Gros n’importe quoi
Au hasard de mes pérégrinations sur Facebook, je suis récemment tombé sur un article faisant état d'une de ces polémiques ridicules dont notre époque a le secret, mais allez savoir pourquoi celle-ci m'a interpellé plus qu'une autre et m'a conduit à un bref état des lieux de notre société.
La polémique ?
Elle commence sur TMC dans l'émission "Quotidien" du 4 septembre 2017 lorsqu'est diffusé une vidéo où apparaît Quantasia Sharpton, une femme de forte corpulence, "célèbre" pour avoir attrapé un herpès suite à des rapports intimes avec le chanteur Usher, du moins c'est ce qu'elle prétend pour réclamer à ce dernier un dédommagement sonnant et trébuchant.
Sur le plateau du "Quotidien", Jamel Debbouze, arborant la moustache du sergent Garcia et vêtu d'une veste fabriquée avec le rideau de douche de ma grand-mère, se gausse de Madame Sharpton en la traitant à plusieurs reprises de "menteuse", faisant rire les autres personnes présentes sur le plateau ainsi que le public.
L'article m'ayant "informé" de cette affaire est une reprise des états d'âme de certains spectateurs n'ayant pas apprécié cette séquence au motif que grosso modo : "c'est pas cool de se moquer de la grosse".
L'histoire aurait pu s'arrêter là et cette article disparaître de ma mémoire aussi vite que le fil d'actualité défile sur un écran de smartphone. Oui mais voilà cet article avait un titre très accrocheur qui a eu le mérite de m'apprendre un nouveau mot, la "grossophobie" (pas le mot le plus élégant que la langue française ait porté on en conviendra).
Car oui, en se moquant de Madame Sharpton, Jamel Debbouze ne s'est pas juste "moqué de la grosse", non, il a commis un acte "grossophobe". Autrement dit il s'agit là d'une affaire très sérieuse et très grave puisque l'on prend la peine d'utiliser un mot de plus de deux syllabes et un de ceux qui font peur puisqu'il finit en "phobe".
Si l'on s'en tient à la première définition trouvée sur Internet, la grossophobie consisterait dans une "aversion ou attitude hostile envers les personnes en surpoids, grosses ou obèses". Autrement dit et pour faire le lien avec les autres "phobies" de ce genre (homophobie, islamophobie, handiphobie...), il s'agirait d'une attitude d'une personne allant du rejet à la haine pour un groupe humain déterminé en raison d'un critère précis.
Alors qu'a fait Jamel Debbouze sur le plateau du "Quotidien" en traitant Madame Sharpton de "menteuse" et en ricanant ? A-t-il manifesté un rejet ou une haine des gros en tant que groupe humain ou seulement de Madame Sharpton en raison de son poids ? Evidemment que non. Alors qu'a-t-il fait ? Simplement se moquer de la très faible probabilité de la situation qui lui était présentée.
Et si l'on sort deux minutes de l'hypocrisie consistant à s'imaginer dans le monde merveilleux où tout un chacun ne s'intéresse chez l'autre qu'à sa beauté intérieure et que l'on revient dans le monde réelle où la première chose que l'on regarde chez l'autre est son physique, on se dit que oui les allégations de Madame Sharpton sont a priori peu crédibles.
Car oui, même si tous les goûts sont dans la nature, il existe pour les hommes (et pour les femmes on va pas se mentir) des critères de beauté majoritaires auxquels ne correspond absolument pas Madame Sharpton qui n'est pas vraiment le type de femme que l'on a l'habitude de retrouver au bras/dans le lit d'hommes riches et célèbres.
Peut-on en rire ? La réponse est évidemment oui, cela relève de la liberté d'expression la plus élémentaire. On peut rire de tout mais ça ne veut pas dire que cela fera rire tout le monde. (Concernant la citation de Desproges, je renvois en lien à un article de Libération, très intéressant si l'on excepte la tentative de définition "scientifique" de l'humour).
La discussion aurait pu s'arrêter là entre d'un côté les "gros beaufs" qui ont ri de bon coeur avec Jamel et de l'autre les "gros coincés" qui se sont indignés du manque de finesse de son intervention. Oui mais voilà, lorsque l'on commence à utiliser des gros mots comme le terme "grossophobie", encore faut-il prendre la peine de les utiliser à juste titre au risque de tout mélanger, ce qui n'a bien sûr pas manqué d'arriver.
Sur la base de "l'affaire" Jamel Debbouze, présentée à tort par certains comme de la grossophobie, on voit fleurir sur Internet toute une série de plaintes et revendications diverses regroupées sous la vocable "grossophobie" qu'il faut combattre comme un tout.
Evidemment que l'employeur qui refuse d'embaucher un salarié en raison de son surpoids doit être sanctionné. Evidemment que l'enfant persécuté par ses camarades dans la cour de récréation en raison de son embonpoint est victime de grossophobie et doit être protégé.
Doit on pour autant interdire la diffusion à la télévision de "blagues" comme celles de Jamel Debbouze au motif de lutter contre la grossophobie ?
Non, tout simplement parce que cela ne serait pas rendre service aux personnes en surpoids que de les placer dans un monde aseptisé. Car dans le monde réel, il y aura toujours des gens à l'humour gras pour leur faire une blague (sans aucune mauvaise intention) sur leur embonpoint. Il y aura toujours un médecin qui n'aura pas vraiment le tact requis pour leur dire que leur problème de poids nuit/risque de nuire à leur santé. La lycéenne obèse ne sera toujours pas celle après laquelle courrent tous les garçons.
Il faut apprendre à surmonter ces petites moqueries, critiques, tracas du quotidien pour être en mesure d'affronter les véritables actes de grossophobie et cela est valable pour toutes les formes de discrimination. L'acceptation de soi passe aussi par l'acceptation du regard des autres.
A l'instar de ceux qui souhaitent voir disparaître toutes formes de notations ou de classement du système scolaire français (histoire que nos enfants soient absolument pas du tout préparés à un monde du travail toujours plus dur), ceux qui veulent voir disparaître de nos écrans des comportements comme celui de Jamel Debbouze commettent une erreur.
Une erreur car il s'agit d'une atteinte totalement injustifiée à la liberté d'expression (celle-ci n'a pas vocation qu'à défendre les propos intelligents). Une erreur car cela vise à créer une bulle totalement aseptisée et déconnectée de la réalité (quid des blagues sur les personnes de petites tailles, les chauves ou les petites poitrines ? ces personnes aussi peuvent mal vivre le type d'humour dont a fait preuve Jamel Debbouze). Une erreur car cela revient à relativiser la gravité des actes en cause en laissant penser que ricaner sur un plateau de télé est aussi grave qu'une discrimination à l'embauche.
http://www.konbini.com/fr/inspiration-2/jamel-debbouze-quotidien/
http://www.ledauphine.com/societe/2017/09/06/la-grossophobie-est-une-veritable-discrimination
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