Ich bin ein Afrikaner !
Face à la persistance des crimes racistes aux États-Unis trois ans après le départ de Barack Obama, certains voudraient évacuer le sujet en lavant la « négritude » des victimes qui en fonde le motif à coup de Kärcher déculpabilisant. En faisant valoir que 400 ans après l’esclavage et 60 ans après le début du mouvement pour les droits civiques, les Afro-américains seraient parfaitement intégrés, et n’auraient plus aucun lien avec l’Afrique noire d’où leurs ancêtres furent arrachés.
Selon eux, il serait infondé et injuste de ramener sans cesse les Noirs américains à leur couleur de peau et à leurs origines africaines. Réfutant carrément leur identité d' »Afro-américains », dans un pays pourtant fondé sur le communautarisme et le multiculturalisme. Deux principes que rejette radicalement le modèle républicain français.
Cette précaution semble pourtant partir d’une bonne intention, même si elle est dictée par la mauvaise conscience. Et donc vouée à l’échec. En effet, on ne combat pas un fléau comme le racisme dans un pays multiculturel comme les Etats-Unis, on ne guérit pas les souffrances qu’il a causées et cause encore aujourd’hui en les ripolinant avec des bons sentiments. Encore moins en les calfeutrant avec des dénis de réalité.
D’ailleurs la très grande majorité des Noirs américains revendiquent haut et fort, avec raison et fierté, cette identité d’Afro-américains. 100% américains, mais avec des racines, une culture, un vocabulaire communautaire et même une spiritualité qui puisent dans ces origines africaines lointaines. Mais aussi les siècles d’une Histoire tourmentée, marquée par la longue marche de l’esclavage et des champs de coton à l’émancipation et la pleine reconnaissance des droits égaux, d’un statut égal, au sein de la nation américaine.
Il faudra sans doute encore des décennies voire des siècles de métissage, en Amérique et dans le monde, avant que cette mémoire commune se transforme. Qu’elle s’allège de ses épisodes les plus sombres, de la rancœur et des blessures qui l’accompagnent. Jusqu’à devenir une autre identité. Pour l’heure les crimes racistes qui frappent la communauté noire, l’impunité de leurs auteurs, les injustices réelles qui perdurent et trahissent l’Idéal égalitaire au cœur du Rêve américain, ramènent sans cesse les victimes à leur identité de fils d’esclaves intériorisés et humiliés par leurs anciens maîtres.
Il est donc normal que l’affirmation positive de cette identité afro-américaine aille de pair avec une volonté de se réapproprier la fierté et les droits de toute une communauté. Des droits qui ne sont plus une conquête, mais qui renvoient à l’universalité du genre humain et à l’universalité des droits humains. Ce n’est donc pas forcément du communautarisme, au sens ou non l’entendons ici : une forme de repli jaloux et hostile aux autres communautés ou à une majorité vécue comme oppressive. C’est au contraire une revendication de valeurs universelles, en même temps que l’affirmation d’une identité collective particulière, qui mérite reconnaissance et respect. Une identité fondée sur la réalité d’une origine, d’une histoire et d’une culture vivantes, manifestées de façon visible et explicite par la couleur de peau et certains critères ethniques.
Cette culture afro-américaine est d’ailleurs tellement une réalité dynamique et féconde que notre culture occidentale, postmoderne, cosmopolite et métissée, lui doit une part essentielle de sa modernité, de sa vitalité, comme de son éclectisme. Rien que si l’on considère l’influence de la culture musicale et de l’entertainment américains sur le monde, la place des influences afro-américaines est prépondérante. Depuis le gospel et le jazz jusqu’au au hip hop et à la techno, en passant par le rock’n’roll, la soul music et le R&B, en fait toute la musique américaine, c’est toute l’âme de l’Afrique qui irrigue cette culture. Comme un écho sans cesse réactivé, mixé avec des influences européennes, latines ou orientales, venues du monde entier. Et revisitées par les modèles et les préoccupations de la société de consommation urbaine, cosmopolite et postmoderne.
Pour la partie sud et caribéenne du continent, les sonorités du reggae, du son, de la salsa, du zouk, de la rumba et de la batucada, de la bossa nova ou du baile funk transpirent elles aussi cette âme africaine et latino-américaine chargée de mémoires et de rencontres. Aucune pulsation, aucune vibration occidentale qui ne puise directement aujourd’hui son souffle dans ces rythmes comme dans cette culture afro-américaine.
Une culture qui est en fait, au-delà du mythe du melting-pot, la réalité vivante et l’archétype de ce brassage inévitable et incontrôlable entre les racines de l’humanité, et le Nouveau monde inventé par des colons impérialistes, ethnocentristes, puis sans cesse réinventé par des générations d’Américains qui renouvellent et redéfinissent perpétuellement à leur façon les contours d’un monde émergeant.
Au final, nier la peau noire ou l’âme africaine de ces cultures et de ces hommes, cibles des racistes, c’est ni plus ni moins que nier nos propres origines, d’où que l’on soit et où que l’on vive. Et nier par là-même la spécificité et la valeur propre de ceux qui aujourd’hui portent la couleur de ces origines, de cette terre, de ce continent où nous sommes tous nés : sur leur peau noire ou métissée et dans leur âme. Un déni tout aussi « raciste » que de plaquer des a priori discriminants sur un homme, simplement parce qu’il est noir et que ses ancêtres étaient des esclaves.
En vérité nous sommes tous des Africains. Mais aussi des Européens. Et des Moyen-Orientaux. Et des Asiatiques… Au 21e siècle le monde n’a jamais été aussi rond. L’humanité n’a jamais été autant appelée à devenir une seule et même famille. Ou à s’autodétruire. Même si par endroits la terre ne tourne pas encore toujours très rond. A nous de faire en sorte d’arrondir les angles partout où ça grippe. L’Amérique idéale est un peu le prototype du monde de demain. Un monde forcément uni, fédéré, solidaire et métissé. Un immense melting-pot de cultures, de langues et de nations. Seules les rivalités mimétiques que nous entretenons par stupidité, malveillance ou par intérêt nous empêchent de voir que toute altérité repose sur la reconnaissance préalable d’une similitude. Et toute identité sur l’acceptation de la différence, moteur de la relation à l’autre.
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