Guy Môquet, nouvelle star d’une campagne publicitaire du PCF
Il fallait s’y attendre, comme à la réponse du berger à la bergère. Le Parti communiste vient d’engager une campagne publicitaire en enrôlant l’image de Guy Môquet : « Aujourd’hui, demain, combattre - rejoignez les communistes, » lit-on au bas d’une affiche reprenant la photo d’identité désormais célèbre du jeune homme, avec en légende pour ceux qui n’auraient pas eu vent du débat sur la lecture scolaire de sa lettre : « Guy Môquet - résistant communiste fusillé à Chateaubriand ».
Le leurre de l’argument d’autorité
Les idées, on le voit, se vendent comme n’importe quel produit. Pour à la fois capter l’attention et déclencher l’acte d’adhésion, le leurre utilisé est ici l’argument d’autorité dans sa version du pouvoir de séduction de la star. Celle-ci par sa notoriété, l’audience qu’elle draine et le réflexe d’identification qu’elle suscite, a une fonction de prescripteur, surtout dans des domaines où elle n’a aucune compétence. Le mannequin Claudia Schiffer comme le footballeur Zidane conseillent des voitures, Johnny Halliday, du café ou des lunettes, Catherine Deneuve, un parfum, un placement financier ou une opération humanitaire, etc.
Le choix de Guy Môquet est ici, on en convient, moins hasardeux : il a payé de sa vie le droit de parler de l’engagement politique. Toutefois, selon le mot d’Albert Camus, il a du même coup perdu la possibilité de le faire. Qu’à cela ne tienne ! Le parti auquel il appartenait s’en fait d’office l’interprète, mais avec la marge d’erreur que peut comporter toute interprétation.
Les dangers de l’interprétation
Sans doute la photo présentée entend-elle se distinguer de l’image traditionnelle qu’on donne des saints pour encourager « le culte de la personnalité ». C’est au contraire un portrait impressionniste du héros qui ressort en surimpression d’une mosaïque. Les tesselles de cette mosaïque sont une foule de photos accolées représentant les multiples combats où des hommes et des femmes se sont engagés : et le visage du héros qui en ressort, dans la couleur sépia d’un passé nostalgique, devient seulement le symbole fédérateur de ces actions dispersées et apparemment disparates qui toutes tendent vers l’idéal commun d’un monde meilleur incarné par Guy Môquet. On se doute que cette interprétation n’aurait pas été désavouée par le martyr de Chateaubriand.
En revanche, se serait-il retrouvé dans le parti qui le fait parler aujourd’hui à sa guise pour attirer à lui des adhérents ? Ce n’est faire offense à personne que de constater qu’entre 1941 et 2007, il s’est passé nombre d’événements qui ont changé la face du monde, et que nombre de militants, y compris des résistants de la première heure, ne se sont plus reconnus dans le parti d’après-guerre ou même en ont été exclus, après Prague en 1952, Berlin en 1953, Budapest en 1956, Prague à nouveau en 1968, l’archipel du Goulag révélé dans les années 70, sans compter la participation du parti au gouvernement en 1981 et surtout l’implosion de l’URSS après la chute du mur de Berlin en 1989. Faire parler un mort, c’est donc prendre le risque de lui prêter des pensées qui ne seraient pas forcément les siennes.
Une notoriété bienvenue aussitôt utilisée
Guy Môquet, sauf erreur, n’a d’ailleurs jamais été utilisé dans une telle campagne publicitaire, même si l’historiographie du parti, après la guerre, a su mettre en avant sa figure et quelques autres pour bien montrer que le PCF, qui s’est présenté comme « le parti des 75 000 fusillés », n’avait pas attendu l’attaque nazie contre l’URSS pour entrer dans la Résistance. Cet usage du jeune homme n’a été, somme toute, rendu possible qu’en raison de la notoriété inattendue que lui a donnée le président de la République en le présentant à la jeunesse scolaire comme un modèle par la lecture de sa dernière lettre à sa famille dans les collèges et les lycées, le 22 octobre dernier.
Le PCF a donc sauté sur cette notoriété toute neuve pour la mettre au service de sa cause, persuadé selon une formule célèbre que « les gens préfèrent l’original à la copie ». Depuis l’élection présidentielle de 2007, où l’électorat d’extrême droite s’est reporté massivement sur le candidat de la droite, on en est moins sûr. On parlera sans doute d’ « instrumentalisation » ou de « récupération ». L’opération symétrique menée par le président de la République impose de nuancer. Dans un cas, il s’est agi de prendre un héros du camp politique adverse pour promouvoir un rassemblement national et patriotique ; de l’autre, on tente de faire rejaillir sur le parti tout entier la gloire de l’un des siens pour recruter.
Cet échange de bons procédés entre le président et le PCF sur le dos de Guy Môquet conduirait même à se demander si, au delà de la manifestation qui se voulait rassembleuse, l’occasion n’a pas été offerte au Parti communiste de se remplumer pour mieux résister à un Parti socialiste dominant. En tout cas, le PC l’a saisie. Le président Mitterrand avait bien joué l’extrême droite pour contrarier le retour de la droite au pouvoir. Ce serait, dans ce cas, une nouvelle réponse du berger à la bergère. Finalement, Albert Camus n’a sans doute pas tort quand, dans La Chute (Gallimard, 1956), il fait dire à J.-B. Clamence, son unique personnage : « Les martyrs, cher ami, doivent choisir d’être oubliés, raillés ou utilisés. Quant à être compris, jamais ».
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