Fondation Denis Guichard : le colloque des dérives sectaires
La Fondation Denis Guichard, présidée depuis sa création en 1984 jusqu’en 2004 par Jean-Marie Pelt, vulgarisateur scientifique familier des auditeurs de France Inter, apparaît beaucoup moins sympathique que son ancien président. Désormais dirigée par Anne de Constantin, cette association (aussi connue sous le nom « Un nouveau regard sur le vivant ») est en effet une émanation du mouvement sectaire « Invitation à la Vie ». Cet évènement aura lieu à peine trois semaines après la publication du dernier rapport de la Miviludes qui épingle les dérives sectaires tout particulièrement dans le domaine de la santé.
Le 14 avril 2018, la Fondation Denis Guichard organisera un grand raout au théâtre de l’Athénée, à Paris, qui rassemblera de nombreux membres de ce groupuscule et des compagnons de route pour « choisir le vivant »… Ou plutôt pour faire du prosélytisme pour une vision très alternative et très conservatrice de la science et de la médecine.
Invitation à la Vie, charlatanisme médical et prosélytisme mortel
Mix de religions chrétiennes et orientales ainsi que de concepts ésotériques et New Age, l’association Invitation à la Vie est surveillée par la Miviludes (l’organisme d’Etat de lutte contre les dérives sectaires) et d’autres services étatiques depuis les années 80. Elle est en effet tristement célèbre pour ses pratiques charlatanesques qui ont conduit à la mort plusieurs de ses membres, faute d’avoir reçu un véritable traitement médical. Ce dernier ayant été remplacé par « l’harmonisation », une forme d’apposition des mains et des prescriptions naturopathiques.
La gourou Yvonne Trubert décédée en 2009, ce sont désormais Anne de Constantin (présidente de la fondation Denis Guichard) et Daniel Chauvin (président de l’association Invitation à la Vie et du laboratoire Sevene Pharma) qui assurent la diffusion de la bonne parole. Anne de Constantin signe ainsi la préface d’un des ouvrages d’Yvonne Trubert, grâce à laquelle lui est venue « la vocation […] d’allier les plus fines découvertes de la science, de la physique quantique, à ce qu’on appelle la spiritualité », précisément l’objectif de la Fondation Denis Guichard et de son prochain colloque. La fondation a d’ailleurs été créée en 1984, un an après Invitation à la Vie, en plein boom dans les années 80. Dès ses débuts, Anne de Constantin, sœur de Denis Guichard, en gère le fonctionnement dans l’ombre pleine de bonhomie de Jean-Marie Pelt. Daniel Chauvin assure, lui, le bon déroulement des affaires du culte (entre 1 200 et 4 000 euros par an de cotisation par couple membre) et jure la main sur le cœur devant une commission d’enquête du Sénat que son mouvement n’a aucun « caractère sectaire ».
Les amis d’Anne de Constantin : membres ou proches d’Invitation à la Vie
Selon ses propres dires, Anne de Constantin rassemblera le 14 avril à l’Athénée nombre de « ses amis » parmi lesquels Béatrice Milbert, Emmanuel Ransford et Gilles-Eric Séralini, « un ami très profond ».
Comme Anne de Constantin, Béatrice Milbert est une exégète de l’œuvre d’Yvonne Trubert, dont elle a préfacé un autre opus. Grâce aux enseignements de « l’harmonisation et la compréhension vibratoire de l’homme » transmis par la grande prêtresse d’Invitation à la Vie, cette médecin homéopathe et acupunctrice a découvert « la médecine quantique ». Une forme de « médecine » qu’aucune preuve scientifique ne vient étayer et qui fait partie de l’arsenal des pseudo-guérisseurs contre lesquels la Miviludes met régulièrement en garde. Ce qui n’empêche pas « Psychologies magazine » d’en faire la promotion, revue dirigée pendant une quinzaine d’années par de hauts responsables d’Invitation à la Vie (Agnès et Bernard Loiseau).
En plus de la médecine quantique et de l’harmonisation, Béatrice Milbert compte parmi ses violons d’Ingres « la mémoire de l’eau et la biologie numérique », ainsi que la recherche sur « les pathologies infectieuses, la médecine tropicale et la maladie de Lyme », dont elle se présente comme « une spécialiste ». Elle est ainsi présidente du Conseil scientifique de l’International Fund For Research on Lyme Disease. Problème, ce fonds de recherche créé par la naturopathe Judith Albertat (une autre intervenante du prochain colloque de la Fondation Denis Guichard) a été épinglé par Sciences & Avenir en avril 2017 pour avoir conduit un « essai clinique illégal sur l’homme ». En utilisant un stock périmé, Judith Albertat a confirmé avoir procédé à l’injection, « dans l’illégalité la plus totale » reconnaît-elle, à des patients d’un antiseptique dénommé « F84 », capable de « guérir définitivement des malades du sida » selon elle.
Sur la même longueur d’onde que Béatrice Milbert, Emmanuel Ransford se présente comme un physicien spécialiste de la physique quantique, tout en reconnaissant que « la physique quantique, personne ne la comprend vraiment ». Et jouant de ce constat, il a développé toute une théorie qui montre que « la conscience cérébrale s’enracine dans la réalité quantique » et que « cette conscience quantique rend plausible l’immortalité de l’âme ».
Fondateur et président de l’Institut International de la Psychomatière (dont il est le seul membre à s’en revendiquer), Emmanuel Ransford tente de donner une justification « scientifique » à la médecine quantique, examinant « notamment le magnétisme et la guérison à distance, les mémoires cellulaires et la reprogrammation cellulaire, la psychogénéalogie et le transgénérationnel, etc... Tout cela [le] conduira à souligner nos potentiels cachés, liés à notre nature psycho-matérielle ». Son intervention lors du colloque de la Fondation Denis Guichard dédiée au « monde fabuleux des plantes » pourra également s’appuyer sur sa théorisation des « fleurs quantiques »…
Aux côtés de ses partisans de la médecine quantique, interviendra un autre grand ami d’Anne de Constantin : Gilles-Eric Séralini. Beaucoup plus connu que ses deux comparses pour son travail sur les OGM et le glyphosate.
Le chercheur a déjà été critiqué en 2013 pour sa proximité avec Invitation à la Vie. Il avait en effet participé à plusieurs colloques de la Fondation Denis Guichard, fait financer une partie de ses recherches par celle-ci et réalisé des études sur l’efficacité des produits homéopathiques de Sevene Pharma. Ce laboratoire est dirigé par Denis Chauvin, le président d’Invitation à la Vie, et une partie du capital est aussi détenu par Anne de Constantin. A l’époque, le biologiste avait plaidé la bonne foi, indiquant n’avoir pas eu connaissance des liens entre la Fondation Denis Guichard, Sevene Pharma et Invitation à la Vie.
Cependant, Gilles-Eric Séralini a continué d’entretenir des relations régulières avec ces entités-satellites d’Invitation à la Vie : nouvelles études en 2015 et 2016 pour le compte de Sevene Pharma, et donc participation à un nouveau colloque de la Fondation Denis Guichard en avril 2018.
En parallèle, le CRIIGEN (Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique), dont Gilles-Eric Séralini est membre ainsi que Jérôme Douzelet (cuisinier, gérant de l’hôtel-restaurant « le Mas de Rivet », également présent au colloque d’avril), a maintenu ses relations avec Invitation à la Vie. Le CRIIGEN organise ainsi régulièrement des séminaires dans l’hôtel de Jérôme Douzelet, au programme desquels figure une visite du domaine de Mazet, propriété de Marie d’Hennezel. Marie d’Hennezel-Whitechurch (à ne pas confondre avec Marie de Hennezel, également proche d’Invitation à la Vie dans les années 80), qui se fait aussi appeler « Marie de Mazet », est une des biographes d’Yvonne Trubert, une des fondatrices et actionnaires de Sevene Pharma et son domaine fournit les plantes utilisées par le laboratoire.
Elle participera d’ailleurs le 14 avril au colloque sur le thème « Un jardin médicinal exceptionnel en Cévennes… », suivi de l’intervention « …et ses médicaments agissant sur la cellule vivante » présentée par Gilles-Eric Séralini.
Par ailleurs, Claire Laurant, salariée de Sevene Pharma, intervient en tant qu’experte lors des séminaires du CRIIGEN, par exemple en juin 2015 ou en septembre 2017, et le site du CRIIGEN assure la promotion de ses livres.
La Fondation Denis Guichard et le CRIIGEN sont également liés par leur intérêt commun pour les colloques qui sentent le soufre. Jean-Marie Pelt (l’ancien président de la fondation satellite d’Invitation à la Vie), Gilles-Eric Séralini et Jérôme Douzelet ont ainsi participé en 2015 au premier congrès de « santé naturelle » de l’IPSN, un lobby proche de l’extrême droite. Ils ont inauguré une tradition, puisque les années suivantes se sont succédés à ce congrès Joël Spiroux, Christian Vélot et Corinne Lepage : tous membres dirigeants du CRIIGEN.
Finalement rien d’étonnant à voir le CRIIGEN, et son scientifique-phare, entretenir les meilleures relations avec la Fondation Denis Guichard et Invitation à la Vie, puisque Jean-Marie Pelt a cofondé et présidé le CRIIGEN. Gilles-Eric Séralini a d’ailleurs rendu un hommage appuyé à son « grand ami », à l’annonce de son décès.
Un colloque qui fait la part belle aux scientifiques en plein naufrage
Hormis Gilles-Eric Séralini, le colloque accueille d’autres participants qui font régulièrement la une des journaux, bien que leurs liens avec Invitation à la Vie apparaissent moins évidents au-delà d’une communauté d’esprit.
En particulier, la présence du professeur Luc Montagnier pourrait sembler un gage de rigueur scientifique pour la journée organisée par le Fondation Denis Guichard. Béatrice Milbert et Judith Albertat ne sont probablement pas étrangères à cela, puisque la première est vice-présidente de « Chronimed » (collectif de médecins regroupés autour de Luc Montagnier) et la seconde est la fondatrice et ancienne présidente de « Lyme Sans Frontière » (parrainée par ledit professeur).
Cependant, le co-découvreur du sida, membre de l’Académie de médecine et prix Nobel de médecine a dérivé depuis le début des années 90 vers des thèses de plus en plus « farfelues », selon ses confrères. Dernier épisode en date, il a assuré lors d’une conférence en novembre 2017 que la vaccination était susceptible d’augmenter le risque de mort subite du nourrisson et lancé une pétition qualifiant de « grave erreur de santé publique » le passage à onze vaccinations obligatoires. Tout cela, le vénérable professeur l’a fait aux côtés d’Henri Joyeux : le très conservateur chirurgien en lutte contre les vaccins, radié en première instance par l’ordre des médecins (son appel est en cours d’examen) et très proche de l’IPSN. Cela vient s’ajouter aux précédentes déclarations de Luc Montagnier sur la possibilité de guérir du sida grâce à une alimentation équilibrée (ce qui lui a valu un tonnerre d’applaudissements de la fachosphère) ou bien la commercialisation d’un « test Montagnier » de dépistage de la maladie de Lyme reposant sur le principe jamais prouvé de la « mémoire de l’eau ».
La coupe est pleine pour le reste de la communauté scientifique. Lettre ouverte d’une quarantaine de Prix Nobel en 2012 pour dénoncer qu’il n’existe « aucun début de preuves scientifiques » aux affirmations de Montagnier. Rebelote en novembre 2017, lorsqu’une centaine de membres des Académies de médecine et de pharmacie condamnent ses « impostures scientifiques et médicales ». A défaut de se déclarer proche d’Invitation à la Vie, Luc Montagnier leur sert au moins d’idiot utile, arguant de son Prix Nobel et de son statut de co-découvreur du sida pour avancer des thèses compatibles avec celles d’Yvonne Trubert, la fondatrice d’Invitation à la Vie.
A cet égard, les autres participants du colloque sont du même acabit. André Picot (seul promoteur de la « toxicochimie » via son association ATC Toxicologie) côtoie Béatrice Milbert et Judith Albertat au sein du Conseil scientifique de l’International Fund For Research on Lyme Disease. Il soutient en parallèle les thèses anti-vaccins du médecin Romain Gherardi, présent également le 14 avril et affirmant que l’aluminium est « un indésirable absolu » dans les vaccins. Les recherches de ce médecin présentent toutefois « des faiblesses méthodologiques, conduisant à s’interroger sur la validité et la portée de leurs conclusions » selon l’analyse réalisée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).
Invitation à la Vie et anthroposophie, l’alliance des mouvements sectaires
En plus de s’appuyer sur ses fidèles et sur les thèses de chercheurs en déshérence, Invitation à la Vie a trouvé des alliés « naturels » : les anthroposophes. Il s’agit d’un autre groupe surveillé par la Miviludes pour ses dérives sectaires, notamment dans son dernier rapport (rejet de la vaccination, emprise économique dans le domaine de la santé, de l'agriculture, de la finance), et qui compte de nombreux membres ou soutiens, parmi lesquels Pierre Rabhi (conférencier et agriculteur biodynamique) et Françoise Nyssen (ministre de la Culture et propriétaire de la maison d’édition Actes Sud, dirigée par son mari Jean-Paul Capitani depuis qu’elle a rejoint le gouvernement d’Edouard Philippe).
Ainsi, s’explique la présence des époux Claude et Lydia Bourguignon, agronomes et biologistes spécialistes de la vie des sols et grands défenseurs de la biodynamie. Une méthode d’agriculture reposant sur des bases ésotériques fondées par Rudolf Steiner, le gourou de l’anthroposophie. Ce dernier ne cachait d’ailleurs pas ses sympathies pour les thèses racistes au début du XXème siècle et comptait parmi ses émules de hauts responsables nazis (dont Rudolf Hess, n°3 du IIIème Reich).
Claude et Lydia Bourguignon sont bien conscients du caractère mystique de la biodynamie et reconnaissent que « ce système d’exploitation est basé, en effet, sur une conception spirituelle de la nature qui heurte les esprits cartésiens ».
Les liens entre l’anthroposophie et Invitation à la Vie ne sont pas nouveaux, puisque Jean-Marie Pelt (l’ancien président de la Fondation Denis Guichard) a préfacé des ouvrages dédiés à la biodynamie et défendu aussi que les « vibrations » des protéines (l’une des trois actions fondamentales prêchées par Yvonne Trubert avec l’harmonisation et la prière) permettent de lutter contre les maladies des plantes selon un de ses « amis » : Joël Sternheimer (chanteur psychédélique dans les années 60 et docteur en physique quantique). Celui-ci est l’inventeur de la « génodique », technique activement soutenue par la Fondation Denis Guichard, qui permettrait de soigner les végétaux grâce aux vibrations musicales. Elle connaît effectivement un certain succès chez les viticulteurs biodynamiques, alors que les autres vignerons qui l’ont essayé ne constatent « aucune réduction » des maladies.
Enfin, le colloque de la Fondation Denis Guichard accueillera Eric Julien, à l’origine d’une association de défense des droits des Amérindiens Kogi : « Tchendukua », parrainée notamment par Jean-Marie Pelt (toujours indiqué sur le site malgré son décès en 2015) et Isabelle Peloux, fondatrice de l’école du Colibri. Cette dernière est une membre active du « Printemps de l’éducation », rassemblement des promoteurs de « pratiques éducatives défavorablement connues de la Miviludes », notamment la méthode Steiner (l’anthroposophie donc). A ce titre, elle fait partie des Colibris, mouvement créé par Pierre Rabhi (« ami de longue date » de Jean-Marie Pelt), qui ne cache pas non plus ses sympathies pour l’anthroposophie et son soutien actif aux pratiques biodynamiques. Pierre Rabhi et Eric Julien ont d’ailleurs cosigné un ouvrage commun « Vivre relié à l’essentiel : Le XXIe siècle sera spirituel... ou ne sera pas ! ».
En complément, Eric Julien dénonce « une médecine qui déconnecte les êtres des uns des autres et qui déconnecte surtout du vivant auquel on appartient », et suggère qu’« à force de vouloir trop se soigner, ou à force de rentrer dans une logique hyperspécialisée, est-ce que nous ne générons pas nos propres maladies et nos propres dysfonctionnements ? ».
L’ensemble des intervenants du colloque du 14 avril de la Fondation Denis Guichard se caractérise donc par la communion d’esprit qui les anime : charlatanisme et critique de la médecine et de la science. En 2001, Le Parisien s’était insurgé contre l’accueil au palais des Congrès de Versailles de la secte Invitation à la Vie. En 2018, rien de tel pour l’instant alors que le théâtre parisien l’Athénée est sous la tutelle du ministère de la Culture. Peut-être parce que la ministre Françoise Nyssen est elle-même proche de l’anthroposophie, en tant que créatrice d’une école Steiner « Le Domaine du possible » et principale éditrice avec Actes Sud de ces mouvements sectaires ?
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