Fins d’années dans les établissements scolaires : la loi républicaine méprisée
Les fins d’années dans les établissements scolaires se ressemblent depuis des lustres : conseils de classe commençant dès la fin mai, examens début juin dans les lycées qui ferment pour cause d’organisation de Bac. Tout le monde sait que, même si les « grandes vacances » ne commencent que début juillet, l’année est quasiment finie dès le mois de mai. Mais dans les établissements toujours ouverts, la plupart, chacun doit faire comme si le travail continuait normalement.
C’est l’époque où les conflits plus ou moins maîtrisés ou confinés pendant les mois qui ont précédé peuvent s’exacerber. Les élèves, déjà peu portés sur le travail en cours d’année, sont totalement démobilisés : les bulletins trimestriels sont remplis ; il n’y a plus de notes à craindre, puisque seule compte la note quand on travaille.
Le cancre fait la roue.
L’élève récalcitrant se sent alors pousser des ailes : les observations, les exclusions ponctuelles de la classe, les exclusions de trois ou huit jours n’ont eu aucun effet. L’occasion est trop belle pour ne pas prendre définitivement ses aises et perturber un cours sans risque aucun. Si ce n’est pas par vengeance, c’est au moins par ambition de se valoriser un peu aux yeux de ses camarades dont il a vu le peloton, au fil de l’année, s’éloigner loin devant lui tandis qu’il mettait pied à terre. « L’élève en difficulté », selon l’hypocrite expression humanitaire administrative, ou mieux « le cancre », comme le promeut l’aimable Prévert - qui lui attribue gratuitement des qualités de cœur dispensant du travail - exerce, toujours, une fascination sur les élèves qui, eux, travaillent pour s’en sortir : il peut leur arriver de trouver à la transgression un certain panache, éveillant en eux une compassion pour celui qui la commet et qu’on n’a pas cessé de sanctionner. Est-ce la difficulté routinière de l’effort qui ne finit jamais ? Toujours est-il qu’ils sont bien près, à certains moments d’égarement et de fatigue, de faire cause commune avec « le cancre en difficulté », à seule fin de goûter aux saveurs vénéneuses de la transgression, comme on se laisse aller à tirer sur un joint, seulement pour voir.
Le professeur fait la moue.
Que peut bien faire, un professeur, face à cette situation, quand il a devant lui plus d’un mois et demi de cours que l’organisation administrative a définitivement stérilisé et « un cancre en difficulté » résolu à lui faire payer sa seule volonté de faire respecter les règles de la classe, y compris par l’injure ?
Question oiseuse ! objectera-t-on. Elle l’est, en vérité, quand on ignore ce qui se passe dans un établissement scolaire et qui explique pourquoi on en est là aujourd’hui.
- Dans un premier temps, le professeur peut user à nouveau de l’exclusion ponctuelle de la classe, et exiger de l’élève fautif une lettre d’excuses et un engagement à respecter les règles de la classe. Seulement, quand c’est la troisième fois de l’année que l’élève s’engage ainsi sans autre conséquence que de récidiver à la première occasion, et qu’ouvertement devant ses camarades, il prétend, bravache et sans pudeur, n’accorder aucune valeur à ses engagements écrits, le problème reste entier.
- C’est alors que l’exclusion définitive du cours apparaît comme la seule solution, si le professeur veut préserver le travail de tous les autres élèves pour le mois et demi à venir, ou, à défaut, l’image qu’ils doivent se faire des lieux et du personnel affectés à l’instruction et à l’éducation.
Le chef d’établissement fait sa loi.
C’est ici que le conflit s’envenime, car il s’étend : le professeur doit alors faire face au chef d’établissement dont le maître-mot rituel est « Vous n’avez pas le droit ! ». Ce que recherche avant tout cet administrateur, avec son surveillant général (appelé conseiller principal d’éducation), c’est sa paix ! Et la technique consiste à nier un problème pour n’avoir pas à lui trouver de solution ! Ainsi, « un cancre en difficulté », lui, peut bien, pendant toute une année, contrarier le travail de tous, élèves et professeurs, ne fût-ce que parce qu’il a fallu s’interrompre à chaque fois en cours et le faire accompagner par un délégué de classe jusqu’à la "vie scolaire". Mais un professeur, lui, ne peut pas perturber définitivement... la volonté perturbatrice d’un « cancre en difficulté », au nom... de l’obligation scolaire ! Si le professeur n’y prend pas garde, le chef d’établissement en viendrait à lui faire croire que l’obligation scolaire l’emporte même à l’École sur les Droits de la personne : car le comportement du « cancre en difficulté » est toujours injurieux : et l’injure est un délit ! Mais l’École s’en moque. Belle éducation à la vie sociale ! Au professeur de se débrouiller avec un pré-délinquant, sans avoir la possibilité de faire respecter la loi !
Les collègues font la sourde oreille.
A-t-il seulement la possibilité de se retourner vers ses collègues qui, eux aussi, toute l’année, ont eu affaire au « cancre en difficulté », avec même une difficulté beaucoup plus grande ? Ils ont été pour une fois unanimes, par exemple, en conseil de classe du deuxième trimestre, jusqu’à adopter trois jours d’exclusion de l’établissement, à titre d’avertissement ! Mais voilà, quand il s’agit de prendre ses responsabilités pour affronter la hiérarchie, il n’y a plus personne ! Les « chers collègues » quittent vite la conversation et trouvent toujours quelque chose de plus urgent à faire. C’est que la peur viscérale de l’autorité, dans laquelle ils macèrent, est compensée chez eux par une obsession d’autovalorisation devant cette même autorité, au détriment des autres collègues : le plus bordélisé par « le cancre en difficulté » sera le premier à faire croire à ses progrès pour apparaître au chef d’établissement comme le maître le plus attentif, le plus psychologue, le plus expert...
Les parents font le cirque.
Reste alors une rencontre avec les parents du « cancre en difficulté », que le chef d’établissement, finaud, peut proposer au professeur comme solution. C’est un piège pour le malheureux qui s’y laisse prendre ! Que peut-il ressortir d’un entretien à trois en cette période de fin d’année ? Les parents ne doivent rien ignorer du comportement de leur « phénix » : ils ont été inondés d’avertissements divers et de motifs d’exclusion ponctuelle. Comment ont-ils réagi ? Bien souvent, le professeur les a rencontrés et ils lui ont confié qu’ils étaient dépassés : « Il ne veut rien entendre ! », ont-ils résumé, la mine déconfite. Cette attitude déférente est dictée le plus souvent par une crainte supposée de représailles. Au mois de mai, cette crainte n’est plus de saison, et le professeur devient vite le responsable de tous les maux dont souffre le petit : des parents « dépassés », comme ils disent, n’ont souvent que cette surenchère dans la défense de leur rejeton pour tenter de regagner un peu de considération auprès de lui... Le chef d’établissement est alors pris comme juge par ces parents, et le professeur désigné comme coupable !
L’École fait semblant.
Cela règle en tout cas le problème, pour le chef d’établissement, celui que lui a créé ce professeur en voulant simplement faire respecter les règles de la classe. Trace pourra même rester dans le dossier du malotru :« Ne tient pas sa classe ! », notera-t-on de façon elliptique et perfide, en se gardant bien de préciser que dans la classe de ce professeur, son exigence des règles élémentaires de respect mutuel fait qu’on travaille sérieusement, dans un climat propice au travail intellectuel, quand dans les autres classes, puisque les murs ont des oreilles, il est aisé de se rendre compte que le cours se déroule dans un charivari dont personne ne se plaint ! Jusqu’à quand pourra voguer cette galère d’École, où une notion pervertie de l’obligation scolaire justifie que le travail de tous soit perturbé par quelques individus, et que la loi républicaine soit méprisée ?
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