Ce qui pourrait être le titre d’un polar de gare, n’est en fait ni plus ni moins qu’un fait divers. S’il y a un lieu que les sociologues, les politiques devraient investir c’est bien les LIDL véritable lieu d’expériences sociales et miroir d’une société où se côtoient les classes moyennes en proie au déclassement et les classes populaires qui cherchent des repères.
Un fait divers d’un déchaînement de haine verbale inouïe. Cinq minutes d’un feu nourri comme l’expression d’une haine qui ne dit pas son nom. De l’absurde à l’état brut.
Evry. 18h30. C’est la sortie du boulot. Je rentre chez moi. Il faut bien manger alors je m’arrête sur le LIDL qui est sur ma route. Coincé entre la nationale 7, un parking et une cité, ce n’est pas franchement le cadre idéal. Mais au moins, cela est fonctionnel et pratique. Je fais mes courses. La roquette est à 0,99cts. C’est tentant.... mais c’est trop amer. Les raviolis au saumon fumé feront l’affaire pour ce soir. (oui oui il y a des raviolis au saumon fumé au lidl....) J’arrive en caisse. J’ai de la chance ce soir, il n’y a pas de trop de monde. Les chariots ne sont pas trop plein. Dans cinq minutes l’affaire est bouclée.
Alors que j’essaye d’attraper la bouteille d’huile d’olive au fond du chariot, tout à coup des cris fusent en provenance de la caisse. Un couple semble-t-il mécontent d’une indélicatesse de la caissière s’en prend à elle. En quelques secondes, les insultes commencent à fuser de la part des clients. L’homme mécontent commence à s’en prendre à la vertu de la caissière. Sa compagne en rajoute une couche sur la vertu de sa mère. La caissière littéralement sous un feu nourri accuse les premières salves. Mais la pression est trop forte. Celle-ci commence à répondre. La tension monte. Le volume sonore aussi. Les agents de sécurité s’interposent. Les caissières d’à côté viennent à la rescousse de la situation pour essayer de s’interposer. On continue à en apprendre des vertes et des pas mûres sur les "vertus supposées" de la famille de la caissière. Comme il semblerait que les clients mécontents aient fait le tour de la famille, on passe à la couleur de peau. Alors pour ceux qui ne l’ont jamais vu le racisme entre arabes et blacks ça vaut le détour... Les trublions de l’extrême droite à côté ce sont des petits amateurs....Les insultes continuent à fuser. Le Lidl s’arrête. Tout semble suspendu au dénouement de cette situation qui paraît inextricable. Enfin le summum arrive. La caissière se voit insulter d’un "si tu me touches, je te tue". Les collègues cherchent à apaiser la situation. La directrice du magasin semble revenir après une journée bien remplie pour essayer de gérer la situation. Les clients indélicats sont emmenés dans les locaux pour déminer la situation.
La vie du Lidl reprend son cours. Les clients se remettent à remplir leurs chariots. Les caissières se remettent à biper un article par seconde. C’est mon tour. Avec une constance remarquable et un professionnalisme hors pair, mes raviolis au saumon fumé font bip sur la caisse. Il y a des bip électroniques ordinaires et des bip extraordinaires. Celui-là était extraordinaire. Extraordinaire de dignité, d’humanité, de promptitude mais aussi d’une détresse sociale à demi-étouffée. Bip...
Je pense une dernière fois à cette "hôtesse de caisse" comme on dit dans le jargon professionnel. Insultée, diffamée, menacée publiquement. Ne risquerait-on pas de lui reprocher d’avoir voulu défendre sa dignité ? Jusqu’où le capitalisme et la société permettent de construire un client-roi totalitaire ?
Alors pourquoi écrire ici cet article. Banal, me direz-vous. Non. Encore un cliché de cité. Oui.
Non ce n’est pas banal. En quatre ans de fréquentation régulière du Lidl, je n’ai jamais assisté à aucun événement grave de ce type. En cinq minutes, j’ai dû entendre plus de fois "salope" et "pute" que dans le restant de mes quinze dernières années. Le quotidien est plutôt tranquille. Que cherche-t-on dans un Lidl si ce n’est faire ses courses ?
La scène fait cliché. C’est vrai. Mais en même temps elle est profondément représentative des quartiers populaires et de la façon dont fonctionne de plus en plus notre société. Non pas par l’événement mais la manière dont celui-ci se trame.
Représentative de ces cités où dans le calme et la tranquillité du quotidien, les éclairs peuvent éclater dans un ciel sans nuage. Où tout redevient paisible aussi vite que le tourment est arrivé comme un tourbillon passionnel incontrôlé.
Représentatif d’une société où la civilité perd son nom. Où les personnes humaines deviennent désocialisées trouvant dans la violence (verbale, physique, économique) le seul refuge de survie. Un réflexe d’animalité en somme.
Représentatif d’une atomisation de la société où les individus agissent seul plus que par groupe sociaux et où toute médiation semble impossible. Les conflits s’enlisant comme dans des autismes communicationnels.
D’autres disent : "J’écoute, mais je ne tiens pas compte".