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Hubertine la suffragette

Le 21 avril 1944, la France accordait le droit de vote aux femmes. 65 ans plus tard, cet évènement majeur dans la vie démocratique de notre pays a été largement occulté par les conflits sociaux et la tragi-comédie des « excuses » de Ségolène Royal. Quelques jours plus tôt, je prenais un verre à la terrasse d’un café parisien rue de la Roquette (11e arrondissement). Juste au-dessus du bistrot était apposée une plaque à la mémoire d’une de ces « suffragettes » qui vous ont permis, mesdames, d’entrer dans l’isoloir…

Marie Anne Hubertine Auclert est née le 10 avril 1848 dans l’Allier à Saint-Priest-en-Murat (canton de Montmarault) dans un milieu relativement aisé. Placée dans un couvent à l’âge de 13 ans suite au décès de son père, pourtant républicain convaincu, la route de la jeune fille est toute tracée : elle sera nonne. C’était compter sans l’ouverture d’esprit d’Hubertine et son goût pour l’action et la liberté. À 21 ans, elle quitte définitivement la vie religieuse. Peu après Napoléon III déclare la guerre à la Prusse, un conflit qu’Hubertine traverse en s’engageant comme bénévole dans les rangs de la Croix-Rouge. La guerre finie, la 3e République est instaurée, et avec elle l’espoir de changer la société.

Hubertine découvre le féminisme en juin 1872 au cours d’un banquet organisé par Léon Richer sur le thème de l’émancipation de femmes. Impressionnée par les conférenciers et par une lettre de Victor Hugo qui compare la condition des femmes à celle des esclaves, Hubertine décide de monter à Paris et de s’engager dans la lutte. Cette même année, Maria Deraisme jette les bases d’un féminisme structuré en France en créant l’Association pour les droits des femmes avec Louise Michel, Paule Minck et…Léon Richer. Ce combat inspire Hubertine, mais il ne va pas assez loin pour elle car il se limite à des revendications de reconnaissance de la condition féminine, mais sans aborder la question électorale, jugée trop sensible pour l’époque.

Pour un boycott des impôts !

Hubertine veut pourtant obtenir le droit de vote pour les femmes. En 1875, elle fonde l’association Le droit des femmes pour soutenir cette revendication, une association qui deviendra de manière plus explicite Le suffrage des femmes en 1883. Mais ses amies et elle restent isolées dans cette lutte comme le montre le Congrès International pour le droit des femmes : réuni à Paris en 1878, il n’aborde même pas le sujet. Entretemps, elle multiplie les courriers aux élus, aux ministres, aux généraux – et même au pape ! – pour faire avancer sa cause. Les courriers et les pétitions : grâce à l’une d’elles, elle obtiendra le droit pour les vendeuses des grands magasins de s’asseoir, ce qui leur était formellement interdit jusque là.

Soutenue par l’avocat Antonin Lévrier – qu’elle épousera en 1887 –, Hubertine tente d’organiser en 1880 une révolte des contribuables pour faire avancer sa cause : puisque les femmes n’ont pas le droit de vote, elles devraient également être dispensées d’impôt ! La République ne donne évidemment pas suite, mais l’affaire est montée jusqu’au Conseil d’État. Nullement découragée, Hubertine fonde alors le journal La Citoyenne afin de donner une tribune médiatique à ses revendications. Elle reçoit le soutien de la journaliste libertaire Séverine (Caroline Rémy) et de la grande artiste (hélas disparue à 26 ans) Marie Bashkirtseff qui publient des articles dans ses colonnes.

Outrée par la loi sur le divorce de 1884 qui avantage outrageusement les hommes, Hubertine milite pour la création d’un contrat de mariage instaurant la séparation des biens. Une idée trop avancée pour l’époque. Suit une parenthèse de quatre ans durant laquelle Hubertine, affectée par l’échec financier de La Citoyenne, suit son mari, Antonin Lévrier, en Algérie où il a été nommé juge de paix. Elle revient en France au décès de celui-ci et reprend sa lutte pour la cause des femmes. En 1900, elle fait partie des fondatrices du Conseil national des Françaises qui fédère la majeure partie des groupes féministes du territoire. Leur combat majeur : le vote des femmes.

L’urne brisée

La cause est juste, mais le combat est rude. Ces dames n’en obtiennent pas moins des avancées réelles, et notamment celle de 1908 qui voit enfin la loi reconnaître aux femmes le droit de gérer leur propre salaire ! Ce n’est toutefois pas suffisant pour Hubertine qui continue inlassablement de se battre pour le droit de vote. Après avoir symboliquement brisé une urne en 1908 pour protester contre la ségrégation électorale, elle fait scandale en se présentant en 1910 aux municipales du 9e arrondissement en compagnie d’une autre figure de proue du fénimisme : Marguerite Durand. Des candidatures aussitôt rejetées par le préfet de la capitale, mais qui n’en ont pas moins marqué les esprits.

Hubertine Auclert décède le 4 août 1914, trente ans avant que le combat de sa vie soit enfin couronné de succès. Elle est enterrée au Père-Lachaise, où sa tombe est surmontée d’une sculpture symbolique sur laquelle sont inscrits ces mots : « Suffrage des femmes ». Un hommage insuffisant pour l’universitaire américain Steven C. Hause – auteur de « Hubertine Auclert, the French Suffragette » (Yale, 1987) – qui écrit dans son commentaire liminaire : « C’est au Panthéon, si les pionniers et les défenseurs des droits humains y ont leur place, que sa dépouille devrait reposer. »

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19 réactions à cet article    


  • Mania35 Mania35 25 avril 2009 09:23

    Bonjour Fergus,
    Merci d’avoir raconté l’histoire de cette pionnière méconnue du combat des femmes pour leur reconnaissance en tant que Citoyennes à part entière.


    • Fergus fergus 25 avril 2009 10:58

      Bonjour Mania.

      Il est vrai qu’Hubertine Auclert est méconnue en France alors que des universitaires anglo-saxons comme Steven Hause lui portent un grand intérêt.

      Sans doute parce que l’histoire de l’émancipation des femmes et la lutte des suffragettes américaines a fortement marqué la vie politique américaine.

      Sans doute aussi parce que la France, en pointe dans de nombreux domaines, s’est longtemps montrée très réactionnaire dans le domaine électoral, contrairement à de nombreux pays occidentaux, ainsi qu’à la Russie (1918) ou la… Mongolie (1924) ! Cela dit, il y a eu pire : Monaco en… 1962 !

      Pour en revenir au cas français, je recommande à ceux qui sont intéressés par le sujet la bibliothèque Marguerite Durand, rue de Tolbiac (Paris 13e) un étage entier y est consacré à la lutte pour l’émancipation de femmes dont Marguerite Durand a été l’une des figures de proue.


      • antyreac 25 avril 2009 19:10

        Russie (1918) ,Mongolie(1924) et même dans la très islamique turquie (dans les années 1920)

        Une précision cependant la vie de femmes dans ces pays n’étaient pas enviable à l’époque et elle n’est pas vraiment enviable maintenant .

        Le respect envers les femmes ne se décrète pas à coup de lois.

        La France a décidé d’accorder le droit de vote aux femmes un peu plus tard que les autres ...

        et alors...

        Est ce un mal ?

        Non , si on considère les avancées sociale de la France à l’époque et si on les compares aux pays que vous citez

        Quant au comparer le Monaco au pays comme la Mongolie ou la Russie c’est risible et

        lamentable .Sans être un spécialiste de la question on peut facilement deviner que dans ce

        dernier pays le sort des femmes était nettement plus favorable qu’en Russie ou en Mongolie.


      • Fergus fergus 25 avril 2009 19:28

        C’est exact, Antyréac, j’avais oublié de citer la très symbolique Turquie. Cela dit, vous avez raison, le droit de vote est une chose et la réalité de la condition féminine en est une autre, ce dont j’ai parfaitement conscience.

        Un mot sur Monaco : il ne s’agissait évidemment que d’un constat amusé, rien de plus.


      • Fergus fergus 25 avril 2009 15:47

        Bonjour et merci, Léon, pour ce lien très complet qui montre que Julie Victoire Daubié n’a pas été simplement la 1ere Française à se présenter au baccalauréat, mais une femme accomplie dont l’expérience militante en fait l’une des pionnières de la cause féminine et une référence pour Maria Deraisme et Hubertine Auclert.


        • antyreac 25 avril 2009 19:22

          La pionnière de la cause féminine était tout simplement la femme en tant que telle qui a su

          s’adapter à toutes les époques et à toutes les vicissitudes toutes les autres sont des

          suiveuses plus ou moins douées.

          Et pour parler de femmes il faut parler aussi des hommes car dernière chaque femme se cache un homme qui la soutient.

          Les avancées significatives des femmes n’auraient pas pu se produire sans l’aide et l’assentiment des hommes.


          • Fergus fergus 25 avril 2009 19:50

            Vous oubliez de dire que jusque dans les années 40, à la veille d’obtenir le droit de vote, de nombreuses femmes étaient encore violemment opposées à cette avancée électorale pourtant majeure, au motif que leur place était à la cuisine et à l’éducation des enfants, certainement pas dans les réunions politiques et les isoloirs !

            La détermination de Louise Weiss puis l’arrivée de 3 femmes au gouvernement du Front Populaire (dont Irène Joliot-Curie) avaient pourtant incontestablement fait progresser les esprits, frappés par ailleurs que des femmes, telle l’aviatrice Maryse Bastié, puissent s’illustrer dans des domaines inattendus et strictement réservés aux hommes.

            Qui plus est, il était impossible en 1944 de fermer les yeux sur la réalité des pays anglo-saxons donnés en exemple par les militants de la cause féministe : droit de vote accordé aux femmes en 1919 pour les Etats-Unis et en 1928 pour la Grande-Bretagne. La présence des troupes alliées a certainement joué un rôle non négligeable.


          • Fergus fergus 26 avril 2009 09:59

            Trois petites précisions complémentaires :

            1) La première suffragette de l’histoire de France a été Olympe de Gouges qui a réclamé le droit de vote pour les femmes dès... 1791 !

            2) Si l’ordonnance du 21 avril 1944 signée De Gaulle, chef du gouvernement provisoire, donnait le droit de vote aux femme françaises, celui-ci n’a été exercé pour la première fois que lors du scrutin municipal du 29 avril 1945.

            3) On mesure mieux le blocage qui existait en France à propos du vote des femmes en comparant avec... l’Allemagne, pays où le rôle des femmes était pourtant défini par la règle dite des 3 K : Kirche, Küche, Kinder (l’église, la cuisine, les enfants). L’Allemagne n’en a pas moins accordé le droit de vote aux femmes en... 1919, un quart de siècle avant la France !


            • antyreac 26 avril 2009 17:13

              Que pensez vous de Jaenne d’Arc ?


            • Fergus fergus 26 avril 2009 17:53

              Cette question est probablement posée en forme de boutade,

              Cela dit, je ne suis pas sûr que la très mystique (et probablement illuminée) Jeanne d’Arc, en la supposant née au 19e siècle, eût joué le moindre rôle dans l’émancipation des femmes.


            • antyreac 26 avril 2009 18:56

              Non ce n’est pas une boutade mais j’estime qu’à toutes les époques les femmes ont lutté à leur manière pour être mieux reconnu par les hommes par la sociétés qu’ils n’est pas vraiment nécessaire de sortir de l’ombre une illustre inconnue pour faire croire que c’est à ce moment là que le sort de femmes c’est vraiment amélioré .

              Car si on regarde de plus près les choses on s’aperçoit rapidement que c’est archifaut....


            • del Toro del Toro 26 avril 2009 12:41

              Merci, Fergus, pour ce digne rappel.

              Il y a un autre cas d’injustice juridique encore très peu connu : la perte de nationalité par mariage. Cette déchéance qui venait directement de l’Etat ne touchait que les femmes (françaises) qui devenaient du coup : « concubine », « énième épouse », « maîtresse », etc., selon le statut juridique ou social conféré par le pays du mari.

              Les femmes françaises cessaient d’être des « citoyennes » françaises.

              C’est encore un sujet peu étudié et donc mal diffusé. Mais un grand historien s’y penche : Patrick Weil.


              • Fergus fergus 26 avril 2009 13:12

                Je connais ce problème, mais de manière très superficielle.

                Et je croyais que, dans la grande majorité des cas, la Française épousant un ressortissant étranger et prenant la nationalité de ce dernier ne perdait sa nationalité française qu’à la condition expresse d’en faire la demande soit au corps consulaire soit à la justice française.

                Il semblerait toutefois que les choses ne soient pas toujours aussi simples et qu’elles aient été rendues encore plus nébuleuses par la Convention de 1963 du Conseil de l’Europe. Une clarification serait par conséquent la bienvenue. Puissent les travaux de Patrick Weil contribuer à cette clarification et éviter ainsi à de nombreuses femmes chaque année de se trouver dans de dramatiques impasses administratives.


                • del Toro del Toro 26 avril 2009 14:48

                  Bien sûr, Fergus. Voici les références :

                  D’abord un excellent article où vous aurez cette information relative aux femmes tout de suite après la partie introductive (« Quatre discriminations »).

                  Un rappel semblable dans cet autre article de qualité, section « Le droit de l’alliance ».

                  Ce sont des articles clairs qui font de leur lecture un vrai plaisir pédagogique. On mesure par ailleurs l’étendue d’une violence juridique faite aux femmes et qui reste encore peu connue du grand public.

                  Cordialement.


                • Fergus fergus 26 avril 2009 17:07

                  Merci, Del Toro, pour ces liens effectivement intéressants, et pas seulement pour le sujet qui nous préoccupe ici.

                  A toutes fins utiles, j’ai trouvé un autre lien intéressant sur les formalités consulaires relatives à la perte de nationalité. Mais là encore, tout n’est pas dit tant le problème semble complexe, notamment avec certains pays proche et extrême-orientaux.


                • antyreac 26 avril 2009 19:50

                  Vous dissociez artificiellement les problèmes des femmes de celui de l’homme.
                  Or les deux problèmes sont liés .

                  Les avancées spectaculaire de la condition de la femme n’ont été possible que grâce aux combats des hommes, des femmes ,de l’humanité.

                  Il faut le dire clairement ces avancées ont pu être possibles grâce aux progrès de la science ,de techniques de l’humanisme ces deux derniers siècle et en occident surtout.

                  Sinon ,avant la condition de l’homme de la femme n’était pas vraiment merveilleuse comparée surtout à la situation d’aujourd’hui.

                  Seulement on ne sait pas en réalité ce qui se passait dans la tête de ces gens mais je pense que comme maintenant nos ancêtres devaient toujours se plaindre de leur condition
                  et ce sera le cas tant que l’homme restera l’homme.


                • Fergus fergus 27 avril 2009 09:49

                  Je n’ai jamais prétendu que les problèmes des femmes sont   dissociés de ceux des hommes. Pas plus que ceux des riches de ceux des pauvres. Ou ceux des natifs d’un pays comparés à ceux de leurs immigrés.

                  Tout se tient évidemment. Il n’en est pas moins vrai que dans toute société humaine, il existe des disparités, des ségrégations, des injustices qu’il convient de combattre et d’éradiquer.

                  Que des hommes aient joué un rôle, parfois important, dans l’émancipation des femmes est incontestable, et pour en revenir à époque d’Hubertine Auclert, il est incontestable que le journaliste Léon Richer (1828-1911), a joué un rôle de premier plan dans cette lutte, soutenu par Victor Hugo. Mais il était terriblement isolé et sujet à de perpétuelles moqueries.

                  Un état d’esprit – machiste dirions-nous aujourd’hui – qui a perduré très longtemps, notamment dans la classe politique, hostile au progrès ou, dans le meilleur des cas, campée sur une prudente neutralité pour ne pas injurier l’histoire en marche.


                • Lediazec Lediazec 26 avril 2009 19:41

                  Merci Fergus pour ce texte et le portrait de cette dame dont j’ignorais l’existence.

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