Je suis opprimé donc je suis ?
Vous vous y retrouvez, vous, entre les indigénistes, les antiracistes racistes, les antifa et les anti-antifa, les insoumis, les intersectionnalistes, les LGBTQIP, les islamo-fascistes et les islamo-gauchistes saupoudrés d’islamo-libertarisme (1), les réactionnaires racialistes et les communautaristes de tous poils – et j’en passe ? Moi de moins en moins je dois dire, d’autant que certains.es arborent plusieurs casquettes au gré des opportunités politico-médiatiques et des alliances de circonstance.
Les petites polémiques vivement relayées et commentées par les médias et sur les réseaux sociaux mettent des coups de projecteur sur le biotope des mouvances revendicatrices. En août 2016 le Parti des Indigènes de la République (PIR), souvent représenté par Mme Houria Bouteldja, organisait un « camp d’été décolonial » pour former des gens à « l’anti-racisme politique ». Dont l’accès était interdit aux blancs. Un parti antiraciste dont le racisme flagrant est justifié par la différence entre le racisme classique (la haine de l’autre perçu comme étant de « race » différente) et le racisme structurel, qui n’existe qu’à sens unique depuis la race locale structurellement dominante – ici, les blancs – et les structurellement dominés – les non blancs. Et donc, toujours selon Mme Boutedjla, « Un Noir ou un Arabe qui dit « sale Blanc » exprime au pire un sentiment d’intolérance ou de haine en réaction aux humiliations qu’il subit, un Blanc qui dit « sale Noir » ou sale Arabe » exprime forcément un sentiment raciste. »
« Le PIR est à venir », disait Mme Danièle Obono en 2015, en soutien à ladite organisation. Devenue depuis députée mélenchoniste racisée (c’est bien comme cela qu’on dit ?), cette dame issue de la bonne bourgeoisie gabonaise écrivait déjà en 2012 – avant son élection – un peu la même chose : le « racisme édenté » des dominés n’est pas comparable au racisme du dominant. Le dominant c’est le blanc évidemment, mais il ne faudrait pas oublier que son père, à Mme Obono, fut banquier et candidat à la présidence du Gabon contre Omar Bongo. Son père faisait-il partie des dominés ? En fait-elle partie ? J’en doute.
Mme Obono critique également les lois contre le voile à l’école et le voile intégral dans l’espace public. Elle estime que « ces mesures juridiques ont alimenté l’islamophobie et encouragé des citoyens ordinaires à être ouvertement racistes ». Mme Obono est-elle alors en faveur de la Charia, permettant aux musulmans de liquider tranquillement tous les « mécréants », de battre et lapider les femmes préalablement enfermées dans le rôle de bonniches et d’objets sexuels, ne sortant que voilées de la tête aux pieds sous le regard soupçonneux des branleurs intégristes ? Elle aurait dû alors s’installer en Arabie saoudite ou en Algérie plutôt qu’en France, il me semble. Et profiter de la grande et bien connue amabilité des Arabes envers les Noirs…
Bon jusque là c’est encore facile, on est dans une forme d’instrumentalisation de – réelles – problématiques sociales à des fins de positionnement politique et d’auto-promotion, mais cela se complique avec les intersectionnistes. L’intersectionnalité, selon Wikipédia, c’est « l’étude des formes de domination et de discrimination non pas séparément, mais dans les liens qui se nouent entre elles, en partant du principe que le racisme, le sexisme, l’homophobie ou encore les rapports de domination entre catégories sociales ne peuvent pas être entièrement expliqués s’ils sont étudiés séparément les uns des autres. L’intersectionnalité entreprend donc d’étudier les intersections entre ces différents phénomènes. »
C’est donc une forme spécifique de la notion de convergence des luttes pouvant mener à quelques réflexions intéressantes, mais dans l’usage qui en est fait on retrouve surtout une manière très politique de ratisser large (tous les opprimés, que ce soit de couleur, de sexe, de religion, d’orientation sexuelle) mais en hiérarchisant les problèmes : le féminisme « noir » devient plus important que le féminisme « blanc » vu que les blanches ne font pas partie de la « classe » opprimée. Idem, un homme musulman « vaut moins » qu’une femme musulmane, et quand on mélange tous les critères ont aura en haut de la pile la femme lesbienne noire musulmane, et en bas l’homme blanc homosexuel – l’homme blanc hétéro étant par définition considéré comme le grand oppresseur de tous les autres groupes.
Rajoutez à cela les termes LGBTQIP (2), qui définissent un éventail de penchants sexuels en plus des L (lesbienne) et G (gay) de base : B pour Bisexuel, T pour Transexuel, Q pour Queer, I pour intersex et P pour polyamoureux, et vous rajouter une couche de complexité : le Q est-il plus opprimé que le L ou le B, et si le P est aussi G le weekend est-ce qu’il gagne des points ? Je rigole, mais je suis loin d’être le seul à douter de la pertinence, en termes de progrès social, d’une telle construction.
On en vient à une autre polémique toute récente concernant d’une part la possible révélation que le prédicateur islamique Tariq Ramadan est un porc comme les autres (avec deux accusations de viol à sa charge), et sa supposée proximité politique avec le journaliste moralo-gauchiste Edwy Plenel, fondateur du (par ailleurs souvent pertinent) journal Médiapart. Charlie Hebdo s’étant payé la tête de Plenel en laissant entendre que, en tant que bon islamo-gauchiste, ce dernier n’avait rien voulu voir de la réalité du prédicateur, nous avons assisté à une hilarante surenchère défensive mettant en exergue d’une part les limites du « je suis Charlie » (en gros, je suis Charlie tant qu’il ne s’en prend pas à moi) et d’autre part la nature de ce fameux islamo-gauchisme. Issu de la convergence des luttes entre socialistes et palestiniens, il désigne aujourd’hui ceux ou celles perçues comme trop proches des milieux islamistes.
Trop proches, au sens où le progressisme traditionnellement associé à la gauche n’est pas considéré compatible avec la mouvance islamique. Ce qui paraît être l’évidence même, la philosophie totalitaire, inégalitaire et obscurantiste de l’islamisme étant clairement à l’opposé de l’idéal progressiste, même si ce dernier est loin d’avoir tenu toutes ses promesses. Et là est justement la clé : c’est parce que l’Occident n’a pas réussi à mener à bien le projet progressiste que s’est créé, en réaction, un mouvement islamiste par les opprimés du système, mouvement qu’il faut donc arriver à réintégrer dans la société en trouvant les complémentarités et les aménagements nécessaires. Voilà qui semble raisonnable, mais qu’entend-on pas « intégration » ? Est-ce l’accommodement des revendications islamiques dans la société, au détriments de principes centraux tels la laïcité, l’égalité des sexes, la liberté religieuse, ou est-ce la mise en oeuvre d’un ascenseur social permettant de « récupérer » ces gens sans leurs oripeaux islamiques ? La réponse des-dits islamo-gauchistes ne me semble pas très claire, et la méthode encore moins. Mais pour Tariq Ramadan et ses fidèles l’objectif est clair : la France doit devenir une nation de l’Islam, et si on veut connaître cet avenir-là il suffit de lire Soumission de Houellebecq. Bof.
Suite à ce petit et très incomplet aperçu de la question, je ne sais pas, à mon petit niveau individuel, comment appréhender ces mouvances dites opprimées face à une population endogène qui, pour une grande partie, n’a rien demandé à personne, ne cherche à opprimer personne, subit une perte de sens de sa propre existence dans l’enfer productiviste, fait face à la menace grandissante de la précarité, et se voit tenue responsable par les nouveaux arrivants des maux de la Terre entière. Bien sûr le passif historique existe, bien sûr le racisme existe, bien sûr l’homme blanc dans les bureaux de la Goldman Sachs ou de Apple est un oppresseur mais peut-on réellement espérer quoi que ce soit d’utile en regroupant les gens de manière arbitraire en fonction de leur race, de leur sexualité ou religion ?
Je ne le crois pas, chaque personne est individuelle et doit être considérée comme telle. On ne peut pas tolérer des titres tel « Une fille violée par un migrant ». C’est qui « un migrant » ? Non, la fille a été violée par un homme, un individu à considérer en tant que tel, et non en tant que représentant d’un groupe coupable par association. Idem pour le mâle blanc hétéro, source supposée de tous les maux. Il y a aussi des oppresseurs chez les Arabes et les Noirs, chez les musulmans, chez les homosexuels, et des opprimés parmi les blancs hétéros. Chaque cas est unique et vouloir dresser les « bons » contre les « mauvais » sur la seule base d’appartenances arbitraires ne peut que mener au désastre.
Notes :
(1) https://www.causeur.fr/figaro-islam-plenel-daech-147672
(2) https://zerhubarbeblog.net/2016/09/02/lgbtqip-et-nous-et-nous-et-nous/
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