France en quête d’identité nationale

Qui suis-je ? Cette question, l’humanité se l’est posée il y a bien longtemps. Chacun se la pose et même des grands ensembles comme une nation s’interrogent régulièrement sur ce qu’ils sont et actuellement, sur l’image qu’ils donnent (traduisant la dérive moderne entre être et paraître). La France n’échappe pas à ce questionnement, loin s’en faut, surtout actuellement. Les questions d’identité relèvent quasiment de la métaphysique. Question de l’essence et surtout de l’Etre. Cet Etre qui est intemporel, mais peut très bien s’être constitué dans le temps. Lorsqu’on ironise sur la métaphysique, trois interrogations sont associées. Qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je ? Ces questions, l’individu, mais aussi les sociétés se la posent. Dans les temps les plus reculés, il y a trois millénaires, les sociétés ont fait appel aux mythes pour répondre à ces interrogations entre autres.
Récemment, un ouvrage roboratif de Claude-Gilbert Dubois nous éclaire sur l’usage des mythes, dans l’Antiquité, mais aussi dans leur forme moderne, censée être scientifique et raisonnée, avec les idéologies. Dans Mythologies de l’Occident (éd. Ellipses), l’auteur classe les mythes en trois catégories, les mythes fondateurs, les mythes identitaires et les constructions idéologiques de la modernité. Les premiers portent sur les origines, les fondations. Parmi les plus connus, citons la Genèse, la tour de Babel, pour ce qui concerne l’humanité, mais aussi des mythes plus régionaux, comme celui de la fondation de Rome avec les jumeaux Rémus et Romulus jetés dans le Tibre puis allaités par une louve. Les seconds portent sur la nature de l’individu et son destin. Antigone, Œdipe, mais aussi la psychanalyse offrent des regards et des interprétations sur le sens de l’existence individuelle des hommes insérés dans la société et plus particulièrement, un type spécial qui est la famille. Les mythes modernes raisonnés enfin, dessinent les chemins d’une espérance explicitée par des notions et concept tels que la liberté, le bonheur, la nation, le progrès. Les utopies, de Moore à saint Simon, Marx ou Bloch, ont tracé les sillons des promesses modernes. Sans oublier d’autres options, plus sombres, mais encore répandues, les mythes de la fin, qu’on appelle parfois millénaristes. En douze chapitre, Dubois tente de livrer une Histoire culturelle (et cultuelle pourrait-on ajouter) de l’Occident.
Antiquité, Moyen Âge, Modernité, post-Modernité : la quête de sens et d’orientation a persisté au cours des âges. Des mêmes questions ont eu des réponses variant au cours du temps. Les citoyens, les individus, veulent savoir d’où ils viennent, qui ils sont, ce qu’ils représentent, et où ils peuvent aller, autrement dit ce qu’ils peuvent espérer ou bien escompter. L’Histoire répond aux questions sur l’origine ; elle est parfois instrumentalisée par les politiques (suivez mon regard). Le futur fait l’objet de prédictions, prospectives et mystifications ; quant à l’identité, elle dépend du passé et du présent, Ce que qu’On veut bien y mettre. Mais au fait, c’est qui le On, et c’est quoi le Ce ? Ceux qui contribuent à forger une identité nationale, ce sont les éducateurs, les professeurs, les intellectuels, les écrivains, les politiques et puis le peuple qui agit et réagit, interférant dans ses actions et ses mouvements avec les images officielles si bien qu’il se produit des amalgames, voire des distorsions. En plus, la part des médias devient prépondérante.
La France traverse une crise d’identité qui couvait depuis pas mal d’années et qui se manifeste au grand jour à travers les usages d’un président à tout faire, y compris décider de ce qu’est la France et ce qu’elle doit devenir, voire même ce qu’elle a été. La France, ce n’est pas la polygamie et les moutons égorgés dans la baignoire a-t-il dit. La France, ce n’est pas l’égarement de mai 68, c’est au contraire le respect de la valeur travail. La France, elle, sera celle du bonheur après la rupture. La controverse actuelle sur l’ADN est un signe de cette discussion sur l’identité de la France. La France, elle n’est plus elle-même, cette mère des Lumières, cette terre d’universel, tachée par l’amendement Mariani ! Ont déclaré nombre de politiques, à gauche et même à droite.
Une identité nationale se constitue à partir d’une représentation de la société, avec des éléments significatifs, traduisant l’esprit d’une nation ; mais aussi en terme de positionnement par rapport à d’autres ensembles ayant un impact géopolitique et culturel majeur. Il fut un temps, au moment de la IIIe République, la France se situait par rapport aux peuples qu’elle jugeait sauvages, non civilisés, tout en marquant une défiance vis-à-vis de l’Allemagne, avec les conséquences que l’on sait. Souvenons-nous il y a quarante ans, en pleine guerre froide, la France, sortie victorieuse et résistante (dixit le général) se voulait anti-américaine au possible. Les deux grandes formations de l’époque, gaullistes et PC, participaient à cet anti-américanisme, non sans une nuance de taille à propos de l’URSS. L’identité relative évolue avec le temps. Force est de constater que les critères d’identification et de différenciation ont sensiblement bougé, notamment depuis la chute du Mur et les attentats du 11-Septembre. La France s’est rapprochée de l’Amérique tout en se définissant comme un pays laïc et tolérant, bref, à l’opposé du monde musulman. La loi sur le voile a marqué cette évolution, alors que la France s’opposa à la guerre en Irak. Puis les choses ont encore bougé d’un cran. Comme l’a bien évoqué Emmanuel Todd, la crispation exagérée sur l’Iran semble bien traduire ce positionnement identitaire de la France. Certains ont intérêt à faire de la Perse moderne un repoussoir, comme l’ont été les States dans l’Après-Guerre. Autre spécificité, le modèle social que la mondialisation impose de démanteler et qui, pour certains, participe à l’identité de la France.
Un dernier détail. En écoutant Nicolas Hulot, on voit transparaître une aspiration à faire de la France une nation exemplaire du point de vue de l’écologie. Il faut que la France donne l’exemple, montre la voie ! On peut cependant y voir une bonne dose de rhétorique et une sorte de compétition dans un concours de beauté où la France obtiendrait le grand prix de la haute qualité environnementale et du développement durable. Faute d’une identité puissante, on se contera de cette mesure cosmétique, un toilettage dirait Platon, du paraître dirait Debord. Même qu’un ministère du ravalement identitaire existe, traduisant l’étendue de la crise nationale sur ce qu’est devenue et deviendra la France dans le contexte de la mondialisation des économies et des pratiques socioculturelles.
Maintenant que le constat est établi, on pourra toujours se demander si cette crispation sur l’identité n’est pas un symptôme d’un désenchantement advenu cette fois dans le contexte de la croyance en la nation, voire la patrie, une seconde, voire troisième vague de désenchantement après celui du religieux. Le parallèle avec l’islam actuel et la chrétienté il y a un siècle est intéressant. Assiste-t-on à une dénationalisation de la France comme il y a une désislamisation de l’Iran par exemple. Et cet attachement à l’identité française n’est-il pas le signe d’un passéisme et d’un accrochage à une branche sécurisante, un peu comme Arabes et Perses maintiennent un islam ainsi en se raccrochant aux structures familiales traditionnelles (avant le grand saut individualiste si on en croit les thèses d’E. Todd) ? Ainsi, il se peut bien que l’identité française n’existe plus, sauf comme béquille sociale, mais que pour des raisons intellectuelles et politiques, elle fasse l’objet de soins particuliers, comme pour la dépouille des pharaons, promise au sarcophage.
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