Homosexualités (2)
Littérature et homosexualité
Bien avant Guy Hocquenghem ou Renaud Camus, puis Guillaume Dustan, le monde littéraire a traité de l’homosexualité, mais l’intransigeance de la censure et la condamnation pour obscénité et incitation à la débauche retenaient les auteurs à ne pas trop donner dans le détail, tout était allusif comme dans les romans de Roger Peyrefitte. Verlaine en son temps a fait la malheureuse expérience de sa franchise, d’autres plus lucide ou plus hypocrites que le poète de Metz ont su ou appris à jouer avec le feu sans trop se brûler les ailes fussent-elles celles de géant de la poésie. Il faut faire absolument la différence entre littérature homosexuelle et homosexuels écrivains, déclarés ou non. Proust, Gide, Mauriac, Wilde et même Jean Genet n’ont pas écrit que sur l’homosexualité, loin de là. Moby-Dick d’Herman Melville (dick voulant dire pénis en argot américain) est autant un livre à forte connotation homosexuelle qu’une histoire de marins et de baleines. Tout comme le Petit Prince, il est néanmoins souvent mis dans les mains des enfants sans la moindre protestation des moralistes. Et pourtant, la baleine blanche symbolise un phallus géant qui hante les nuits du capitaine Achab, tourmenté par la culpabilisation de sa propre homosexualité. Achab, homosexuel refoulé et marié à une jeune Jézabel, culpabilisé par la religion et l’immanence du péché ne touche pas au mousse qui se fait tripoter allègrement par le grand mélanésien tatoué qui sent la sueur, mais il arpente le pont du navire de nuit comme une âme en peine, vit ses pulsions sexuelles comme un calvaire et ne pourra trouver la sérénité qu’en périssant entravé par les cordes et les harpons au pénis géant qu’il a combattu toute son existence. En anglais, le terme employé pour décrire le monstre est d’ailleurs sperm whale, que l’on peut traduire par cachalot producteur d’ambre gris, le spermaceti.
La plupart des ouvrages traitant d’homosexualité datant d’avant les années 70, à de rares exceptions, édulcorent et doivent être lus entre les lignes, sauf quand il s’agissait de publications clandestines à caractère pornographique vendues sous le manteau. L’homosexualité de Vautrin est loin de transpirer à chaque page des romans de Balzac où ce personnage apparaît. Cependant, les auteurs essaient tant bien que mal de transcrire les émois et le plaisir ressenti, exercice d’autant plus difficile que la censure, mais surtout l’opprobre contre ce genre de récit étaient puissante du temps de ces publications. Tout est dit dans les Faux-monnayeurs d’André Gide, sans pour autant froisser la morale publique par des mots trop crus et des situations trop scabreuses. Les personnages referment pudiquement la porte de la chambre avant les étreintes. Gide se laisse aller un peu plus dans Corydon, qui d’ailleurs fit scandale lors de sa publication en 1924, mais la condamnation aurait pu être pire s’il n’avait traité de la sexualité à la manière érudite de dialogues socratiques et s’il n’avait abordé ce thème par le biais des animaux, y compris les improbables hannetons. De nos jours, Gide aurait contacté Bougrain-Dubourg ou la Fondation Bardot pour organiser une Gay Pride à la gloire et pour la défense des droits sexuels des coléoptères. Seul Guillaume Apollinaire a réussi l’exploit d’être drôle, outrancier et quasiment surréaliste dans son roman interdit, Les Onze mille verges. Mais ce texte de 1907 a longtemps circulé sous le manteau.
Les homosexuels incultes, il y en a, il faut tordre le cou à ce poncif qui ferait de chaque homo un esthète cultivé, ont du mal à imaginer les ruses et les dissimulations que devaient prendre les adeptes de cette sexualité pour communiquer publiquement sur leurs sentiments, il y a encore moins d’un demi-siècle. Aujourd’hui, plus besoin d’évoquer savamment la légende de Gilgamesh pour parler d’homosexualité, c’est nettement plus facile pour ceux qui n’ont aucune attirance spéciale pour la Mésopotamie. Cependant, l’homosexuel sent encore pour beaucoup le démon et le réprouvé comme au temps de Jean Genet nécessairement provocateur quand il assène « Je préfère la compagnie des fascistes à celle des bourgeois ». Mal comprise, cette petite phrase est bien plus la condamnation de l’hypocrisie et du conformisme bourgeois que l’adhésion à une idéologie totalitaire. Malgré son attirance trouble pour le nazisme durant les années de guerre, Genet est surtout l’ennemi de tous les conformismes. Genet s’en est d’ailleurs justifié après-guerre. Cette jubilation apparemment inexplicable et malsaine exprimée à la victoire des Allemands en 1940 s’explique que pour lui, passé dès la petite enfance de l’Assistance Publique aux maisons de correction, puis à la prison, la France ne représentait à ses yeux qu’une administration carcérale injuste et cruelle qui l’avait maltraité toute sa jeunesse. Et puis, Genet ne savait rien à l’époque du triangle rose, ce qui aurait probablement calmé ses élans germanophiles. Mais là où Genet est plus sincère, plus pertinent et plus juste dans le propos que Nietzsche, c’est quand il nous dit que le plaisir peut se rechercher et se trouver plus facilement avec des gens de la zone, de la lie de la société, comme Georges Querelle et ses acolytes, qu’avec des surhommes. La fange est pour lui un moyen d’atteindre le sublime, ce que seuls quelques rares hétéros sont arrivés à comprendre. L’élitisme est donc à la fois une tentation et un piège.
Monothéisme et homosexualité
Inutile de dire que les trois grands courants du monothéisme ont condamné dans les termes les plus fermes, l’homosexualité. Le judaïsme ne fait que se lamenter de ces abominations dans les textes saints, Sodome et Gomorrhe, avant d’être réappropriées par Marcel Proust, sont avant tout les villes du péché de chair inconcevable et abominable. Dans la même lignée d’interdits bibliques, le christianisme et l’islam réprouvent cette infamie. Toute l’histoire occidentale est ponctuée d’anathèmes et de condamnation de la bougrerie comme au Moyen-âge à l’affaire des palissades impliquant ce pauvre Monsieur de Vermandois qui fut éloigné de la cour, alors que Monsieur, frère du Roi n’était pas inquiété bien qu’impliqué dans le scandale du petit vendeur de gaufres. Comme pour tout autre forme de plaisir regardé comme déviant par la société, les gros poissons ne sont que rarement inquiétés. L’immunité du pouvoir et de l’appartenance à une caste dominante permet de s’exonérer bien souvent du châtiment, là où le commun des mortels se retrouve condamné.
En terre d’Islam, l’homosexualité n’est guère mieux lotie, chantée par des poètes arabes et persans au cours des siècles, les pratiques homosexuelles seront de plus en plus condamnées avec l’avènement d’un islam conservateur dans le monde musulman. Les procès du Caire, avec leurs inculpés mis en cage lors des débats et les condamnations qui s’en suivirent marquent un revirement avec la tolérance relative de jadis. Le roman l’immeuble Yacoubian, décrit entre autre assez bien la situation de l’homosexualité en Egypte avec sa part d’attirance et de rejet, on est loin du chapitre censuré de la Prairie parfumée dans sa première traduction par Richard Burton, l’explorateur britannique. Quant aux déclarations délirantes du maître de Téhéran, Mahmoud Ahmadinejad affirmant sans pouffer que l’homosexualité n’existe pas dans son pays, elles ont fait sourire si ce n’est ricaner bien des Iraniens.
Les homosexuels sont aujourd’hui à la croisée des chemins, celui qui mène à la normalité tristounette de très nombreux hétéros et celui de la démarcation positive débarrassée du folklore identitaire. Une démarcation volontaire, bien loin des seules préoccupations d’ordre sexuel, sorte d’existentialisme gay affranchi de la culpabilité, de la recherche du châtiment et de l’expiation de la faute.
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