Depuis que François Hollande a décidé de faire des économies, la réforme des régions françaises est revenue sur le devant de la scène. Il faut dire que faire des économies en réformant le système des retraites, la sécurité sociale ou encore la fiscalité est conflictuel tandis que l’administration française amène à un constat assez consensuel : il faut réformer notre mille-feuille administratif.
L’objectif de faire des économies amène à penser qu’il suffit de fusionner des régions pour amener à des économies conséquentes. Cela paraît simple, mais il faut rappeler que les réformes administratives françaises ont la plupart du temps amené à la création de nouveaux échelons sans réellement en supprimer. Nous verrons donc qu’une telle réforme, si elle est intéressante, est en réalité compliquée. D’abord, dans un premier article, nous étudierons l’histoire des régions en France et l’émergence des régions actuelles. Ensuite, dans un second article, nous étudierons la réforme régionale et plus particulièrement le projet socialiste.
Les régions avant la Révolution
A l’origine, le mot de « région » est issu du mot latin « regio » qui peut être traduit par les mots pays, contrée, zone ou encore territoire. On peut aussi voir en cette notion l’évolution des mots « regionis » (direction, ligne) et « regere » (régir). Etymologiquement donc, le concept de région a non seulement un sens géographique qui sert à dénommer un territoire mais aussi un sens politique qui donne à ce territoire des moyens d’action et une autorité.
Et si l’on remonte dans l’histoire, on peut dire que les découpages territoriaux ont toujours plus ou moins existé en France. Déjà dans le Royaume des Francs, notre territoire actuel était divisé en des grandes régions géographiques et politiques comme la Neustrie, l’Austrasie ou encore l’Aquitaine, l’Auvergne et la Bourgogne. Mais il n’a pas toujours été facile de les réunir sous une seule et même couronne chez les descendants de Clovis et chez les Carolingiens, les territoires étant répartis entre les fils du Roi chez les francs. Ainsi on donnait l’Austrasie à l’un, la Neustrie à l’autre... et réunir tous les territoires sous un seul et même Roi des Francs nécessitait quelques règlements de comptes entre frères (ce qui n’a pas manqué d’exister !). Plus tard, dans le cadre de la féodalité se sont constituées de grands fiefs aux dimensions assez proches de nos régions actuelles : ce sont les principautés territoriales (qui ont pu avoir une certaine puissance à certaines époques). Ces « régions » étaient dirigées par les grandes familles du Royaume qui devaient toutefois prêter allégeance au Roi de France. Dans le cadre d’un perfectionnement lent mais sûr de l’administration, le Royaume s’est aussi doté d’échelons comme l’intendance, la généralité… Cependant, ce système était complexe car les généralités, intendance, seigneuries, fiefs, principautés territoriales se chevauchaient allègrement.
|
-Les provinces françaises de l'Ancien Régime- |
En bref, le découpage de la France est ancien et ce fut un ferment de la constitution d’identités régionales.
La Révolution Française et l’invention du département
Cependant, à la Révolution Française, les choses changent car il faut faire sauter cet ancien régime et ce en tout point. Finies les provinces, les généralités, les fiefs et la féodalité. La Révolution souhaite rationaliser le découpage de la France pour pouvoir imposer une continuité en fait et en droit sur toute la nation qui est censée être une et indivisible. On créé alors les départements mais encore faut-il savoir sur quelle base la France doit être découpée. La volonté de rationalisation pousse même certains à des propositions plus ou moins farfelues comme celle du comité Sieyès-Thouret qui veut quadriller la France en départements identiques et géométriques.
|
-Le projet du comité Sieyès Thouret- |
Finalement, fin 1789 et début 1790 sont dessinés et mis en place 83 départements. Le découpage fut fait en fonction de la géographie physique et de l’hydrographie aussi bien dans leurs formes que leur nom. Le but est également de mettre en valeur non plus les identités régionales mais l’appartenance à une même nation dont l’identité commence à se constituer. L’apprentissage de tous les départements français dans les écoles et l’imposition du français au lieu des patois et langues régionales ne sont pas anodins.
Les différentes conceptions de la région en géographie : vers les régions administratives
Malgré l’enterrement des anciennes provinces, on peut toutefois dire que la notion de région a survécu à la Révolution Française. En effet, la géographie régionale, complémentaire de la géographie générale, a permis de faire émerger plusieurs conceptions de la région géographique. Dans un premier temps, la région fut considérée comme un espace homogène sur des critères hydrologiques et géologiques (conformément aux premiers objets d’études des géographes). L’école française de géographie, incarnée par Paul Vidal de la Blache a elle aussi participé à la réflexion autour du concept de région car sa démarche inductive consistait à additionner l’étude géographique de contrées pour arriver à une géographie générale. Le premier géographe français a notamment réfléchi sur la région homogène dans son Tableau de la géographie de la France publié en 1903. Il a même construit une carte des régions françaises construite non seulement sur des facteurs géophysiques mais aussi sur des facteurs humains, ce qui constituait une petite innovation. Néanmoins, ses successeurs font la confusion entre région homogène et région naturelle ce qui instaure un certain déterminisme. Lucien Gallois permet cependant de mêler les aspects culturels (identité, histoire) aux aspects physiques ce qui permet une lente transition vers la notion de région fonctionnelle ou polarisée qui émerge vers les années 1960. Pierre George (du courant de la géographie marxiste) résume ainsi cette conception : « la ville fait la région ». La région est donc un champ d’action de flux venant d’un centre. La ville-centre ou capitale régionale polarise donc un espace qui l’entoure dans lequel les hommes se déplacent et échangent. Selon la Loi de Reilly, les villes ont une zone d’influence et les flux entre deux villes seraient proportionnels au carré de leur distance. Transférée dans le domaine politique, cette deuxième conception de la région a donné la troisième : la région officielle, qui s’est progressivement installée en France entre les années 1950 et les années 1980. Pour commencer sont créées en 1955 les 22 régions de programme qui sont des échelons non dotés d’élus mais de préfet. Elles correspondent en partie aux limites des anciennes provinces, s'appuyant ainsi sur des identités régionales en réveil. Elles furent renommées ensuite Circonscriptions d’Action Régionale en 1960 et dotées pour certaines de Métropoles d'Equilibre qui était une application de plus du concept géographique de région polarisée. Etant sous le contrôle de l’Etat, elles ont pour but de mener des projets à une échelle plus large que le simple département. En 1969, Charles de Gaulle, alors président de la République, tente même de transformer ces régions en collectivités territoriales par référendum mais sa défaite retarde cette mutation à 1982 et les lois Deferre sur la décentralisation (ce qui peut paraître surprenant quand on sait que la gauche était opposée à la régionalisation de 1969). Depuis, les régions mènent aussi des politiques de coopération dans le cadre de l’Union Européenne, notamment les eurorégions qui sont constituées au-delà des frontières nationales (par exemple le projet Kent/Nord-Pas-de-Calais).
Conclusion
Au final, la notion de région est ancrée dans l’histoire de notre territoire et de notre Etat. Malgré une parenthèse révolutionnaire qui a mis l’accent sur les départements, les régions ont refait surface et sont toujours un vecteur d’identité. Mais malgré une importance croissante des régions (avec plus de pouvoirs et des élections pour élire les représentants régionaux), le découpage de celles-ci a pu faire débat et le fait qu’elles se rajoutent à d’autres échelons administratifs fait penser qu’il faudrait réformer le maillage administratif de la France. C’est dans ce contexte que plusieurs réformes ont déjà été tentées et c’est ce que François Hollande veut concrétiser avec ses 14 régions.
Vin DEX