Humiliation, injustice, chômage : ferments de la révolte des sans espoirs
Les opérations « commandos en scooter », lancées toutes les nuits depuis une semaine et demie dans les faubourgs des villes et métropoles françaises, présentent quelques similitudes avec les émeutes survenues à Los Angeles en avril 1992 et à Watts en août 1965, en moins tragique.
A Watts, le 11 août 1965, le ghetto noir de Los Angeles s’est révolté. L’arrestation par la police d’un jeune Afro-américain de 21 ans avait mis le feu aux poudres. L’émeute, avec ses pillages, ses incendies, ses meurtres, a duré une semaine, et a fait 34 morts et 800 blessés.
En 1992 : des émeutes ont éclaté à Los Angeles, à nouveau dans le quartier pauvre à dominance noire de Watts. Elles avaient été déclenchées après l’acquittement par un tribunal de Simi Valley (Californie) de quatre policiers blancs de Los Angeles, filmés le 3 mars 1991 en train de passer à tabac un automobiliste noir. Le bilan officiel de ces émeutes fit état de 55 morts, plus de 2 000 blessés, de 10 000 interpellations. Les dégâts, entre incendies et pillages, ont été estimés à un milliard de dollars, pour une flambée de violence telle que l’Amérique n’en avait plus connu depuis les années 1960.
Dans le quartier de Watts, les habitants vivaient dans des lieux insalubres, sans électricité, et la plupart n’avaient pas de travail.
Le 6 novembre 2005, dans toute la France, dans la périphérie de Paris et dans une dizaine de villes de province, des émeutes ne cessent de se produire toutes les nuits, depuis plus d’une semaine.
Elles sont d’une exceptionnelle gravité, même si l’on considère que seule une minorité des seconde et troisième générations de l’immigration africaine y participe.
Ces émeutes ont été déclenchées par la mort accidentelle de deux jeunes gens qui, fuyant la police, s’étaient réfugiés dans l’enclos d’un puissant transformateur où ils ont été électrocutés. Entre les interprétations de la télévision, affirmant en citant des sources officielles que les deux jeunes gens avaient participé à une tentative de cambriolage, et celle du procureur général, qui a fait état d’une fuite provoquée par un contrôle d’identité, une meute de jeunes gens de 13 à 18 ans de Clichy-sous-Bois où les deux jeunes gens sont morts ont choisi la pire des hypothèses. Ils sont sortis dans les rues de la petite ville avec leurs cocktails Molotov et des munitions faites de cailloux et de boules de pétanque, destinées aux « bourgeois » et à la police.
On ne sait trop qui détenait la vérité. Une enquête est en cours, confiée aux services de contrôle intérieur des services de sécurité.
Ente les émeutes nord-américaines et celles des banlieues parisiennes et provinciales françaises, il y a un point commun. Elles ont toutes été provoquées par des incidents condamnables, mais mineurs. Elles se sont produites dans des zones d’habitat pluri-ethniques et socialement défavorisés... à cette différence près que les zones françaises atteintes par ces désordres ressemblent à des quartiers luxueux, à côté des taudis des quartiers misérables de Los Angeles.
Ces graines de violence sont tombées sur un terrain rendu très fertile par un compost composé de chômage et d’humiliations subies, à tous les niveaux de la société, par une immigration mal assimilée et la plupart du temps, au niveau populaire, très mal perçue dans des milieux où les traumatismes provoqués côté français par la guerre d’Algérie ne sont pas encore guéris.
Au sein des membres de la population française issue de l’immigration légale, le monde occidental européen auquel ils ont rêvé d’appartenir en regardant la télévision de l’autre côté de la Méditerranée, ne leur a pas donné, en plus de trente ans, tous les bienfaits qu’ils en espéraient. Ils ont vécu. Certains - 9 pour cent - à travers leurs enfants, sont parvenus à « s’élever ». Les autres font encore partie du prolétariat le plus misérable du pays.
Il n’est pas facile "étant bruns ou noirs de peau" d’être traités par l’administration, la police, les employeurs éventuels comme des « citoyens » à part entière, au nom du respect de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, concepts auxquels ils ont eu la naïveté ou l’ignorance de croire. (Un "Bac + 5" nommé Mohammed a peu de chances en général d’être recruté) . (Mais il y a des exceptions). Et pourtant, ce peuple français de l’immigration africaine compte au moins quatre millions de citoyens respectables et durs au travail. Le traitement coutumier qu’il subit constitue une des plus grandes injustice de la seconde moitié du XXe et du début du XXIe siècles.
Car il n’y a pas que le chômage et l’humiliation pour « pourrir » l’existence de ces « concitoyens » . Une mauvaise acculturation due à un enseignement public inadéquat et déficient. Les instituteurs et les professeurs n’ont su ni instruire ni contrôler leurs élèves issus d’autres cultures. On peut y ajouter :
1. - L’incapacité des parents à contrôler leur progéniture est une des causes de cette situation. Cela se passe également dans la bonne bourgeoisie. Les parents sont moins disponibles pour l’éducation de leurs enfants. A fortiori des parents non instruits, ni francophones à la première génération, voire pas beaucoup plus à la seconde génération. L’enseignement public a estimé ne pas devoir se charger de "l’éducation" de leurs enfants mais seulement de leur "instruction". On peut aujourd’hui contempler les résultats une telle attitude.
2. - L’exercice, sinon la prolifération, dans ces quartiers, de pratiques illicites, telles que le "rackett" des "grands" sur les "plus jeunes", ou de gens venus de l’extérieur de ces zones, s’exercent sur les enfants et adolescents à la sortie des cours. L’absence de services de sécurité à la porte des écoles ou des lycées ou collèges, et, de la part des "victimes", le refus d’en parler aux prof’ ou aux parents, par crainte de représailles, le trafic de drogues dans le lequel des adolescents ou jeunes hommes sont impliqués à l’achat ou à la vente, la présence de "petits dealers" contrôlés de près par des "semi-grossistes" qui circulent en voitures de luxe, etc. Cela rapporte plus qu’un "job" ordinaire, tandis que les violences possibles de tels individus sur les "récalcitrants" crée une "omerta" dans toutes ces zones .
3. - L’existence de bandes qui se battent pour la délimitation de leur « territoire », le phénomène des "caïds" liés à la drogue. L’insécurité qui règne dans ces périmètres où les voitures de policiers, de sapeurs-pompiers, les ambulances sont reçues à coup de cailloux.
4. - L’absence de patrouille de police de proximité ( commissariats, bureaux de police). En conséquence, absence de contact et méconnaissance mutuelle entre la population et ses administrations !
5. - Absence de contacts entre cette "jeunesse en péril" et les représentants de la "citoyenneté" privée ou publique. La peur panique que provoque chez les jeunes l’apparition des patrouilles de la police qui, elle-même, a peur d’eux.
6. - Sur cette situation vient se greffer l’action - mal connue - des porte-parole de l’islam intégriste, qui doivent se confondre avec les agents qui se réclament de cet idéal international qui a choisi le terrorisme comme moyen de s’imposer aux « incroyants ».
Il y a des années que nous avons entendu parler de camp d’entraînement à la disposition de telles factions en France, mais personne, à notre connaissance, ni à celle des médias ou des services spécialisés, n’a, semble-t-il, été en mesure de vérifier ces rumeurs.
Il est bien évident que si le gouvernement ne se donnait pas les moyens financiers et intellectuels d’apporter un remède à la situation actuelle, si le conseil des musulmans de France et l’assemblée des évêques catholiques de France persévéraient à estimer que ces actions ne sont que délictuelles, seulement dûes au malaise social, en considérant des « actes de commandos à scooter » comme des "rites de passage" chez des adolescents sans espoir, il faudrait alors s’attendre au pire, par négligence !
Il serait également suicidaire d’écarter l’hypothèse qu’il s’agit d’opérations pensées, projetées et téléguidées, avec des moyens de communication modernes, tels que le téléphone portatif et les ordinateurs, par un "cerveau" intérieur ou extérieur - probablement les deux, que les représentants du gouvernement et le conseil musulman affirment ne pas connaître.
De la sorte, on risque de voir, peu à peu, glisser ces phénomènes quotidiens, qui se manifestent depuis dix jours, avec à ce jour un bilan d’au moins 3 000 voitures incendiées, quelques camions et autobus ainsi que des commerces et entrepôts.
Le fait que plusieurs écoles aient été incendiées est l’indice le plus sérieux pour penser que l’on pourrait compter désormais avec une stratégie réfléchie, aux opérations tactiques bien combinées. Il serait bien crédule d’imaginer que des voyous de quartier, ou même des chefs de bande de banlieue, soient assez politiques pour utiliser ce symbole de la lutte pour s’opposer contre l’intégration culturelle de plusieurs générations de jeunes gens issus de l’immigration.
Il reste à souhaiter que nous ne nous acheminions pas vers une situation absolument incontrôlable par des moyens civiques ordinaires. Demain, on verra cette jeunesse qui représente, certainement, une petite minorité, évoquer les idées, les buts politico-mystiques qui ont déjà embrasé le Moyen et Proche-Orient et une partie de l’Afrique du Nord.
Car alors on serait entré dans le cycle infernal de l’action réaction entre forces de sécurité, forces armées, qu’on découvrirait inaptes à maîtriser un nouveau type d’Intifada européenne.
Il ne nous reste plus qu’à évaluer l’importance, dans chaque pays européen, de ces populations exogènes. Phénomène d’autant plus grave que, d’une manière ou d’une autre, il va falloir compter avec - ou sur - de grosses minorités "naturalisées en "nouveaux européens » issus de ces origines . De quel côté va pencher la bascule ?
© 2005 Bertrand C. Bellaigue
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