Franc-maçonnerie : crises, cris et chuchotements
Plus personne, observateur extérieur ou franc-maçon de toutes obédidences, ne nie plus que la franc-maçonnerie française est en crise profonde, et que celle-ci, dont les causes sont multiples et s'expriment différemment selon les Grandes Loges concernées, se développe.
Certes, dans les cercles dirigeants de la franc-maçonnerie françaises, à quelques rares exceptions de prise de conscience des réalités, on détourne pudiquement les yeux de cette crise qu'on ne voudrait pas voir, et surtout affronter, quand on n'est pas dans le déni complet des faits.
Le discernement, qualité que les franc-maçons assurent vouloir posséder, est encore loin d'être exercée par la majorité des responsables, femmes et hommes, de cette galaxie qui, sous les coups qu'elle reçoit, tend à s'enfermer dans une tour d'ivoire close et stérile.
Et pourtant, comme la crise économique mondiale systémique, la crise est bien en développement au sein de la franc-maçonnerie française, comme nous en avions tracé les grandes étapes dans des articles antérieurs.
L'arbre mourant de la GLNF ne doit pas cacher la forêt qui brûle derrière
La tendance naturelle de tout membre d'une collectivité à laquelle les individus sont attachés est de nier ou diminuer au maximum, atténuer ou relativiser, les réalités négatives qui peuvent émaner de cette communauté.
Les franc-maçons, avec là aussi des exceptions fortes, n'échappent pas à cette règle sociale et humaine générale.
Depuis deux ans et demi, l'attention de la franc-maçonnerie et de ses observateurs s'est focalisée sur la terrible crise aux rebondissements incessants, de la GLNF, qui est, de l'opinion générale, à l'agonie, et surtout la honte de la franc-maçonnerie mondiale.
L'acharnement de celui qui s'en dit encore le Grand Maître, Franços Stifani, un avocat provençal, malgré les votes contraires de ses “frères” ( la GLNF n'accepte pa les femmes), aiguise la crise et la démultiplie :
http://blogs.lexpress.fr/lumiere-franc-macon/2012/06/28/stifani-jy-suis-jy-reste-bis-repetita/
et les décisions de Justice, dont certaines tardent parfois à être rendues, a créé une crise internationale de la franc-maçonnerie européenne dite “régulière”.
Ainsi, 5 Grandes Logs européennes (Suisse, Autriche, Luxembourg, Allemagne, Belgique) ont rompu tout lien avec la GLNF :
La Pologne a suivi quelques jours plus tard.
Et on apprend que la Grande Loge d'Argentine vient, le 24 juin, de suivre le mouvement, avec, dans son texte de rupture, ces phrases instructives (traduit de l'espagnol) qui ravivent le souvenir de la célèbre loge P2, un des plus grands scandales de la franc-maçonnerie :
“(… …) C’est dans un tel état d’esprit que la Grande Loge des Maçons Libres et Acceptés d’Argentine s’est toujours considérée comme amie de la Grande Loge de France, parce qu’elle savait que cette dernière partageait ses idéaux et ses príncipes.
Dès qu’il fut certain que la GLNF s’était éloignée au delà de ce qui était acceptable des Landmarks respectés par les maçonneries régulières, la Grande Loge d’Argentine n’a eu aucune hésitation pour mettre fin à ses relations avec la GLNF, d’autant que le lamentable souvenir de ce qui s’était passé en son temps avec la Loge P2, l’a aidé à découvrir le chemin erroné que ses actuels dirigeants ont imposé au sein de la GLNF. ”
La disparition de la GLNF, sauf changements brutaux et radicaux imprévus, est donc programmée. En tout état de cause, si elle survit, ce ne sera plus qu'une structure sans liens internationaux, donc discrtéditée, isolée et faible.
Il s'agit, cela doit être noté, de ce qui était en 2009 la seconde obédience française.
Ceci dit, il faut dire qu'avec ses réseaux « Françafrique », la GLNF a acquis une réputation d'association plus proche de l'eau sulfureuse nauséabonde que d'un bassin d'éthique morale intransigeante.
Mais, l'arbre de la crise publique de la GLNF ne peut cacher la forêt des autres grands et petits « corps maçonniques malades » au sein de la franc-maçonnerie française, comme le décrivait un intervenant franc-maçon sur un blog consacré à ce sujet.
Les grands et petits corps malades de l'affairisme, de la politique et des scandales ou la perte destructrice des bases éthiques revendiquées
La franc-maçonnerie française accumule en effet depuis plusieurs mois scandales, ennuis et affaires troubles.
La difficulté essentielle réside en ce que ces problèmes touchent de nombreuses obédiences et que les faits révélés montrent souvent que les dirigeants des Grandes Loges (faibles ou fortes en termes d'effectifs) sont assez peu réactifs aux événements qui frappent leurs associations, tandis que, à l'échelon local, des loges entières se solidarisent parfois avec leurs membres condamnés pour des faits graves.
La perte, ou pire, le rejet total des valeurs éthiques, civiques et morales que ces affaires démontrent dans la franc-maçonnerie française, serait, selon certains chefs maçons, et selon les cas, soit des « faits isolés déplorables », soit des « conséquences négatives » de choix stratégiques de recrutement.
Pour quiconque a suivi depuis des années les « dossiers » de la Françafrique, par exemple, il est difficile de croire à ces explications, jugées par beaucoup un peu « courtes ».
Nous ne reviendrons pas ici sur le vaste dossier, soumis à la Justice, des ennuis au sein de la fédération du parti socialiste du Nord Pas de Calais et les dérives graves, souvent liées à des loges entières du GODF selon diverses sources, que deux livres ont mises en lumière, impliquant des élus et entrepreneurs, dans leur immense majorité membres du GODF, ou sur l'affaire de l'Hôtel Carlton de Lille où sont apparus des noms de “frères” soupçonnés de proxénétisme et de détournements de bien sociaux (toujours du GODF).
Les observateurs de la sphère maçonnique attendent toujours des mesures fortes afin de mettre un terme aux errements et dérives constatés. Pour l'heure, en vain !
Cet aveuglement des dirigeants du GODF face aux évidences qui menacent leur Grande Loge est un mystère psychologique, d'autant que les dossiers “Guérini” dans les Bouches du Rhône et de “la Salle Wagram” à Paris semblent aussi impliquer, selon certains, des adhérents de ce même GODF.
Dans ce dernier dossier sulfureux, voilà ce qu'en dit le magazine “le Point”, qui indique que des hauts responsables policiers, aujourd'hui remplacés, parlaient de “complots maçonniques” contre eux, ce qui tend à montrer que, jusqu'en haut lieu, la franc-maçonnerie a une image fort peu éthique :
http://www.lepoint.fr/societe/fantasme-maconnique-au-cercle-wagram-15-06-2012-1473762_23.php
Un observateur, anglophone, de la franc-maçonnerie notait pour nous ces remarques :
“ Depuis environ 2 ans, en France, on remarque une croissance exponentielle des affaires judiciaires impliquant des “frères et soeurs”, ce qui participe de la mauvaise image accrue de la franc-maçonnerie dans le pays. Fait nouveau, alors qu'auparavant, seules les deux Grandes Loges principales (GODF et GLNF) étaient touchées par les affaires, depuis 2011, des obédiences plus petites sont aussi frappées par la gangrène des scandales, ce qui tend à renforcer la suspicion publique à l'égard de l'ensemble des franc-maçons français. Les leaders de la franc-maçonnerie sont apparemment aveugles et sourds à l'opinion détestable que leurs concitoyens ont de leurs associations et de ce qui en transparaît sur le plan médiatique”.
Ainsi, la Grande Loge dit du “Droit Humain” a connu en peu de temps la mise en examen et le renvoi devant le Tribunal Correctionnel pour des soupçons de délits financiers publics d'une de ses affiliées, la députée PS Sylvie Andrieux.
Cette autre affaire, encore du Sud, commence à être médiatisée : une loge entière se solidarise de façon ostentatoire avec une personne condamnée, ce qui tend à dénoter que les bases éthiques annoncées de la franc-maçonnerie sont ici remplacées ouvertement par une fraternité aux relents bien malsains :
http://blogs.lexpress.fr/lumiere-franc-macon/2012/06/20/dh-une-sombre-histoire-corse/
Visiblement, la franc-maçonnerie française a bien des ennuis qui viennent du sud de la France !
Au nord, dans la région de Liévin et à Lille, une odeur de soufre malsain politico-affairiste, mâtinée de soupçons d'enrichissement personnel, flotte dans l'air.
A l'ouest, il y eut cette affaire qui impliqua jusqu'au chauffeur de feu Alfred Sirven et toute une loge de la GLNF composée notamment de hauts fonctionnaires :
http://www.gadlu.info/mileu-des-affaires-et-la-franc-maconnerie-a-rennes.html
D'aucuns prédisent, au sein de la franc-maçonnerie, que le prochain scandale viendra d'un département du Centre-Ouest....et qu'un cocktail des affaires de Liévin et de Rennes pourrait y exploser prochainement.....
On ne prête qu'aux riches.
Crise, cris, chuchotements internes et recomposition au sein de la franc-maçonnerie française
Les scandales et affaires qui salissent et secouent le monde maçonnique sont un aspect de la crise, l'autre versant est la recomposition de cet univers du fait des crises vues plus haut.
Ainsi, la GLNF étant isolée et en pleine, mais longue agonie, la GLDF (Grande Loge de France), obédience dite aussi régulière, est très sollicitée pour prendre sa relève dans le concert de la franc-maçonnerie régulière européenne.
Mais, les sollicitations qui sont faites à cette Grande Loge sont elles-mêmes sources de problèmes divers, notamment quant au devenir des relations entre Grandes Loges dites régulières et libérales.
http://blogs.lexpress.fr/lumiere-franc-macon/2012/06/27/la-gldf-senvole-sur-le-dos-de-la-glnf/
La GLDF qui a de grandes ambitions et qui est donc maintenant fort courtisée en Europe et en Amérique du Sud a en effet des rapports étroits avec des obédiences libérales, donc non régulières, dont il lui est demandé qu'elle les rompe afin de se voir reconnue au plan international.
Cette exigence, posée par 5 Grandes Loges européennes à la GLDF, tend à démontrer que la fraternité maçonnique revendiquée peut être à géométrie variable et cacher aussi des rancunes, voire pire, entre Grandes Loges.
Ainsi, les observateurs notent que les exigences adressées à la GLDF seraient passablement compréhensibles sur un plan général SI la crise de la GLNF n'avait pas produit une autre Grande Loge en scission de cette dernières, la GL-AMF, présidée par un ancien maître-espion de la DGSE, Alain Juillet.
Laquelle se revendique aussi de la régularité maçonnique et des liens internationaux de la GLNF !
D'autres Grandes Loges, de petite taille, comme la GLTF, sont nées récemment, soulignant avec force la dislocation croissante de la maçonnerie française, ce qu'un analyste nomme « la balkanisation de la franc-maçonnerie française ».
Cet accroissement du nombre de Grandes Loges, fussent-elles des associations de 300 personnes parfois, dont les divergences sont pour les observateurs spécialisés, et les citoyens, aussi incompréhensibles dans la forme que byzantines dans le fond, est aussi un danger immanent de désintégration de la franc-maçonnerie française, qui fait face, de plus, à un environnement de plus en plus ouvertement hostile.
De fait, l'avenir de la franc-maçonnerie française se joue entre désintégration et recomposition autour de nouveaux pôles, notamment éthiques, mais aussi parfois construits sur des ambitions personnelles, ou, pour d'autres, sur des intérêts de réseaux politiques..
Le retour à une éthique intransigeante et démocratique comme voie de sortie de crise ?
On peut donc constater qu'entre affaires judiciaires nauséabondes, réputation sulfureuse aux parfums de scandales due à ces affaires problèmes évidents de gouvernance, difficultés à faire vivre des associations dans le respect des principes (Landmarks) maçonniques, querelles de chefs et d'ego, rivalités de pouvoirs et de représentativité, la franc-maçonnerie française vit bien crise multiforme profonde et longue dont l' issue reste largement incertaine.
D'aucuns, au sein du monde maçonnique, indiquent que la seule porte de sortie, à leurs yeux, est un retour à une éthique d'intégrité intransigeante des membres, assorti d'une véritable démocratie interne et d'un retour vers les sources philosophiques originelles de la franc-maçonnerie.
Les partisans de cette voie associent ce processus souhaité à un vraie souveraineté des loges et à des réformes statutaires profondes des Grandes Loges, impliquant des fonctionnements plus démocratiques.
D'autres, tout en plaidant pour la même cause de retour aux fondamentaux éthiques de la franc-maçonnerie, estiment que cela sera insuffisant tant la gangrène affairiste et politique a pénétré les institutions maçonniques.
Ils voient l'origine des maux endurés dans un recrutement qui ouvrait grand la porte aux dérives constatées et souhaitent donc un changement radical des « cibles » de recrutement et des modes de sélection dans l'entrée en franc-maçonnerie. D'aucuns veulent ainsi chasser les politiques et les entrepreneurs et, de manière générale, les professions qui ont été principalement la source récurrente des scandales récents et plus anciens.
L'observateur anglophone cité plus haut nous affirmait de son côté :
« On peut discerner deux tendances contradictoires de la franc-maçonnerie française : l'une veut effectivement un retour aux sources philosophiques et éthiques du mouvement, l'autre veut continuer à utiliser l'instrument « franc-maçonnerie » comme un outil de développement des affaires financières, des réseaux politiques et de pouvoir dans la société. Ces deux courants sont antagoniques et tendent à s'exclure l'un l'autre. Au fond, la survie de la franc-maçonnerie française, comme telle, dans sa nature originelle, dépend du résultat final de la course de vitesse engagée entre les deux groupes, donc de qui l'emportera. Pour l'heure, les partisans des fondamentaux sont plutôt mal partis..... ».
Quoi qu'il en soit, la crise de la franc-maçonnerie française s'inscrit à l'évidence dans le contexte social, politique, éthique, économique du pays dont elle ne peut être extraite. Le développement de la crise mondiale, avec ses soubresauts, nourrit ou assèche des tendances fortes au sein de cette franc-maçonnerie.
Ainsi, il n'est pas impossible qu'en Afrique, les Grandes Loges liées à celles de France ne se tournent pas vers d'autres relations internationales privilégiées, au fur et à mesure du recul des positions françaises sur ce continent et de la prédominance d'autres influences.
Selon notre interlocuteur anglophone déjà cité :
« Une partie de l'avenir de la franc-maçonnerie française se joue en Afrique, du fait de liens anciens. Il est probable que la perte par la France de ses zones d'influence politiques et économiques en Afrique aura des conséquences sur la place à venir de la franc-maçonnerie française au sein de ce mouvement international. Il n'est pas exclu que des conflits d'influences nationales sur ce continent se traduisent aussi par des conflits entre Grandes Loges nationales. A force de confondre, en Afrique, politique, économie, intérêts financiers et franc-maçonnerie, le retour de boomerang pour certaines Grandes Loges françaises risque d'être brutal . Et cela ne concerne pas que la GLNF ».
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