Il suffit d’une commission administrative pour faire barrage à la justice
Lorsqu’une commission administrative empêche le recours devant le Conseil d’Etat concernant l’application d’un droit constitutionnel fondamental.
En vertu de « l’intérêt à agir » indispensable pour déposer un pourvoi devant le Conseil d’Etat.
Etant donné qu’un chômeur ne dispose pas des 3 000 à 5 000 euros nécessaires pour rémunérer un avocat habilité à plaider devant cette juridiction.
Il suffit à une commission administrative de refuser l’aide juridictionnelle au premier motif venu pour que le Conseil d’Etat n’ait jamais à se pencher sur la façon dont le « droit d’obtenir un emploi » énoncé à l’alinéa 5 du préambule était appliqué.
C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai voulu porter cette question devant le Conseil d’Etat.
Il faut reconnaître que ce « droit d’obtenir un emploi » est une véritable exception française dont on ne retrouve l’équivalent dans aucune Constitution occidentale, qui n’est pas repris dans le projet de Constitution européenne et qui ne concerne que les pauvres.
Certains ne manqueront pas de rétorquer que ce droit est excessif, qu’il risque de porter atteinte à la compétitivité des entreprises françaises. Un discours qui s’inscrit dans le libéralisme ambiant mais qui ne saurait être recevable.
Les droits fondamentaux s’imposent à tous. Un principe énoncé dans un arrêt du Conseil d’Etat du 23 juin 1959 qui stipule que "les principes généraux du droit, résultant notamment du préambule de la Constitution, s’imposent à toute autorité réglementaire, même en l’absence de dispositions législatives". Répondant ainsi aux souhaits des constitutionnalistes qui dans l’alinéa 2 avaient proclamé comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après.
Cette doctrine est défendue par les plus grands spécialistes de la question.
C’est ainsi que Charles Debbasch, dans son traité de Droit administratif affirme que "le préambule établit les principes fondateurs du contrat social. Et à ce titre, à l’évidence ses dispositions sont source de droit positif... Le Conseil constitutionnel a consacré expressément la valeur positive et constitutionnelle du préambule. Celui-ci a une valeur juridique obligatoire. Il s’impose aux autorités administratives dans toutes les dispositions.
Monsieur René Chapus va dans le même sens. Dans son livre intitulé "Droit administratif général", il soutient que les dispositions du préambule régissent l’administration et s’imposent aux juges, réserve faite de l’hypothèse de l’écran législatif... Contrairement à une erreur souvent commise et procédant d’une prudence excessive, les décisions précitées signifient que le préambule a force de loi constitutionnelle dans la totalité de ses dispositions...
Dans les principes généraux du droit administratif Georges Vlachos apporte certaines précisions. Il affirme que "la valeur constitutionnelle du préambule a été affirmée par la décision du 16 juillet 1971 du Conseil constitutionnel (A.J. 1971.537,n. Rivero). Il a considéré que le préambule de la Constitution de 1958 en fait partie intégrante et possède donc la même force juridique que le texte constitutionnel. Ainsi, le contrôle de la constitutionnalité s’étend aux dispositions que la Déclaration des droits et le préambule de 1946 consacrent..."
Il poursuit : "Lorsque le préambule énonce une disposition suffisamment précise pour avoir immédiatement valeur de droit positif, le juge administratif en assure le respect au même titre que les dispositions du texte de la Constitution."
Pourtant le droit d’obtenir un emploi qui figure dans l’alinéa 5 du préambule n’est pas mis en pratique pour les trois ou qautre millions de personnes qui ne disposent pas d’un emploi.
Jamais le Conseil d’Etat ou la Cour constitutionnelle n’ont abordé directement la question de la mise en pratique de ce droit. Lorsqu’ils se sont prononcés sur ce sujet, c’est toujours de manière incidente, et à chaque fois ils se sont retranchés derrière l’article 34 de la Constitution qui détermine les domaines sur lesquels le Parlement est appelé à légiférer, en particulier le droit du travail. Avec ce genre d’argument par lequel "le droit d’obtenir un emploi ne s’impose au pouvoir réglementaire, en l’absence de précision suffisante, que dans les conditions et les limites définies par les dispositions contenues dans les lois ou dans les conventions internationales incorporées au droit français."
En contradiction avec la jurisprudence concernant les droits fondamentaux.
Les droits constitutionnels ont une existence propre qui ne saurait dépendre du législateur pour être applicables.
Les droits fondamentaux contenus dans la Constitution ont été de plein exercice dès la proclamation de cette Constitution. Ils n’ont pas attendu que le législateur leur donne vie... On ne peut confondre le « droit d’obtenir un emploi » et le « droit du travail ». L’emploi peut prendre plusieurs formes et en particulier la forme régie par le droit du travail et contenue dans le code du travail, c’est-à-dire salarié du privé et employeur. Mais il existe aussi le statut de fonctionnaire, l’emploi libéral, l’artisan, l’agriculteur, l’artiste... Ramener le droit d’obtenir un emploi au seul droit du travail organisé par le Code du travail, c’est interpréter de façon restrictive le principe constitutionnel du droit d’obtenir un emploi
Lorsque le seul pays à avoir inscrit dans sa Constitution le droit d’obtenir un emploi se retrouve avec le nombre de chômeurs le plus élevé, c’est qu’il existe un grand écart entre la théorie et la pratique. Le moins que l’on puisse attendre du Conseil d’Etat lorsqu’il est saisi de ce problème c’est qu’il fasse son travail et réponde à cette question de savoir si ce droit constitutionnel doit être défendu par l’administration avec la même vigueur que les autres droits fondamentaux.
Il y a de la lâcheté à se retrancher derrière une décision administrative pour ne pas aborder la question.
Si ce droit est tellement incongru ou obsolète, il appartient aux deux chambres réunies en congrès de le réformer. En attendant une éventuelle réforme les juges ont l’obligation de veiller à l’application stricte de tous les droits.
jcbouthemy
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