Il est parti pour l’autre rive
Adieu mon maître !

Un part de nous même …
C'est invraisemblable parfois comme les mots ne peuvent avoir aucun sens ! Je viens d'apprendre la bien trop redoutée mauvaise nouvelle : « Jacques s'est éteint tranquillement ce jeudi 19 du mois de juillet ! » Non, je ne puis admettre ce message, il n'est pas une bougie dont un souffle de vent mauvais fera mourir la flamme.
Jacques continuera longtemps à briller dans nos cœurs. La trace qu'il a laissée ne peut se résumer à son enveloppe terrestre. Il n'est plus, certes, il faut se résoudre à admettre cette terrible évidence, mais il demeurera à jamais mon maître et notre sage, l'ami qui savait donner profondeur et distance, chaleur et humanité à nos conversations interminables.
Je ne peux que m'incliner devant la douleur de ses proches. Ils ont une autre relation, plus intime, plus charnelle, à ce grand monsieur qui vient de tirer sa révérence. Un dernier souffle, un adieu dans la douceur ne peuvent néanmoins leur faire oublier l'immense chance que fut la leur d'avoir grandi à ses côtés. Il leur a transmis au quotidien ce que nous ne pouvions recevoir que trop épisodiquement. Quel grand et beau trésor que voilà !
Car Jacques fut et restera une source inépuisable de merveilles et de sagesse. Discourir avec lui, c'était immanquablement finir par l'écouter, boire ses paroles, les laisser faire leur chemin. Il n'avait pas la prétention de convaincre, il parlait simplement de son accent traînant et emportait toujours votre adhésion. Il se plaçait au-dessus des idées reçues, à l'écart des truismes, bien loin des facilités. Il était la voix de notre raison.
Non pas qu'il fut à l'abri des faiblesses, des gourmandises de l'homme, des plaisirs des hédonistes. Il était de chair et de sang, de vie et de colère, de bonheur et de chagrin, de force et de rage, de grandeur et faiblesse. Il était des nôtres tout en en se plaçant vraiment à l'écart de nos vicissitudes ordinaires.
Il était notre sage, mon phare qui brillait dans la nuit de mes colères, de mes emportements. Il réclamait de la nuance, de la modération dans le propos. Il savait trouver en chacun ce qu'il y avait de bon à mettre en avant. Il portait en lui, même s'il s'en défendait véhémentement, la distance du pasteur devant des brebis égarées.
Car son helvétitude le définissait profondément. Elle était sa substantifique moelle, son alchimie secrète. Nous le découvrîmes vraiment lorsque nous eûmes ce bonheur qui restera à jamais la dernière offrande qu'il nous fit en nous proposant de passer une semaine en sa Suisse. Ce fut nos dernières vacances en sa compagnie, l'occasion de voir l'enfant qu'il était resté lorsqu'une meringue à la crème de gruyère passait à portée de fendant !
Rabelais du canton de Vaud, il dévorait alors ses dernières forces. Au petit matin, alors que nous étions les deux seuls levés, il m'avait évoqué sa fin prochaine. Il était fier de son bilan et surtout satisfait d'avoir accompagné son Jean-Daniel suffisamment de temps. Il pouvait maintenant s'en aller, pensait-il. Ce qu'il fallait transmettre l'était désormais !
Bien sûr, nous ne voulions croire que le mot « fin » pouvait toucher ce chêne ! Nous avions même prévu, pour conjurer le mal qui le rongeait, pour entretenir la flamme, programmer un nouveau séjour, cette fois en Alsace. Nous maintenions cet espoir comme un rêve insensé qu'on entretient, une amulette pour conjurer le sort. Étrangement, c'est le lendemain du jour où nous nous sommes résignés à annuler l'espoir qu'il partit discrètement.
Jamais je ne retrouverai ces matins magiques, lendemains de fête où nous refaisions le monde. Il y avait tant à évoquer, tant à dire sur l'éducation, la politique, la société qui s'en va de travers, les gens qui s'en vont à l'envers. C'est Jacques qui cette fois est parti et le monde, c'est certain, s'en portera beaucoup moins bien !
Inconsolablement sien !
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