Galliano (3) : premières leçons d’une affaire démesurée
En marge de cette affaire démesurée, que sa démesure elle-même rend suspecte, et en marge du révélateur sociétal qu’elle représente, d’autres réflexions viennent. Galliano, les juifs, l’assassinat médiatique : comment clarifier ces thèmes intimement imbriqués dans cette affaire ?

La parole de la toile
Je commence par les réactions sur internet. Billets, commentaires et forums ont largement débattu des éléments à disposition. La tendance majoritaire, avec quelques nuances, est que l’on ne peut accorder une valeur aussi dramatique aux propos de John Galliano. Les injures sont à placer dans le cadre d’un homme mal dans sa vie, en état d’ébriété, et - selon certains - peut-être piégé. On n’aurait pas dû faire d’une dérive d’alcool et de propos stupides sous cette emprise, une affaire aussi démesurée. Cela ne signifie en aucun cas un accord avec les paroles prononcées. Mais un refus de la dérive de l’Etat de droit et de la médiatisation.
La tendance minoritaire, elle, pense que l’alcool n’y est pour rien - ou pour peu, et que l’on a bien fait de dévoiler la vie de John Galliano.
Il y a contre lui des réactions extrêmes, dont la violence vaut largement les propos qu’il a tenus, mais qui ne seront pas sanctionnées faute de plainte pénale. Et, je le disais hier dans un commentaire, je suis surpris du nombre de gens qui soudain se révèlent être des anges. Ils n’auraient jamais dit ni même pensé du mal des juifs. Et forcément pas des arabes, ni des femmes, ni des hommes, ni traité un automobiliste de c*** de m***. Ils n’ont jamais eu envie d’étrangler personne, ni de poser une bombe sur le monde un soir de noir à l’âme.
Même ivres, ils savent très bien ce qu’ils ont fait et ce qu‘ils n’auraient jamais fait. Entre les injures antisémites et les injures anti-françaises, ils auraient choisi soigneusement les deuxièmes - ça tombe bien, elles ne sont pas condamnées ! Et tout cela en étant pétés à l’alcool, peut-être à autre chose, vacillant sur leur chaise, face à des gens qui les cherchent. Ah, tous ces gens qui maîtrisent parfaitement l’alcool, c’est quand-même formidables...
Au fond, c’est utile de désigner un diable à la vindicte : il nous rassure et nous autorise une image angélique de nous-mêmes.
Le lynchage marche bien, et sur internet il est sans pitié. On avale presque tout sans réfléchir. Il faut dire que réfléchir, soupeser, analyser, débattre de manière contradictoire sans traiter l’autre de nazi, de sionniste, de con, de raciste, de ceci, de cela, il semble que ce n’est pas très tendance. S’indigner, mettre de l’émotion, répéter ad libitum des mots comme on enverrait une balle de révolver, ça c’est bien. Réfléchir, naaaannnnnn.....
Et en droit ?
La loi en France réprime des propos, injures, discriminations ou incitations à la haine ayant pour motif, l’appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, ainsi qu’une appartenance sexuelle et une orientation sexuelle.
S’il est avéré que les propos de John Galliano tombent sous le coup de la loi, et si l’accusation de la semaine dernière est prouvée, alors une jurisprudence donne un éclairage utile. C’est l’affaire Siné. En 1982 l’humoriste se lâche au micro d’une radio libre, Carbone 14. Il est 4 heures du matin, la nuit fut très arrosée. C’est la guerre au Liban. A cran, ivre, en rage d’impuissance face à une guerre de plus, Siné réagit à l’attentat anti-israélien de la rue des Rosiers et surtout aux bombardements israéliens au sud-Liban et s’affirme anti-sémite. A côté de ses propos, Galliano est un enfant de coeur.
Il s’est excusé par écrit, a publié ses excuses. Mais il a été condamné en 1985. Pourtant rien dans la carrière ou dans les engagements de Siné ne montrent un anti-sémitisme.
De cela, et de la loi, il ressort que les propos racistes sont un délit pénal. Mais il faut d’évidence faire la différence entre un homme qui n’est pas activiste, pas engagé politiquement dans un mouvement raciste, dont le comportement hors ébriété n’a pas posé de problème de ce genre, et un membre de parti raciste.
Racisme, antisémitisme, sexisme
Le racisme est une erreur intellectuelle. Les racistes du 19e siècles proclamaient que les noirs sont inférieurs. La recherche génétique a démontré depuis que c’est faux. La question est donc réglée. Alors pourquoi faire du racisme un délit ? Parce que, en raison de son origine ou appartenance, une personne ou un groupe ne disposerait ni des mêmes droits ni de la même protection que les autres. Ce qui est contraire à l’égalité de droits de la démocratie. Cela ne s’applique pas qu’aux insultes, mais aussi à l’embauche, entre autres. C’est d’ailleurs sur cette base qu’Eric Zemmour a été condamné, même si son propos avait une autre intention. Mais c’est une autre histoire.
Une autre raison de refuser le racisme est qu’il a généré des idéologies et des systèmes de persécutions à grande échelle. Sa dangerosité pour l’humanité est donc très importante.
L’antisémitisme est un racisme particulier puisqu’il s’applique aux personnes d’origine sémite. Cette origine est liée à une des langues sémitiques. L’arabe, l’hébreu, l’araméen sont entre autres des langues sémitiques, et les peuples ou tribus qui les parlaient couvrent une vaste région. Le sémitisme est donc une particularité culturelle assez largement partagée au Moyen-Orient. L’antisémitisme lui ne concerne que les personnes de religion juive.
Pourquoi ce qui touche les israéliens est-il si sensible ? A cause de la Shoah, bien sûr. Un crime massif qui a été d’une violence et d’une perversion extrêmes. Mais aussi parce que les juifs, en tant qu’appartenant à une religion, ont été discriminés et persécutés en Europe depuis plus de 1‘000 ans. La souffrance accumulée, conclue par la Shoah, est immense. Israël en tant qu’Etat est toujours stigmatisé. Les juifs, avant de devenir la nation israélienne, ont toujours vécu en Europe. Il est donc naturel que les européens se sentent très concernés par les injures antisémites.
Par contre, les gens aujourd’hui se traitent de tous les noms, les injures fusent sur le net, et personne ne dit rien. Nous sommes dans un climat général violent, mais on ne choisit qu’une seule expression de la violence. Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, disait qu’elle voulait tout sauf du mâle blanc, elle n’est pas condamnée. Cette semaine le maire féminin de Genève dit dans la presse que les hôtesses du salon de l’auto sont « des fantaisies pour hommes en chaleur », assimilant dans son sexisme les hommes à des chiens, personne ne s’en étonne. Alors, condamner les propos de Galiano, ok. Mais le reste aussi. Sans quoi plus aucune indignation n’est crédible. D’ailleurs, plutôt qu’une condamnation en justice dans ces cas-là, qui enferme le coupable en lui-même sans le changer, je pense qu’il faudrait des groupes de travail pour décortiquer les pensées racistes et en démontrer l’erreur. Cela serait infiniment plus pédagogique.
A propos, tout le monde a été choqué de l'aspect antisémite de l'affaire. Mais rien n'est dit sur le "bâtard asiatique". Personne pour lem défendre ? Un asiatique a-t-il moins de valeur ? Allons, allons, ôtez-moi d'un doute : tout le monde s'est indigné autant pour l'asiatique que pour la supposée juive, n'est-ce pas ?...
Après le lynchage : revenir à soi
Je ne reviens pas sur les thèmes de mes précédents billets. Je reste sur le sentiment d’une affaire pas nette et je ne peux considérer cet homme comme un antisémite notoire, prosélyte, récurrent. Je vois essentiellement un dérapage qui ne mérite à mon avis pas cet assassinat moral au niveau mondial. Je n'arrive pas à voir en lui le monstre que certains décrivent ou suggèrent. Je cite simplement un commentaire d’une internaute qui résume mon point de vue : « Je dis qu'on exagère trop les propos débiles d'un homme complètement ivre qu'on livre à la vindicte populaire. »
Je retiens ici deux points. Le premier est ce qui a pu amener John Galliano à prononcer ces paroles (sans négliger le contexte où cela a été dit et qui reste obscur). La dépression est une chose. Il y a peut-être autre chose : une querelle avec une personne de nationalité israélienne ou de religion juive ? Une trahison ? Une blessure ? Je me souviens d’une ex-copine partie un mois en Australie, qui s’était fait un bonhomme là-bas, et qui au retour a déposé une plainte mensongère contre moi pour de l’argent. Puis cela a dégénéré. Cela a volé 7 ans de ma vie. Je peux dire que pendant longtemps je ne pouvais plus voir l’Australie et les australiens en peinture !
L’autre point est l’opportunité que cette affaire peut présenter pour lui. J’essaie de trouver du positif. C’est le moment de repenser sa vie, ses valeurs, de revenir à lui. Un grand recentrage. Lâcher l’alcool, se faire du bien, retrouver de vrais amis, retrouver une estime de lui. Sans cette affaire ils allait peut-être vers la mort psychologique.
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