Jongler avec la loi, un cas pratique
Ce jour une « adolescente de 14 ans a été mise en examen pour vol et falsification de chèques à Thionville en Moselle à la suite de la plainte de sa mère, une procédure rare au sein d’une famille ».

« Elle comparaîtra le mois prochain devant le tribunal pour enfants de Thionville, pour avoir volé le chéquier de sa mère et mené grand train à Marseille lors d’une fugue avec une amie en juin dernier [...] : en quelques jours, les adolescentes avaient dépensé 2 500 euros. » (lien)
N’existe-t-il pas une immunité familiale entre descendants et ascendants concernant des infractions telles que le vol, vous demandez-vous ? Plus tout à fait depuis la loi du 4 avril 2006 « renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs » (lien). Cette loi dispose, en effet, que cette immunité n’est pas applicable « lorsque le vol porte sur des objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime, tels que des documents d’identité ou des moyens de paiement ». Or, considérant que la mère est femme de ménage, aux revenus modestes, il est pertinent de considérer qu’il s’agit là d’un vol de moyens de paiement indispensables à la vie quotidienne. Pour Me Le Menn-Meyer, « cette loi a été détournée [...] elle visait exclusivement le conjoint de la victime et non l’ascendant ou le descendant », un détournement aux conséquences « plus graves et difficilement réparables que si ça s’était réglé autrement que par la voie judiciaire ».
On ne peut que suivre l’avocat lorsqu’il dit que cette loi a été détournée. La lettre s’applique, mais l’esprit fait défaut. Ainsi, dans le détail des « principales dispositions du texte » (lien ), il nous est conté que l’auteur du projet avait prévu que « le vol n’étant pas reconnu entre époux, création d’un délit spécifique en cas de privation par un membre du couple, actuel ou non, de pièces d’identité ou de documents relatifs au séjour ». Dans le détail des « principaux amendements des commissions, on apprend qu’il y a « suppression du dispositif adopté par le Sénat [NDM : la création d’un délit spécifique] et reconnaissance de la possibilité de vol entre époux concernant les documents d’identité, ceux relatifs au séjour ou à la résidence d’un étranger, et les moyens de paiements ». Il est manifeste que la loi, comme son intitulé l’indique, ne visait nullement les relations entre ascendants et descendants, mais bien les relations conjugales, de couple, les conflits d’époux. En creusant un peu plus, on s’apercevrait sans doute que la finalité de la levée de l’immunité pour vol n’était pas de rendre répréhensible le vol en général dans le couple, mais de punir le vol destiné à conserver le conjoint victime sous dépendance matérielle.
L’esprit de la loi est donc étranger à l’affaire du jour. Mais la lettre y est pleinement. Le législateur avait-il ouvert si grand la porte et anticipé ce type de cas ? Si ce n’est pas le cas, il a été d’une gigantesque légèreté car, non seulement, dans sa modification de la loi, il n’y a pas de précision sur la nature du lien familial mais, de plus, le dol criminel n’est pas clairement exigible. Je m’explique : le vol est, selon la loi, la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. Le dol criminel est donc le fait de soustraire à autrui une chose lui appartenant, sachant qu’il ne souhaite pas s’en défaire, sachant que cela est réprimé par la loi. On avait prévu une immunité familiale entre ascendants et descendants (ne s’appliquant pas aux collatéraux). Puis, on ajoute que l’immunité n’est pas applicable que si l’objet du délit « porte sur des objets ou documents indispensables à la vie quotidienne de la victime ». Mais on ne précise pas la dimension intentionnelle de cet ajout. Aurions-nous ajouté une circonstance aggravante spécifique à la loi sur le vol qu’il eut été possible de dire qu’est réprimé le fait de soustraire frauduleusement la chose d’autrui sachant qu’elle est indispensable à sa vie quotidienne. Mais il n’y a pas de telle circonstance aggravante, l’infraction reste la simple soustraction frauduleuse de la chose d’autrui, il n’est pas nécessaire de démontrer que la mise en cause avait la conscience et la volonté de voler des choses indispensables à la vie quotidienne de sa victime.
Si on peut suivre l’avocat sur l’aspect purement juridique des choses, on peut être plus circonspect sur sa vision des conséquences des poursuites engagées. Même si le vol simple fait encourir une peine de trois ans d’emprisonnement, la pratique veut qu’un mineur reconnu coupable de vol n’a statistiquement que peu de chance de subir une telle peine, en particulier pas s’il n’a pas fait l’objet de condamnations multiples antérieures. Il n’est, toutefois, pas dénué d’intérêt que le conflit opposant la fille à la mère, le mépris de la fille pour les biens et le bien-être de sa mère, soit connu d’une juridiction répressive, arbitre extérieur, et réprimé.
En conclusion, si l’on peut s’interroger sur le flou de certaines législations pénales récentes, permettant des interprétations sans guère de rapport avec les débats parlementaires s’étant tenus à l’occasion de leur rédaction, peut-être est-il toutefois immodéré d’y voir la source d’une répression insensible et insensée. Nous avons lu les pires scenarii catastrophes à propos de la loi dite Perben II (lien), l’expérience a bien démontré le caractère affabulatoire de celles-ci : les possibilités légales de répression ne sont forcément exploitées à mauvais escient, malhonnêtement et systématiquement. Qu’on le croit ou non, les magistrats et policiers ne semblent pas tous animés par la volonté maligne de nuire à autrui au point de détourner l’esprit des lois.
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