Jeunes et voyous : ad vitam aeternam ?
Ce 3 novembre, le ministre de l’intérieur Brice Hortefeux lance l’idée d’un couvre-feu ciblé sur les mineurs délinquants de moins de 13 ans. Une décision considérée comme inapplicable pour certains, et logique pour d’autres.
En outre, elle démontre un besoin croissant des institutions de canaliser cette « violence juvénile ».
La violence est intrinsèque à toute société, et s’apparente à un phénomène omniprésent. « Elle est partout ! », s’accorde à dire l’opinion publique.
Pourtant, depuis très longtemps, la population juvénile est assimilée au terme de violence. Et dans une société dite sécurisée, où chaque acte dépassant ses frontières paraît comme violent, les jeunes cristallisent toutes les attentions. Et ce, de façon relative.
Mais qu’en est-il réellement ? De quels jeunes parle-t-on ? Et de quelle violence ?
Enquête.
COMBATTRE LA MEDIATISATION DES PREJUGES
Les Apaches de la Belle Epoque, les Blousons noirs qui symbolisent l’apogée du vandalisme des années 50, les Beatniks ou le refus d’une société consumériste dans les années 60, …représentaient les archétypes d’une jeunesse désabusée, violente et redoutable pour l’équilibre social.
Ainsi à chaque époque, ses « voyous ».
La question de la violence juvénile s’impose comme récurrente à chaque société. L’un des éléments déterminants de notre époque reste la tolérance de cette dernière à l’égard des actes violents. Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny souligne que : « la violence est un concept relatif : ce qui est violent pour vous ne le sera pas pour moi ».
Et cela s’applique au sein de la structure sociale. Une opinion appuyée par Veronique Le Goaziou, sociologue et ethnologue, chercheur associée au Cesdip (CNRS). « Nous ne pouvons pas dissocier la nature et l’évolution de la société sans poser la question de notre conception de la violence. L’évolution de notre société va vers un très net abaissement de la tolérance des actes violents. ».
En outre, la société, depuis toujours, a étiqueté les jeunes comme violents. Un acte violent chez un jeune reste donc en adéquation avec les attentes de la structure sociale. On assiste alors à une conformité dans le discours social. « Ce phénomène arrange alors tout le monde dans la mesure où on a un ennemi commun, clair et discernable. Et surtout facile à attraper, et à condamner » ajoute André Iteanu, ethnologue, directeur de recherches au CNRS.
De plus, il est important de déterminer les « jeunes » concernés. On assiste à une profusion de termes comme « violence scolaire », « violence juvénile », « violence de la petite enfance »…dénaturant ainsi toute conceptualisation ou analyse possible. Le premier problème se pose alors, un problème de définition. Derrière le concept de violence juvénile, se regroupent les actes d’insultes, les agressions, les crimes... pouvant altérer les questions sous-jacentes de ce phénomène complexe.
Veronique Le Goaziou, philosophe apporte un élément de réponse pour expliquer cet amalgame. « Depuis une quinzaine d’années, la question de la violence, en particulier celle des jeunes, est hautement médiatisée et politisée. On parle d’hyper violence, d’une montée en violence des actes… De quoi être apeuré si on se laisse embarquer dans cette vague ».
Ce vocabulaire hyperbolique crée une sorte de psychose auprès du grand public sans pour autant avoir des faits réels à justifier.
DEFINIR ET NUANCER LE PHENOMENE
Veronique Le Goaziou et Laurent Muchielli, sociologue et directeur de recherche au CNRS ont élaboré, à l’échelle d’une juridiction, les caractéristiques des auteurs et des agressions.
En ce qui concerne les types d’agressions, quatre catégories se dessinent :
- Les cas « d’embrouilles » : histoire d’honneur, de filles, de bonbons et ballons…Les motifs bénins et triviaux
- La violence envers les adultes qui ont une autorité symbolique (parents) et légale (policiers et gendarmes)
- Les vols commis avec violence.
- Les abus sexuels et viols.
En ce qui concerne les types d’agresseurs, trois types d’auteurs se dégagent :
- Plus important, et pourtant moins visible que les autres, les jeunes sans difficulté majeure. Ils sont à une période de leur vie à la recherche de leurs limites où les actes de violence de faible gravité sont répandus.
- Les jeunes en difficulté sur le plan familial et psychologique. On peut parler de violence pathologique dans la mesure où ces jeunes doivent porter un lourd passif intra familial de violence
- Les délinquants des quartiers qui se caractérisent par un faible niveau social et habitent dans des zones défavorisées. Cette délinquance semble quasi endémique mais est également très ancienne.
Chaque catégorie symbolise un monde, des âges et des dynamiques de passage à l’acte très différents. André Iteanu, ethnologue, souligne, à ce titre, la spécificité des actes de violence où les jeunes se regroupent par exemple selon leur âge, et leur milieu d’appartenance.
A travers cette classification, la vision générale des violences juvéniles s’effrite afin de pointer du doigt les caractéristiques de ce phénomène. Et montrer la difficulté de mettre en place une solution générale.
« Je ne vois pas en quoi la France est confrontée à un problème spécifique sinon que les enfants « en conflit avec la loi » ont des passages à l’acte associant de plus en plus souvent la violence à la violation de la loi. » relate Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny.
Il poursuit « On arrache un sac plus qu’on ne le prend, on s’attaque aux représentants des institutions (acte d’incivilité, rébellion, violences verbales ou même physiques) sans compter les violences sexuelles. ».
Il est vrai que les statistiques des violences augmentent, et les actes s’aggravent. Là encore, prudence ! La hausse des chiffres ne signifie pas une augmentation du phénomène dans la mesure où depuis 1994, date du nouveau code pénal, on assiste à un durcissement judiciaire selon Veronique Le Goaziou.
Des infractions comme les « appels téléphoniques malveillants » ont été mises en place, les agresseurs encourant une peine d’un an de prison. Ou encore le vol est désormais puni d’une peine de trois ans de prison.
De plus, les victimes sont de plus en plus susceptibles de dénoncer leurs agresseurs.
Ainsi, la sévérité judicaire entraîne une augmentation des punitions, des circonstances aggravantes, et donc des chiffres.
En outre, Jean-Pierre Rosenczveig, juge pour enfants rappelle que « toute violence juvénile ne prend pas la forme d’une violation de la loi ». Les insultes, les provocations, les agressions verbales s’inscrivent aussi dans un processus de violence.
Mais aussi, il existe des violences « tacites qui peuvent être symbolisées, par exemple, par le refus de travailler. Et cela peut être plus violent encore » explique Richard Redondo, président de l’Association Française des Psychologues de l’Education Nationale (AFPEN). Il poursuit. « Ils utilisent la violence comme une arme à double tranchant contre les autres et eux-mêmes ».
La question des suicides doit être aussi préoccupante, et symbolise une forme de violence bien plus destructrice. « On compte en France 11 000 suicides par an dont environ 4000/5000 jeunes. Sans parler des tentatives de suicide. C’est en partie la plus importante violence juvénile de notre société » explique André Iteanu, ethnologue.
LES SOLUTIONS PENALES ET PEDAGOGIQUES
De nombreux moyens existent afin d’aider ces enfants qui ont plongé dans le cercle de la violence. « Il est important de reconstruire le lien social avec un adulte aimé et respecté par le jeune. C’est un travail de longue haleine » souligne Richard Redondo, président de l’Association Française des Psychologues de l’Education Nationale (AFPEN).
Ce cercle vicieux peut persister tant qu’un référent crédible ne le casse pas. La solution ? « continuer à mettre des cadres, et des limites » ajoute le psychologue.
Il est vrai qu’aujourd’hui on assiste à un rajeunissement des mécanismes adolescents, notamment entre 8 et 9 ans. Et cela passe par des oppositions, des provocations, des insultes…
Et pourtant, ces dits mécanismes répondent à une logique simple. « Ces enfants vont trouver un moyen pour attirer l’attention et montrer leur mal-être ». Jean-Pierre Rosenczveig confirme cet état de fait : « Confronté à une frustration, un enfant est porté à la violence, soit par des cris, soit par des gestes. Son environnement va le conduire à s’inscrire dans cette démarche ou à y renoncer rapidement ».
En ce qui concerne, les solutions pénales, voici quelques points :
- L’incarcération des moins de 18 ans est impossible avant 13 ans
- Certaines condamnations peuvent être appliquées à partir de 13 ans : la peine encourue est la moitié de celle d’un majeur.
- La détention provisoire est possible à partir de 13 ans en matière criminelle et à 16 ans en matière délictuelle.
Des mesures préventives ont été crées par l’Etat et les collectivités publiques afin de prévenir la récidive et prévenir la primo délinquance.
A travers les associations, les services de proximité, les "grands frères", le lien social peut se construire. « Il faut, par delà la sanction qui peut être dissuasive, s’attaquer aux conditions de vie, aux problèmes psychologiques, aux carences éducatives de l’enfant concernés. Avec la travail social, l’appui de la famille, on peut y arriver » affirme le président du tribunal pour enfants de Bobigny.
A cela s’ajoutent des mesures de prévention de la délinquance. Et elles s’appliquent à travers des préventions policières, des convocations familiales, la baisse de l’âge de la responsabilité civile, les centres de rééducation….
Pourtant, les actes violents semblent représenter qu’une façade visible d’un appel à l’aide ou d’un mal-être. « La violence cache le reste. Quand je suis confronté à des actes violents, je regarde ce qui a poussé le jeune à agir ainsi. Il ne faut surtout pas se concentrer sur le passage à l’acte en lui-même. Mais plutôt sur les causes » conclut Richard Redondo, président de l’Association Française des Psychologues de l’Education Nationale (AFPEN).
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