Homme et femme : et si on se partageait le travail ?
S’occuper d’une famille et des tâches domestiques est un véritable second travail qui reste le plus souvent l’apanage des femmes. L’intégration harmonieuse entre travail et famille reste un défi de taille pour les femmes... et les hommes. Etat des lieux en Belgique.
Depuis les premières montées en puissance de leurs revendications politiques, la vie des femmes a bien changé. Elles ont investi des domaines jusque-là surtout masculins : architectes, avocates, ingénieur(e)s, professeur(e)s... Elles ont une vie privée et une maîtrise accrue de leur corps. Suivant en cela l’évolution de nos sociétés depuis l’invention des Droits de l’Homme, elles tendent à s’affirmer davantage comme des individus autonomes, disposant plus souvent de leur salaire et de leurs droits civiques selon leur bon vouloir.
Pourtant, la crise économique et son chômage de masse ont fait renaître des interrogations et des remises en cause : les femmes constituent la majorité des diplômés de l’enseignement supérieur, mais également la majorité des chômeurs, des salariés à temps partiel subi et des emplois les moins qualifiés. Elles ne représentent que 21% des cadres du privé en Belgique et sont en très nette minorité dès lors qu’il s’agit de fonctions de responsabilité. Enfin, le statut précaire des emplois à temps partiel (il est quasi impossible de trouver un emploi à temps partiel doté de réelles responsabilités) les met dans une situation de fragilité grandissante.
Pourquoi ? On pourrait certainement évoquer la persistance d’attitudes culturelles héritées de notre histoire : machisme quotidien, représentations de la femme en position de dépendance (entre autres, financière vis-à-vis de leur époux et père) de victime ou d’objet de pouvoir dans les médias (dont le rôle est considérable dans le maintien voire le renforcement des clichés)... Notre héritage culturel est un héritage patriarcal et une telle structuration des mentalités ne change pas du tout au tout en trois générations. De plus, présenter les femmes en position de victimes absolues de cette situation est une erreur : la réalité est autrement plus complexe. Ainsi, si le rôle du masculin était nettement prédominant dans la sphère publique, il en allait souvent autrement dans la sphère domestique. Aujourd’hui, il est de moins en moins rare de rencontrer des hommes pour qui, spontanément ou après sensibilisation, les tâches domestiques et l’éducation des enfants sont des enjeux importants auxquels ils sont prêts à dédier une part de leur vie.
Le dilemme de l’autonomie
Un facteur d’explication incontournable de cette mise à l’écart relative des femmes du marché du travail est la question du coût de la vie familiale pour l’entreprise : tout employeur faisant passer un entretien d’embauche à une femme entre 25 et 40 ans ne pourra pas éviter la question du congé de maternité... Les femmes coûtent plus cher que les hommes à l’entreprise : elles s’absentent pour mettre leurs enfants au monde et risquent d’être plus réticentes que les hommes à multiplier les heures supplémentaires si elles ont des enfants.
En dépit de leur nouvelle autonomie relative, les femmes doivent donc arbitrer entre vie professionnelle et familiale, carrière et procréation. Et quel que soit leur choix, elles y perdront sur l’autre plan. Cette situation provoque des souffrances aiguës, a fortiori lorsque la société vante, via les médias, le modèle d’un individu consommateur toujours plus autonome, plus « libre ». Beaucoup de magazines féminins apportent d’ailleurs une réponse un peu inquiétante à ces angoisses : le modèle de la « superwoman », autrement dit de la performance dans tous les domaines relevant de près ou de loin de la féminité. Ils multiplient ainsi les « dossiers spéciaux » : « Suis-je une bonne mère ? Une consommatrice avertie ? Une épouse responsable ? Une battante ? Une cuisinière tout-terrain ? Une amante décomplexée ? » où l’amalgame avec le marketing flirte souvent avec des procédés culpabilisateurs1 du genre : Moins de 6/10 ? Vous avez encore du chemin à parcourir pour devenir une femme libérée !
Sans s’appesantir sur la récupération du discours féministe militant par le marketing, il est important de bien comprendre la nature du choix auquel sont contraintes les femmes : tant que la seule autonomie matérielle que peut procurer la société passera par le travail salarié, les femmes seront condamnées à sacrifier partiellement soit leur autonomie financière, soit leur désir de maternité.
Le foyer : futur de la collectivité ?
Cette situation déchirante est le résultat d’une certaine vision de la société : parce qu’elle ne donne pas lieu à une rémunération, et sans doute aussi parce qu’elle reste en grande part l’apanage de la femme, l’activité domestique n’est pas considérée comme un travail. Pourtant, éduquer un enfant est un service crucial que l’on rend à la collectivité. Aujourd’hui que l’éclatement des familles fragilise les liens de solidarité traditionnels, est-il légitime que les services domestiques demeurent sans contrepartie ? Quand une entreprise embauche un salarié, elle utilise pour son profit tout ce que ce salarié peut lui apporter, à commencer par son éducation, son héritage culturel : on ne peut donc pas mettre le bon fonctionnement du marché du travail en préalable absolu de toutes les autres décisions de société.
Lorsqu’une femme ou un homme fait le choix de rester chez lui ou de travailler à temps partiel pour s’occuper de ses enfants, c’est aussi un gain pour le futur de la collectivité : ne serait-il pas légitime de protéger cette possibilité ?
Reconnaître cet apport du travail domestique serait d’ailleurs une bonne façon de le promouvoir auprès des hommes. Il est possible de trouver des facilités matérielles alternatives comme l’ouverture de droits à la retraite pour les personnes au foyer, une réhabilitation des emplois à temps partiel...
Plus généralement, cette question de l’intégration du travail domestique dans la sphère économique peut aboutir à une nouvelle vision politico-économique, une nouvelle façon de concevoir les rapports des individus entre eux. Les points de vue extérieurs sont souvent les plus appropriés pour dégager des visions d’ensemble : dans son livre « Le rêve européen »2, J. Rifkin parle d’un projet civilisationnel nouveau, né en Europe au cours des 30-40 dernières années, basé avant tout sur des exigences de qualité de relation, de qualité de vie, plutôt que sur des logiques de compétition dans l’accumulation matérielle individuelle. Un retour de l’avoir vers l’être, en quelque sorte. Si l’on considère parallèlement les crises énergétiques et environnementales qui s’annoncent, on se dit que, décidément, parvenir à une intégration harmonieuse entre la vie professionnelle et la vie familiale est un aspect central d’un débat de société de plus en plus urgent.
1 Selon un sondage réalisé en France et reproduit sur le site internet www.viefeminine.be, 70 % des femmes se sentent déprimées et coupables après avoir feuilleté pendant 3 minutes un magazine féminin.
2 Fayard, Paris, 2005.
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