec la loi, car l’équipe soignante a eu peur d’être accusée d’euthanasie. La frontière si ténue entre ce qui est autorisé (la sédation profonde et continue) et ce qui est interdit (l’euthanasie) génère des situations atroces. Un outil précieux dans l’établissement du diagnostic a vu le jour, il s’agit de l’IRM (image à résonnance magnétique). Pourtant, les médecins, informés des lésions très graves et irréversibles de notre fils ont été le chercher à la frontière de la mort en sachant que « la petite mort » l’attendrait pour toujours, nous demandant, parallèlement, de prendre en urgence nos dispositions pour son décès. Sont-ils plus inhumains que vos pairs de la cité Athénienne ? Non, je ne le crois pas, ils ont peur de la loi ! Ainsi, notre sort est scellé dans l’intimité des murs d’un hôpital, en fonction d’une bonne ou d’une mauvaise pioche. L’initiateur même de la loi qui porte son nom, Monsieur Léonetti, a évoqué dans son livre « à la lumière du crépuscule » le cas de mon enfant en le comparant à « un laisser crever ». Nos contemporains ont peur d’être les prochains condamnés, victimes d’accidents vasculaires cérébraux, d’accidents de la route, de crises cardiaques, etc… Une loi a été votée qui instaure la sédation profonde et continue jusqu’au décès en fin de vie, à la demande réitérée du patient. Mais là… le patient ne peut plus s’exprimer et il n’est pas considéré en fin de vie. Certes, on peut écrire une sorte de testament pour nos derniers jours, appelé « directives anticipées », mais il n’est pas opposable. Même les nourrissons grands prématurés non viables sont soumis à ces effrayants protocoles. La prolongation de leur agonie est insupportable. Elle a été dénoncée par le centre éthique de l’hôpital Cochin et toute une équipe constituée de médecins, infirmières, psychologues, juristes. Cette enquête est publiée par le journal « Libération » sous le titre « Agonie du nourrisson, des mots sur l’inconcevable ». Voici quelques déclarations de parents : « on a vécu l’enfer, cela a été trop long » ; « cela a duré 18 jours » ; « c’était un bébé potelé, à la fin elle est devenue méconnaissable ». Un médecin réanimateur avoue : « les infirmières pleuraient, le visage du nourrisson devenait si lisse que l’on ne voyait plus d’expressions ». Une juriste, Mme Laurence Brunet déplore : « dès que la peau se dégrade, c’est insupportable … », « voir leur enfant devenir une poupée de chiffon … ». Eh bien, savez-vous docteur Hippocrate, que le paroxysme de cette barbarie est atteint par les propos d’une dame qui appartient au corps médical, une de vos consœurs, psychologue clinicienne de renom qui qualifie nos revendications de violentes et obscènes !
Beaucoup de maladies ont disparu depuis l’antiquité, mais de nouvelles sont apparues. La recherche scientifique a fait des découvertes majeures. Elles ont permis de transformer des maladies mortelles en affections chroniques qui au bout du bout, malheureusement, imposent des souffrances insoutenables. On vit beaucoup plus vieux, ce qui induit le développement de polypathologies incurables. L’existence devient alors un calvaire. La loi permet une sédation à court terme, transformant certaines vies en enfer. Le court terme est un cynique compte à rebours, mystérieux pour moi, puisqu’il est élaboré à partir d’une date inconnue de tous, la survenue de la mort. Les patients au bout d’une à trois ou quatre semaines présentent des corps décharnés, un teint cireux, c’est la dernière image qui va rester gravée dans la mémoire des proches. Parmi les malades en phase terminale de cancer, seuls 2 à 3 % réclament une aide active à mourir, en proie à des douleurs réfractaires, d’après une enquête de l’académie de médecine auprès de directeurs de centres anti-cancéreux. Ce chiffre s’élève tout de même à 4000 personnes par an. Les patients atteints de maladies neurodégénératives viennent grossir ce chiffre, en général, ils fuient à l’étranger ou des institutions plus compatissantes les prennent en charge. Mourir en détresse respiratoire constitue, à mon sens, une honte pour la médecine. Les témoignages de personnes atteintes de maladie de Charcot qui nous parviennent, sont édifiants, à cet égard. Croire que la loi est faite pour le plus grand nombre est faux, la loi est justement faite pour les minorités, pour les protéger. Un avocat contemporain donnait un exemple précis et illustrant : Des enfants se noyaient chaque été dans la piscine de leurs parents, alors il fût décidé de clôturer ces bassins. Pourtant, cela ne concernait que très peu d’enfants.
Pour votre information docteur, à ce jour, il existe sur la planète deux façons de gouverner. La première impose ses lois, ses règles : cela s’appelle une dictature. La seconde discute longtemps, tergiverse, consulte, explique et, après de nombreux atermoiements, impose finalement ses lois, ses règles : cela s’appelle la démocratie.
Dans l’épineuse question de la fin de vie, on refuse même aux français un référendum, au seul motif qu’ils ne sont pas en capacité d’avoir tous les outils de la réflexion sur ce sujet et que la question n’appelle pas une réponse simpliste, binaire : oui ou non, pour ou contre ! Effectivement, nous n’avons pas fait d’études de médecine, mais osons solliciter de nos gouvernants une écoute. Curieusement, par ailleurs, nos responsables politiques nous exhortent à voter pour élire notre futur président alors que nous n’avons pas fait d’études politiques. Toutes ces manœuvres s’appellent, « subtiles nuances » ou « enfumages ».
Le secret médical
Le secret médical, docteur Hippocrate, que vous prôniez dans votre serment est bafoué. Notre société a mis au point, au louable motif de faciliter le suivi et la coordination des soins, des dossiers dits « dossiers partagés ». Oui, mais voilà, cet espace santé n’est pas inviolable. Les données numériques en stock sont consultables par tous les intervenants d’un processus, même les non soignants. Elles peuvent aussi tomber entre les mains de fonctionnaires tels que les agents des mutuelles et des assurances qui peuvent se servir contre nous, d’informations dites confidentielles. Le secret n’est plus ce qu’il était ! Le respect de la vie privée et l’exigence de santé publique ont également mis en exergue les failles d’un système. Dans la période de pandémie de covid 19 que notre planète vient de connaître, les institutions politiques, scientifiques et sanitaires se sont substituées à nos médecins. Le secret est devenu obsolète. L’urgence de la situation légitimait sûrement de telles pratiques. Cependant, l’articulation entre le respect de la vie privée et les nécessités de la santé publique reste à définir. La loi santé de 2016 a été décriée pour les mêmes raisons. Des instituts privés qui pouvaient démontrer que l’exploitation de certaines données avaient un quelconque intérêt de santé publique, se sont vus octroyer un droit de consultation.
Notre système de prise de rendez-vous élabore une gradation des urgences, dans un contexte de manque de médecins. Une standardiste, telle une pythie bureaucratique, « en consultant ses oracles », connait la gravité de votre problème sans vous voir, sans vous connaître, sans études scientifiques, sans clause de confidentialité, sans serment de secret médical.
Le désintéressement
Le désintéressement, à notre époque, reste lettre morte, ou presque ! Pourtant, le code de déontologie devrait protéger cette valeur essentielle qu’est le libre accès des soins pour tous. Il prévoit que les dépassements d’honoraires doivent être pratiqués, je cite, avec « tact et mesure ». Mais concrètement ce n’est pas respecté et cela participe du développement des déserts médicaux. Ces deux vertus que sont le tact et la mesure relèvent d’une appréciation subjective. C’est à la section disciplinaire de l’ordre des médecins qu’il appartient de surveiller la légitime application du tact et de la mesure. En somme, ils sont juges et parties. Ce que vous appeliez docteur, confraternité, se nomme de nos jours corporatisme ou, plus familièrement « copinage ».
Vos grands temples de la santé, pour nous, les hôpitaux, sont gérés comme des entreprises. A leurs têtes, des gestionnaires surdiplômés régissent tout. Non, ils ne sont pas médecins ! La principale qualité que l’on attend de ces patrons c’est le rendement, c’est-à-dire que cela rapporte beaucoup, beaucoup d’argent.
Dans le même esprit, la tarification à l’acte appelée T2A donne droit à des dotations précises pour l’hôpital. Plus il y a d’actes, plus la dotation est élevée. Je vous livre un exemple édifiant qui concerne les soins palliatifs de fin de vie : Lorsque le patient arrive à l’hôpital et meurt avant minuit, l’hôpital touche 800 euros. Si le patient passe le cap de minuit, et meurt donc après minuit, l’hôpital touche 8000 euros. Cette pratique n’est pas assujettie à une condition de durée de séjour. Des centres font même sortir le mourant pour le réadmettre juste après et toucher le prix de deux séjours au lieu d’un seul. Je suis, grâce au Dieu Internet, dans la confidence du Professeur Grimaldi de l’hôpital la Pitié Salpêtrière qui dénonce ce système nauséabond.
Voilà ! Le portrait de certains de vos confrères du futur prend forme sous ma plume acerbe, mais c’est plus un système que des pratiques médicales individuelles que je souligne. Docteur Hippocrate, vous êtes issu des Asclépiades, une famille aristocratique qui prétend descendre, en droite ligne, du Dieu Asclépios. Sachez que 25 siècles plus tard, nous avons, nous aussi une cohorte de demi Dieux. Ces bien-pensants nous assènent, sur un ton condescendant, que la mort est un sujet trop sérieux pour être confié aux mortels que nous sommes. Socrate disait : « Ce qui fait l’homme c’est sa grande faculté d’adaptation ». Notre monde contemporain nous prouve que l’homme, au contraire, se cache derrière un paravent de bonne conscience pour ne pas légiférer. Quelles doctrines médicales, à votre avis, quelle éthique transcendantale légitiment les souffrances institutionalisées actuelles.
Je pense que la paix sociale ne s’acquiert que dans la concertation et l’adaptation d’une évolution technologique aux besoins de l’homme et non l’inverse. Notre civilisation a connu son « âge d’or » avec le siècle des lumières. Pourquoi nous évertuons-nous, Docteur Hippocrate, à inventer un « siècle de l’ombre » en ne plaçant pas l’humain au-dessus de toutes les valeurs ?
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