Jean Jaurès : Un héritage disputé et spolié
De Marine le Pen à Jean-Luc Mélenchon, un part croissante de la classe politique revendique et tente de tirer profit de l’héritage de Jean Jaurès dont le centenaire de la mort est commémoré en ce 31 juillet 2014. Le Co-fondateur de la S.F.I.O. a même vu en 2009 son patronyme cité en slogan d’une affiche du Front National, floquée « Jaurès aurait voté Front National ». Ayant pour but avoué de suscité la polémique, cette affiche aura au moins signifié une chose : la gauche n’a pas le monopole de l’héritage de Jean Jaurès.
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Il est évident qu’en 2009, l’utilisation de ce libellé avait provoqué de vifs débats et de nombreux représentants politiques avaient reproché au clan le Pen d’utiliser l’image de l’une des figures majeures du socialisme Français dans la mesure où celui-ci avait été assassiné par un étudiant nationaliste : Raoul Villain, il y a maintenant cent ans. Toutefois, ces accusations et autres condamnations n’avaient pas empêché Marine le Pen de faire référence à Jean Jaurès dans son discours d’investiture à la tête du Front national, comme pour enfoncer le clou. Elle avait alors repris à son compte les propos du normalien « A celui qui n’a plus rien, la patrie est son seul bien », phrase ambigüe, une fois sortie de son contexte et pouvant être interprétée bien différemment selon l’idéologie de l’orateur qui la scande.
En fait, c’est bien le virage en direction des ouvriers du Front National qui fut amorcé par l’évocation de Jaurès par les haut dignitaires du parti. Le Front, qui fut longtemps l’apanage d’une France traditionnaliste, de ceux qui se revendiquaient d’un héritage Maurassien, propose désormais un discours bien plus orienté vers les plus démunis, les « damnés de la République », les ouvriers, travailleurs pauvres, employés impécunieux et autres citoyens se sentant abandonnés par la classe politique. Ce virage fut notamment marqué par le lancement de la campagne de 2007 par Jean-Marie le Pen dans un lieu haut en symboles : Valmy. Cette ville est l’emblème d’un combat révolutionnaire et populaire contre les puissants, ce qui avait fortement déplu à son électorat d’alors. Le FN vise donc désormais les classes plus populaires et une figure de proue telle que Jean Jaurès est alors apparue comme un vecteur parfait pour cette métamorphose.
De nombreux observateurs osent aujourd’hui affirmer que de certaines places fortes de la gauche et de l’extrême gauche ont été ravies par le Front National parce que les ouvriers préfèrent désormais Marine le Pen aux traditionnels et charismatiques leaders d’extrême gauche. En réalité, il semblerait que les classes les plus populaires et les plus précaires n’aient pas « soudainement changé d’avis ». En fait, c’est à une réserve nouvelle de voix que le FN doit son succès croissant : les jeunes. C’est cette cohorte d’électeurs, récemment entrée dans un monde dominé par la précarité ; qui trouve refuge dans le parti d’extrême droite et que la gauche ne parvient plus à capter. Ces nouveaux électeurs ignorent en fait tout de la culture socialiste de laquelle, peut-être, leurs pairs ont été bercés.
Cependant de nombreux historiens tels que Gilles Candar dénoncent l’instrumentalisation croissante de la pensée de Jaurès par de nombreux courants qu’il aurait, selon lui, dénoncés s’ils avaient vu le jour en son temps. L’historien et analyste politique affirme ainsi « Le FN se revendique d'un républicain, socialiste, laïc, internationaliste, pacifiste, défenseur du droit des ouvriers, défenseur du droit des immigrés. Je ne sais pas s'il va pouvoir tenir la contradiction très longtemps. ». Effectivement, manquant de cautions idéologiques recevables, il est probable que le clan le Pen souhaite effacer son héritage peu orthodoxe en se créant un nouveau cadre référentiel pour, une fois de plus, redorer son blason. A titre d’anecdote, et bien loin de diaboliser les grandes figures de gauche d’un passé révolu, le premier geste, lourd de symboles, de Steeve Briois, maire nouvellement élu d’Hénin Beaumont (Pas de Calais), fut de faire transporter directement dans son bureau le buste de Jean Jaurès qui reposait jusqu’ici dans le hall d’entrée de la mairie.
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