Après avoir proposé une analyse rafraichissante de la crise de notre pays dans « La France périphérique », cassant les vieux codes d’analyses périmées, le dernier opus de Christophe Guilluy, « Le crépuscule de la France d’en haut » approfondit ses analyses antérieures. Un livre assez noir, mais qui n’en demeure pas moins un complément utile aux analyses de Thomas Piketty.
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Cette fracture qui ne cesse de grandir
Le constat de l’auteur est clair : «
dans l’ensemble des pays développés, le nouvel ordre économique n’a cessé de creuser les fractures sociales, territoriales et culturelles (…) il est cautionné par une fraction importante de la société, constitué des gagnants de la mondialisation et de ceux qui en sont protégés. Ce sont ces catégories, qui, sans être ‘riches’, ni détenir le capital, forment la ‘France d’en haut’ », complétant utilement
les analyses de Thomas Piketty sur l’augmentation des inégalités ou
celle d’Emmanuel Todd dans « Après la démocratie ». Pour lui, ce système «
rejette inéluctablement ceux dont le système économique n’a plus besoin dans les périphéries territoriales et culturelles ».
Il souligne la déconnexion grandissante entre la France d’en haut (les métropoles, qui réalisent trois quart de la croissance, les cadres, dont le niveau de vie progresse) et la France périphérique qui perd des emplois, et donc le niveau de vie baisse (employés et ouvriers depuis 2008). Pour lui « la véritable fracture oppose ceux qui bénéficient de la mondialisation et qui ont les moyens de s’en protéger et ceux qui en sont les perdants et ne peuvent se protéger de ses effets (…) Contre (tout contre) le grand capital et la mondialisation, les classes supérieures se partagent les fruits d’un modèle économique mondialisé qui repose sur l’exploitation des classes populaires de là-bas et l’exclusion de ceux d’ici ».
D’ailleurs, pour 60% de la population, la mondialisation est une menace, alors que 62% des cadres y voient une opportunité. Avec l’idée de revenu universel, Guilluy se demande si «
tout se passe comme si on avait déjà acté qu’en milieu populaire désormais la figure du travailler laissait place à celle de l’assisté », notant
qu’elle est aussi défendue par une partie de la droite. Pour lui, «
cette approche libérale, en apparence bienveillante, apparaît au contraire comme le moyen de conforter un modèle inégalitaire dans lequel les classes populaires n’ont pas leur place ». Il y voit une forme de retour au Moyen Age, ultra-inégalitaire, où les classes populaires sont profondément aliénées.
Il évoque un retour des citadelles médiévales dans les grands pays dits occidentaux, faisant le parallèle entre le « non » au TCE de 2005, le Brexit de 2016 et l’élection de Trump. Partout, la périphérie est oubliée, et cela provoque de justes retours démocratiques. Les phénomènes sont proches des deux côtés de la Manche : à Londres, le loyer mensuel moyen atteint 2580 livres contre 2300 livres pour le salaire mensuel moyen. En outre, les phénomènes migratoires y sont démultipliés, puisque de 2001 à 2011, la population de la capitale de la Grande-Bretagne a augmenté d’un million, malgré une baisse de 600 000 britanniques blancs,
témoin de flux bien plus importants que chez nous.
Il note l’homogénéisation des filières éducatives les plus sélectives, où la moitié des étudiants viennent des classes supérieures, 15% des emplois. Pour lui, Paris, devient une « ville fermée, définitivement bouclée (…) dans les faits, la société mondialisée est une société fermée où le grégarisme social, le séparatisme, l’évitement et la captation des richesses et des biens n’ont jamais été aussi puissants (…) Dans les métropoles mondialisées, une bourgeoisie contemporaire, new school, a pris le pouvoir, sans haine, ni violence (par) la mise en scène d’une opposition factice entre les partisans de la ‘société ouverte’ et ceux du ‘repli’ » dans une posture de supériorité morale, pour fermer le débat en promouvant une « politique unique, en attendant le parti unique », de Juppé à Collomb.
Guilluy décrit bien comment les forces du marché provoquent un grand retour vers un passé médiéval, inégal, fermé, et dur pour la périphérie de nos pays dits développés. Et cela est facilité par le fait que le débat public est totalement biaisé au point de présenter la barbarie moderne comme un progrès naturel et inéluctable, ce sur quoi je reviendrai dans le prochain papier.
Source : « Le crépuscule de la France d’en haut », Christophe Guilluy, Flammarion