Graine de quoi au juste ?
Segpa ... Tolérable

Un cas d'école
Le jeune D est un formidable cas d'école. Un casse-tête pour l'institution, une terreur pour les enseignants qui doivent supporter sans rien dire ce garçon qui met en échec l'administration. C'est encore une menace incertaine, un danger indéniable pour l'avenir, un drame au présent. Mais qu'importe, il faut sauvegarder les apparences et faire en sorte que l'obligation scolaire soit assurée coûte que coûte, surtout que la charge en incombe à des comparses, des fonctionnaires corvéables qui n'ont rien à dire …
Car ce jeune garçon est une plaie au quotidien. Il arrive tous les jours à 10 heures quand il daigne venir. Huit heures, c'est bien trop tôt pour lui. Naturellement, il n'a aucune affaire et pas la moindre explication à fournir. Gare à celui qui lui demande des comptes ou un justificatif, il se voit immédiatement tutoyé et la réplique est cinglante : « Je n'ai rien à te dire ! Je te parle pas, moi ! »
Le garçon, il faut lui reconnaître ce mérite, a tout compris de l'impuissance de notre système. C'est un vieux briscard des conseils de discipline ; il a déjà changé cinq fois de collège en trois années de présence en pointillé. Il sait que rien ne peut lui être imposé et que les adultes sont obligés d'avaler leur fierté face à cette petite frappe.
Son père est aux abonnés absents. Il ne répond jamais aux coups de téléphone et il est plus que probable qu'il a donné un numéro erroné. Il ne répond pas plus aux convocations, ce qui diffère toute tentative de médiation. Cela fait deux mois que nous l'attendons pour mener un conseil de vie scolaire afin de formaliser l'arrivée de cet élève hors-norme. Il ne s'est déplacé qu'une fois , quelques jours après son inscription administrative afin de régulariser la situation. Depuis, c'est le silence radio …
La justice s'occupe de ce jeune monsieur. Mais il y a imperméabilité entre les deux administrations. Nous ne savons rien des reproches et des menaces qui pèsent sur cette tête rebelle à la discipline, à l'ordre établi, à la morale et aux obligations : le curriculum vitae en quelque sorte de ce repris de justesse. Les dossiers traînent également dans ce domaine car la famille use ici aussi de la stratégie de la chaise vide. Le temps passe et les commissions qui doivent juger d'un éventuel placement ne peuvent statuer sur son cas.
Il a été exclu pour violence, menaces, gestes déplacés. Nous pensons qu'il a participé à quelques tournantes (qu'il aurait filmées) où deux de nos élèves auraient, malheureusement, eu à jouer le premier rôle : naturellement celui de la victime de l'appétit de jeunes gens à qui rien ne doit être refusé. Qu'il se livre à un commerce lucratif qui met en danger la santé de ses camardes, ne fait que compléter le tableau d'un individu, qui malgré son jeune âge, est déjà à ranger dans les bandits de grand chemin.
Voilà le portrait sommairement brossé d'un jeune homme qui n'est plus un élève depuis bien des années, qui n'est pas encore un homme, qui est déjà un monstre et un danger public. Fort heureusement pour l'heure, sa petite taille limite son degré de nuisance. Ne désespérons pas ; il s'est nourri de haine et de conduites délinquantes ; il n'a jamais rencontré la contrainte et l'obligation. Il s'est construit dans son refus de toutes règles.
Plus tard, lui ou bien un autre, car il n'est malheureusement pas un cas unique, fera la Une de la presse pour des actes odieux commis au nom d'un fanatisme quelconque. Les experts affirmeront alors que son parcours était prévisible, qu'il a bénéficié de l'incompétence des uns, de la faiblesse des autres, de l'école de la prison ou d'une conjoncture qui explique ses errements. Nous qui l'avons vu se construire, nous ne dirons rien car ce sera trop tard et nous aurons honte de notre impuissance passée.
Ne croyez pas que j'exagère ou que je force le tableau. Je pourrais ajouter le témoignage de collègues, les plaintes d'une hiérarchie impuissante devant un tel cas. Nous en avons discuté entre nous, adultes sans pouvoir devant ce charmant jeune homme. Si un de nos enfants était à son contact, nous le changerions de collège. ; nous le ferions car nous en avons la possibilité ; ce n'est pas le cas de nos pauvres élèves.
Ce qui est symptomatique dans ce tableau effroyable, c'est que rien ne semble pouvoir infléchir le naufrage de ce gamin. Non seulement il se détruit, nous pourrit systématiquement la vie, se moque de nous, nous oblige à serrer les dents quand il fait preuve d'irrespect et de morgue mais en plus il participe chaque jour, partout où il se trouve, à la lente et inexorable montée de l'extrémisme et de l'intolérance. Tout simplement parce qu'on nous prive de moyens d'agir, qu'on nous impose des lois angéliques, qu'on refuse d'affronter la réalité et qu'il est désormais impossible d'imposer des contraintes et des règles sociales.
J'espère sincèrement me tromper sur ce charmant jeune homme. Le poids de mon expérience ne me pousse pas à l'optimisme. Je vous prie d'excuser ce portrait qui dérange. Même si ce garçon demeure encore une exception, il n'en constitue pas moins le fruit de notre faiblesse, de notre refus de poser le problème et, à ce titre, il est le paradigme de la prochaine barbarie.
Désespérément sien.
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