Galliano nazi ? Décryptage de deux autres vidéos
Juin 2010. Défilé de la collection hommes du printemps 2011. John Galliano choisit comme référence initiale le personnage de Charlot dans Le Dictateur, film où Charlot parodie Hitler. La collection est mise en scène et en musique, une musique plutôt pop sur un fond de rythme plutôt martial. Quelques vidéos sont faites. Je lis à plusieurs endroit des commentaires sur ce défilé : il montrerait la nostalgie de Galliano pour Hitler et le nazisme.
Aller dans cette direction c’est ouvrir une porte à toutes les exagérations, avec des conséquences dont on ne calcule pas encore la gravité. Je propose un décryptage de deux vidéos que je pose en fin de billet. La vidéo 1 laisserait entendre une possible nostalgie de Galliano pour l’époque nazie. Je tente ici de démontrer que cette analyse n’est pas adéquate, qu’elle est orientée, et que la présentation du défilé a été retraitée par l'auteur de cette vidéo 1, avec forcément une intention. Il est important de démonter cette affaire Galliano car derrière il y a d’autres choses en jeu, de l’ordre des libertés publiques.
Décryptage :
1. La vidéo 1 traite l’image en noir/blanc et accentue l'effet actualités d'époque. Elle plonge le spectateur volontairement dans l'époque du nazisme. Ce parti-pris délibéré n'est pas anodin et appartient en premier lieu à l'auteur, dont on peut se demander si c'est lui qui tente de véhiculer un message subliminal ou la nostalgie d'une idéologie.
2. Le son semble avoir été traité en ajoutant un peu de réverbération, ce qui prolonge les basses du rythme et le rend plus présent, comme pour insister sur le martèlement de type militaire.
3. La musique utilisée n'a rien d'une marche militaire. Elle mélange une variété moderne à une séquence rythmique de type plus tambours Tambours du Bronx que légion étrangère, et que l'on ne saurait qualifier de musique militaire nazie.
4. La musique de fin a deux variantes selon la vidéo choisie. Sur la vidéo 1 c'est la même musique jusqu'à la fin, y compris dans les stroboscopes. En observant bien, on se rend compte pourtant que le rythme des pas se décale légèrement par rapport à la musique. En réalité la musique a changé, deux fois, comme le montre la vidéo 2, et même si la base rythmique reste la même les mélodies et instruments induisent une réduction du contre-temps initial, ce qui modifie le calage des pas sur la musique. De plus la musique de toute fin est celle du générique de Laurel et Hardy traitée en mode bande dessinée ou cirque, en partie décomposée, ce qui a aussi son importance dans la construction thématique du défilé. J'y reviens après.
L'auteur de la vidéo 1 a donc laissé la même musique jusqu'au bout et n'a pas rendu compte de cette évolution musicale et thématique. C'est un choix délibéré. En écartant les deux autres musiques, dont celle de la fin, il écarte délibérément un aspect évolutif et parodique important pour ne rester que sur l’ambiance du Dictateur.
5. Examinons maintenant le passage des mannequins habillés en Chaplin, un Chaplin supposé rappeler son film Le Dictateur, parodie de Hitler. Sur la vidéo 1 leur présence à l'image dure plus de 30 secondes sur 1’33, soit un tiers de la vidéo. Sur la vidéo 2, cette présence dure moins de 30 secondes sur 2’22, soit seulement 1/6 de la durée totale de la vidéo. Cela veut dire que sur la vidéo 1 on voir surtout la référence à Charlot Dictateur, sur l'autre on voit davantage la collection de mode. C'est à chaque fois un parti-pris : la première veut montrer le lien à Hitler à travers le personnage de Charlot, la seconde montre la collection et la thématique.
6. Les habits de la collection ont très peu de références militaires. Et l'on sait que la mode utilise tout. On voit bien des tops féminins pour tous public dans des tissus de vêtements de camouflage. La mode des pantalons treillis et chemises militaires portée par des hommes et des femmes n'inspire pas une nostalgie nazie, que je sache.
7. La thématique du défilé : le déroulement du temps. Il y a une grande horloge par où les mannequins entrent et sortent. On commence avec le Dictateur, et l'on finit de manière plus moderne, paradoxalement accompagnée par cette musique de Laurel et Hardy déconstruite puis reconstruite : rien à voir avec une musique militaire. Au final le défilé n'a plus rien de l'image du Dictateur de Chaplin. Le message, s'il y en a un : on a quitté cette époque. On n’est plus dans l'idéologie nazie. Il a donc bien pensé à cette époque lors de ce défilé. Mais pas dans le sens où on veut le dire aujourd’hui.
On sait aussi que Galliano aime les défilés rythmés, toniques. Donc rien de particulier ici.
8. La couleur de la vidéo 2 change la donne par rapport au noir et blanc de la vidéo 1. Elle adoucit l’aspect martial de la démarche. Les effets de lumière, mieux reproduits sur la vidéo 2, associés au décor, donnent une impression de sous-marin ou de chambrée. Ce qui permet d’accentuer le côté clair/foncé de la collection (pour hommes, ne l’oublions pas) et en même temps de créer un décor onirique comme Galliano les aime.
Quand il organise un défilé en disposant 6’000 roses comme en 2010, est-ce parce qu’il veut répandre l’idéologie hippie ? Non. Veut-on vraiment faire croire que dans ce défilé de la vidéo 1 il envoie le message du bon vieux temps nazi ? Mais alors que penser, entre beaucoup d’autres, du film de Visconti les Damnés, à l’esthétique époustouflante : est-il un plaidoyer nazi ? Pas vraiment ! Et quand en 2004 Galliano présente sa collection sur le thème de l’Egypte ancienne, fait-il l’apologie du temps des pharaons ? Certainement pas. Comme le personnage de Charlot dans le film Le Dictateur, le couturier fait dans la parodie.
Il y a d’ailleurs quelques mannequins qui font référence aux Damnés dans leur look et visage blanc. Ce qui n’est pas spécifiquement nazi, mais bien plus un hommage au réalisateur italien.
9. Galliano fait des défilés comme d’autres font des spectacles. Il ne se contente pas de faire marcher du tissus sur le podium. Il met en place une thématique, il réalise une mise en scène, et fait appel à tout comme n’importe quel créateur. Ne pas voir cela, ne pas voir le deuxième degré dans ce défilé comme dans les autres, c’est prendre le risque d’une analyse inadéquate. Il y a un regard de dérision porté sur cette époque, visible jusque dans certains vêtements présentés. Comment peut-on parler de nostalgie du nazisme ? Cela n’a aucun sens !
Il a fait de la mode une vraie création conceptuelle.
De tout cela je conclus que l’auteur de la vidéo 1 a délibérément donné à voir ce qu’il voulait donner à voir. Il y a mis ce qu’il a dans sa tête, pas forcément ce que Galliano a voulu montrer.
Le vieux dicton est toujours valable : « Si tu veux abattre ton chien tu dis qu’il a la rage ». Et sans partager ni soutenir les propos malheureux d’un Galliano ivre, mal et peut-être provoqué (c’est ce que lui affirme) je constate que la technique du bouc émissaire fait toujours recette. Que sert-elle à cacher cette fois ? Mystère...
Galliano a donné le bâton pour se faire battre, certes. Mais en plus il est riche, travaille dans un monde de riches et dans le superflu (la mode). La cible idéale pour cristalliser les rancoeurs et une part de l’inconscient collectif. On oublie que ce superflu rapporte des milliards à la France et crée du travail.
Au final, ce cyber-pogrom, ce lynchage public, cette démesure, ne me paraissent pas bon pour la liberté. Galliano sera condamné si ses propos sont condamnables (et s’ils sont prouvés en ce qui concerne la plainte pour l’affaire qui a tout déclenché). Mais redescendons sur Terre.
Et puis, un conseil : souriez, vous êtes filmé-e. Oui, cela peut, CELA VA vous arriver un jour, et vous ne l’aurez pas vu venir. Retenez-vous désormais de dire quoi que ce soit, une injure, un coup de colère, une critique sur les italiens d’à côté un soir de match de l’Euro, sur les arabes du dessous et leur mechoui sur le balcon, sur la pétasse du haut qui marche lourdement jusqu’à point d’heure, sur le connard d’à côté et sa musique décadente, sur le pédé d’en face, sur l’argent de Rockfeller et Monsanto, sur l’islam, etc, etc... On va vous filmer, ne garder qu’une phrase et vous flinguer. Cela va devenir un sport, et un sport rentable si vous êtes un peu célèbre.
L’affaire Galliano dit bien ceci : c’en est fini de la liberté et de l’insouciance. C'est aussi pour cela que ce billet est le quatrième que je consacre à cette affaire.
Et n'oubliez pas : souriez, vous êtes filmé-e. Bienvenue chez Big Brother !
Vidéo 1 :
Vidéo 2 :
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