Homme libre, toujours tu chériras la merde
Le plaisir de provoquer : Obscénité, pornographie, scatologie, injure et blasphème
L’obscénité est le langage de la liberté, encore faut-il savoir la maîtriser. Le comique troupier, les blagues grasses des camionneurs passent mal dans la bonne société. Mais le mot cru, même ordurier a sa place dans un cercle d’intellectuels de haut vol s’il est sorti à bon escient entre un subjonctif, une litote ou un oxymore. Les plus grands poètes français ont osé des vers sublimes où le foutre, la merde et le con des femmes avaient une place non anachronique ou déplacée. La pudibonderie et la réserve dans l’expression linguistique sont l’apanage d’une classe qui n’ose appeler un chat un chat et se complait dans l’élision et l’amphigouri. Dans une compagnie qui se dit éclairée, on peut tout juste se permettre d’être légèrement trivial pour être socialement acceptable, et encore, à dose filée. Cependant, quoi de plus excitant que de provoquer d’insipides petits bourgeois ne sachant parler que de grosses berlines, d’université anglo-saxonne et d’investissement dans la pierre. L’homme libre, à l’instar de Diogène de Sinope a l’irrésistible envie d’évoquer les hémorroïdes ou encore mieux les fistules anales, les pertes vaginales et les bordels d’eunuques de Bombay quand dans un dîner mondain la conversation s’éternise sur le CAC 40, le dernier pamphlet insipide de Bernard-Henri Lévy ou le meilleur lycée pour le jeune boutonneux atone qui sert de fils à la maîtresse de maison. Le plaisir du gourmet réside dans la description par le menu d’une toile d’Egon Schiele, dans la narration par le détail du décès impromptu du Président Félix Faure en épectase, où dans la manière dont Larrey, chirurgien de l’Empereur réalisait des amputations hautes de cuisse sur les champs de bataille. Et pour achever, clouer le bec et laisser bouche bée ces assemblées de pharisiens, ajouter que Larrey, anatomiste réputé a laissé son nom à une fente qui n’a rien de génitale, mais se situe entre le thorax et l’abdomen au niveau du diaphragme.
Il existe un indéniable plaisir dans la provocation, certains y voient un art, beaucoup oublient que s’il s’agit pour quelques rares comiques et personnages médiatiques d’un moyen de se faire connaître et de s’enrichir, pour la grande majorité d’entre nous, les anonymes, c’est le meilleur moyen de s’attirer des ennuis. Pour beaucoup de psychologues, si ce n’est tous, la provocation traduit à la fois de l’immaturité et un manque de contrôle de ses émotions. Cela semble d’autant plus vrai quand s’y ajoute les insultes et les noms d’oiseaux. C’est oublier bien vite que le provocateur prend des risques, qu’il s’expose à des sanctions ou des représailles, mais qu’il éprouve une jouissance extrême à braver ses collègues, ses supérieurs, ses voisins, ses enseignants. Bref, la provocation n’a de sens que si elle peut déboucher sur une réaction négative de quelqu’un de plus fort, de plus puissant ou de plus écouté et suivi que soi. Provoquer des minables, des impuissants, des faibles ou des imbéciles est une facilité qui n’a rien d’iconoclaste, mais qui peut au contraire s’avérer mesquine. Cela dit, les minables, les cons, les abrutis ont le nombre pour eux et le fait de sortir une saillie mal appréciée par une majorité dite morale, entraine souvent un retour de bâton. Le bon mot devient alors dérapage et celui-ci peut être bien-sûr rapidement qualifié de raciste, d’homophobe, de sexiste, voire de poujadiste et pire encore, de néo-poujadiste. Personne cependant n’a encore osé archéo-poujadiste ou facho-romantique.
On remarquera que les obscénités et les chansons paillardes qui étaient encore monnaie courante, si ce n’est compulsives, dans le milieu hospitalier français des années 70 ont quasiment disparues des salles de garde et du mess des hôpitaux avec la féminisation croissante de la profession et la modification des plannings de travail en milieu hospitalier, on ne reste plus des heures à table dans les hôpitaux de l’AP. Le bréviaire du carabin, si célèbre en son temps est tombé en désuétude et ils sont de moins en moins nombreux, les étudiants en médecine qui connaissent les paroles des Artilleurs de Metz, du De profundis ou de Charlotte et sa carotte, malgré l’actuel regain d’intérêt pour les cinq légumes. L’obscénité est une forme de provocation libertaire. Gainsbourg fut taxé d’obscène alors qu’il ne faisait que mettre en scène son propre personnage par le biais de provocations innocentes sur l’inceste avec sa fille (inceste de citron), sur le pet (son unique roman Evguénie Sokolov) ou sur la Marseillaise (aux armes etcetera). Cette provocation souvent à minima est dans le lignée du titre constipation blues de Screamin’ Jay Hawkins, mais guère plus. Mais la vraie provocation libertaire, c’est chez Jean-Louis Costes qu’il faut aller la chercher avec ses spectacles nus et mis à nu, projetant du cacao ou d’autres liquides improbables sur les spectateurs, la verge à la main. Il semble d’ailleurs que son spectacle Garden Party à Koweït City de 1991, créé à Paris juste après la première guerre du Golfe, ait inspiré le personnage comique de Michel Houellebecq dans la tentation d’une île auteur-interprète de deux shows, « nous préférons les partouzeuses palestiniennes » et « broute-moi la bande de Gaza ». Costes, qui ne respecte rien et ne croit pas au sacré, a d’ailleurs été poursuivi par un mouvement sioniste pour antisémitisme, alors qu’il ne fait qu’éructer contre la loi, les religions et la morale sans la moindre connotation raciste. Costes est à la fois un clown, un visionnaire et un fou furieux. Tous les qualificatifs des plus dithyrambiques aux plus péjoratifs, il y a eu droit : Exhibitionniste, poète hystérique, ridicule, fou à lier, pornographique, poétique et même Christophe Colomb du cul et de la merde. Quant à Virginie Despentes, elle le considère comme un grand écrivain et une mine de trouvailles. Son œuvre est une provocation permanente, une apologie du vomi et de la merde, une tragédie trash et un voyage au bout de l’enfer ou de la nuit revisité. Des Costes, il en faudrait des centaines pour dérider les fesses des constipées de Brassens et des adeptes du politiquement correct. « Je retrouve dans Costes l’intensité de Klaus Kinsky. » déclara Werner Herzog. Costes, c’est la merde et le sperme érigés au niveau des Contemplations. Et si Jean-Louis Costes était le Diogène des temps modernes ? C’est peut-être s’avancer un peu trop, il faudrait demander aux deux célèbres Michel, Onfray et Houellebecq ce qu’ils en pensent.
Les petits fantasmes sexuels du Marquis de Sade n’ont donc d’intérêt que dans la provocation qu’ils suscitent et dans la répression qui s’est abattue sur lui. Pour les timorés qui n’osent le propos cru et salace, la simple trivialité peut être l’étape intermédiaire avant le grand saut sans parachute au-dessus de l’océan de la normalité. Il n’existe pas encore de chaire d’obscénité et de pornographie à l’université et c’est bien dommage. Cela serait relativement facile à organiser au niveau théorique et des cours magistraux, mais deviendrait nettement plus hasardeux quand arriverait l’indispensable moment des travaux pratiques. Quand les étudiants travailleraient en atelier, quel devrait être le rôle des enseignants ? L’approche libératrice du rapport avec le corps et avec autrui autorise un débat déridé et sort de l’attitude confite de l’intellectuel qui ne quitte pas son bureau ou sa bibliothèque. L’obscénité, loin d’être une forme de régression intellectuelle est une étape indispensable à la libération du corps et de l’esprit. C’est d’ailleurs ce qu’ont compris des visionnaires comme Pasolini et Arrabal quand ils scénarisent la merde dans nombre de leurs œuvres majeures.
Dans le domaine de la création, l’obscénité peut être une forme d’expression artistique et littéraire, nous en avons déjà parlé. Toute l’œuvre d’Henry Miller, d’Hubert Selby, de Charles Bukowski est ponctuée de mots crus et de situations scabreuses, bien plus variés que dans les romans érotiques de gare écrits dans un but purement commercial. Jean-Marc Reiser par ses dessins obscènes, lui aussi fait réfléchir avec humour sur la dérision de l’existence et la faiblesse de l’humain. Quand son petit couple banal tente de baiser dans les poubelles au milieu d’un terrain vague recouvert d’ordures et d’immondices, et que l’homme déclare d’un ton inquiet, « Je sens quelque chose de gluant sur ma cuisse », la femme réplique « T’en fais pas, ça doit être du sperme », cela entraîne derechef un, « sûrement pas il y en a au moins deux litres » pour finir dans l’apothéose « C’est ça, file m’en deux litres ! ». On est en plein dans un drame existentiel balzacien avec en supplément une description des bas-fonds digne de Gorki.
L’obscénité est à la fois libertaire et libératrice encore plus que le blasphème qui n’est qu’une réaction à la supposée puissance divine. On ne blasphème pas contre le néant, ce genre de propos est donc à sa manière une forme d’affirmation de l’existence de Dieu. Et puis, en admettant qu’il existe ce fameux Dieu, c’est à lui de se venger et punir si bon lui semble et non aux hommes qui croient en lui de traquer les blasphémateurs et les impies. Le droit au blasphème, au lieu d’être fustigé aux Nations-Unies devrait au contraire être inscrit dans la constitution des pays qui se disent libres, sans pour le moins du monde remettre en question la pratique des croyants. La liberté religieuse est indissociable de sa critique, même si celle-ci est acerbe et irrévérencieuse. L’obscénité par contre, est du pur domaine de la provocation et de la jouissance. Quand elle arrive au bon moment, c'est-à-dire celui que l’on n’attend pas, l’obscénité est une jubilation, un acte non violent qui ébranle. Elle fait fi des convenances, de la politesse, de la bienséance et des conventions établies. Pire, elle s’attaque au conformisme et à l’hypocrisie. Mais elle doit se teinter d’humour et de pertinence, arriver à se placer dans le contexte pour faire mouche. Et, encore plus difficile, elle demande de la mémoire et une connaissance parfaite des situations pour éviter d’être répétitive ou hors de propos. La provocation pour la provocation se conçoit à l’adolescence, mais à la longue elle lasse. Il faut savoir incommoder, mettre mal à l’aise et choquer avec brio. Rebondir en trouvailles et savoir se renouveler, ce talent n’est pas donné à tous et il se cultive. C’est un état d’esprit en ébullition qui doit viser juste pour faire mal encore plus que choquer. Pour paraphraser Thomas de Quincey, l’obscénité peut elle aussi être considérée comme l’un des beaux-arts si elle se retrouve dans la bouche d’un artiste dans la spécialité. Ainsi, le « Je m’excuse, mais merde ! » de Coluche sonne comme une sorte d’Ecce homo ou de j’éructe, donc je suis. Quand on n’a ni la volonté ni la force de prendre les armes, l’obscénité est le seul moyen disponible qui reste à ceux qui ne veulent pas courber la tête. Devant l’échafaud, chacun devrait avoir l’audace de Danton et dire l’équivalent de cette phrase sublime : « Je lègue mon cœur à la France et mes couilles à Robespierre ! ». Mais hélas, cette hargne, cette ironie devant la mort n’est pas donnée à tout le monde.
La pornographie est vilipendée par les bien-pensants qui y voient une forme d’exploitation et une dérive commerciale à des fins totalement mercantiles en plus d’une dégradation de la femme et de son image. D’autres se plaignent non sans raison de l’absence de qualité artistique de ces productions. Si cela est vrai pour la plupart des films dont les scénarios ont la platitude de la limande, cela l’est nettement moins au niveau des arts graphiques. Certains dessins de Cocteau et de Picasso sont indéniablement pornographiques mais relèvent d’une incontestable qualité de trait. La pornographie débarrassée de son côté sordide comme le proxénétisme au niveau de la prostitution peut très bien revendiquer sa place au sein des distractions anodines et profanes. Nous ne sommes plus aux temps antiques où les prostituées officiaient dans des temples pour la plus grande gloire des Dieux et le bonheur de leurs prêtres et fidèles. Le lien entre sexualité et Dieu peut sans problème majeur être modifié et passer de la restriction à la tolérance, cela a déjà eu lieu à certaines époques en certaines sociétés qui avaient des principes religieux. L’association de la prostitution et du sacré est tentante, comme au temps de Babylone, quand les hétaïres se donnaient aux fidèles. Cependant on sent poindre, derrière le sexe transformé en culte, le retour du sectarisme et l’alibi liturgique pour justifier l’orgie et il faut bien le dire, faire des profits. L’idéal serait plutôt dans la dédramatisation de l’obscénité, de la pornographie et en un mot du sexe ; en faire une activité, certes essentielle, mais débarrassée de tout ce fatras religieux, existentiel et moral. Il devrait être aussi facile d’aller voir sans aucune gêne un film porno, comme on va au golf, tout comme répondre au téléphone, je vous rappellerai plus tard, je suis en pleine fellation, comme on dit actuellement, attendez, je couche les enfants, ou je regarde la fin du match. Les Anglo-saxons ont une telle façon d’édulcorer leur propos que lorsqu’à une demande de communication, une secrétaire vous répond d’un petit ton suave : « I am very sorry, but Mr. Smith is not presently in a position to answer », une envie irrésistible vient de répliquer, « Pourquoi ? Il est en train de baiser ou de chier ? ». Et quand une anglophone solitaire se présente naïvement d’elle-même par un « May I introduce myself » il faut beaucoup de retenue au Gaulois pour ne pas sourire en demandant sur un ton coquin « avec les doigts ou avec un gode ? ».
Enfin, l’obscénité peut donner du piquant à la sexualité à l’intérieur du couple, mais uniquement quand elle est employée de manière ludique et non répétitive. Quoi de plus affligeant que des exclamations du genre, tu la sens ma grosse queue, ou tu jouis, ma salope ou au féminin, ramone-moi comme une chienne et autre éclate-moi par derrière. Le mot cru au lit n’a d’intérêt que s’il est original, inventif et facétieux, sinon autant regarder un porno doublé par des voix bulgares. Celui qui oserait dire, je veux bien t’enfoncer mes orteils dans le fion, mais aujourd’hui j’ai un ongle incarné, au moins tenterait-il quelque chose de novateur et d’inouï, au sens étymologique du terme.
32 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON