Femmes battues : un choquant verdict
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Réuni à Blois, le jury de la Cour d'assises du Loir-et-Cher a confirmé le jeudi 3 décembre en appel la condamnation à dix ans de réclusion de Jacqueline Sauvage pour le meurtre de son mari. Durant 47 ans, cette femme avait pourtant vécu un enfer auprès de son conjoint violent, également auteur de coups fréquents sur ses enfants, et d’abus sexuels sur ses trois filles...
10 septembre 2012, la Selle-sur-le-Bied, dans le Gâtinais. Après 47 ans de vie commune avec Norbert Marot, Jacqueline Sauvage, âgée de 65 ans, ne supporte plus les coups, les humiliations et les abus sexuels dont elle est victime depuis des décennies de la part de cet homme irascible et alcoolique. Elle les supporte d’autant moins que ses trois filles – Sylvie, Carole et Fabienne – ont elles aussi eu à subir dans leur enfance les violences de son mari : non seulement il les a également frappées, mais il a commis sur elles d’odieux abus sexuels, allant jusqu’au viol pour deux d’entre elles. Comble d’horreur : la veille, le fils de Jacqueline Sauvage, lui aussi accoutumé aux coups, a mis fin à ses jours en se pendant.
En cette mi-journée de septembre, Jacqueline Sauvage, frappée pour la énième fois par son violent conjoint, a le sentiment que son mari va, tôt ou tard, mettre à exécution les menaces de mort qu’il si souvent proférées contre elle. Dans le lourd contexte du décès par pendaison de son fils, c’en est trop pour la pauvre femme. Profitant d’un instant d’accalmie, elle s’empare du fusil de chasse et, pour protéger sa propre vie, abat son mari de trois coups de fusil dans le dos sur la terrasse de leur pavillon. Un cauchemar est terminé. Un autre se profile...
Le 28 octobre 2014, Jacqueline Sauvage est condamnée à 10 ans de réclusion par la Cour d’assises du Loiret. Les jurés, malgré les témoignages à décharge, ont estimé que la « légitime défense » ne pouvait être retenue, compte tenu des circonstances du meurtre : certes, Jacqueline Sauvage a bien été frappée ce jour-là, mais elle n’était pas directement menacée à l’instant où elle a fait feu, comme le montrent les impacts « dans le dos de la victime ».
Compte tenu du climat qui régnait dans la maison et de la réalité des violences exercées par ce tyran domestique à l’encontre de tous les membres de la famille, le verdict n’en est pas moins incompris dans le Loiret. Un appel ayant été interjeté, il est toutefois probable que la peine sera allégée, comme le souhaitent de manière unanime les filles de la condamnée...
Novembre 2015. Détenue depuis près de trois ans, Jacqueline Sauvage comparaît à Blois devant la Cour d’assises d’appel. Une nouvelle fois, sa vie, émaillée de violences graves et répétées, est retracée à la barre. Parmi les témoins, ses filles confirment les multiples agressions dont elle a été l’objet, de même que les coups et les abus sexuels dont elles ont elles-mêmes été victimes. Le suicide du fils, mort par pendaison la veille du drame après avoir été une nouvelle fois battu par son père, est lui aussi présent dans les débats. De quel poids a pesé ce fait horrible dans l’acte d’une mère forcément affectée et psychologiquement affaiblie lorsqu’elle s’empare du fusil ?
« Fracassée pendant 47 ans »
Dans de telles conditions, la validation par le jury de Blois de la peine de 10 ans de réclusion requise par l’avocat général Frédéric Chevallier semble une nouvelle fois disproportionnée en regard de l’histoire des deux principaux acteurs de ce drame : le conjoint violent et la meurtrière par « accumulation ». En quoi cette femme peut-elle représenter un danger pour la société qu’est censé défendre le ministère public ? En rien, et de cela toutes les parties présentes à l’audience sont conscientes.
Pour autant, la peine infligée à Jacqueline Sauvage « ne doit pas être un permis de tuer », estime non sans raison le magistrat. Pas même pour une femme violentée depuis des décennies. À cet égard, Frédéric Chevallier n’a pas tort de rejeter l’extension du concept de « légitime défense » à l’état de danger permanent dans lequel se trouvent les femmes battues, comme le réclament, sur le modèle de ce qui existe au Canada, les avocates de Jacqueline Sauvage. Des avocates en l’occurrence bien décidées à faire avancer cette cause après l’acquittement, en 2012 à Douai, d’Alexandra Lange*, elle aussi poursuivie pour le meurtre de son conjoint violent. Nul doute cependant que ce débat ressurgira dans l’avenir, sous l’opiniâtre impulsion de Me Janine Bonaggiunta et Me Nathalie Tomasini dont l’action judiciaire est dédiée aux affaires de violences faites aux femmes.
Mais entre les arguments de droit énoncés par l’avocat général et la réalité glaçante d’une vie de femme « fracassée pendant 47 ans, psychologiquement et physiquement » comme l’a clamé à juste titre Me Tomasini, n’y avait-t-il aucune place pour un jugement plus nuancé ? Aucune place pour un verdict plus en rapport avec l’enfer que vivent les femmes battues, de surcroît mères d’enfants eux-mêmes violentés ?
Le plus étonnant est que, dans son réquisitoire, l’avocat général – sans doute gêné moralement – a affirmé aux jurés que, compte tenu du temps déjà passé par Jacqueline Sauvage en prison et des possibilités de remise de peine, la condamnée serait libérable en janvier 2017. Une perspective de libération relativement proche qui a très certainement dû influencer les membres du jury et les inciter à infliger cette peine de 10 ans réclamée par le magistrat. Et c’est ainsi qu’a été prononcé ce choquant verdict qui, en renvoyant la condamnée pour 14 mois en prison, ne satisfait pratiquement personne. Il eût pourtant suffi à Frédéric Chevallier d’assortir cette peine de 5 ans de sursis sur les 10 réclamés pour que Jacqueline Sauvage soit immédiatement libérable au titre des remises de peine.
Au-delà d’un complexe et très aléatoire recours juridique sur les conditions d’application de la durée de sûreté applicable au cas de la condamnée, il reste cependant une possibilité de remettre rapidement Jacqueline Sauvage en liberté et de lui permettre de retrouver ses filles et ses petits-enfants : la grâce présidentielle. Compte tenu du temps déjà passé par Jacqueline Sauvage en prison, et de la nécessité pour le pouvoir exécutif de donner des signaux forts de soutien à la cause des femmes victimes de violences graves et répétées, le président Hollande se grandirait en sortant de cellule une « victime » qui, après un demi-siècle d’enfer conjugal, a d’ores et déjà largement payé sa dette pénale.
* Dans un livre intitulé « Acquittée », Alexandra Lange a délivré un puissant témoignage de ses 12 années de femme battue. Le livre a été adapté pour la télévision dans un téléfilm intitulé « L’emprise ».
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