« Kleptocratie » à l’algérienne : un prédateur né du sérail
Depuis le 7 janvier 2007 se tient au tribunal de Chéraga relevant de la cour de Blida, banlieue Ouest d’Alger, le procès de la plus grande affaire d’escroquerie que connaisse ce pays. En lien avec des pratiques connues mais jamais élucidées, de mauvaise gestion de la colossale rente algérienne que génèrent ses ressources naturelles notamment énergétiques, l’affaire fait couler beaucoup d’encre, tant pour son gigantisme que pour l’attente qui tient en haleine l’opinion, tant en Algérie qu’ailleurs, en Angleterre, où s’est réfugié le milliardaire déchu, d’où il vient de réfuter la possibilité de son extradition en l’absence de convention entre les deux pays et surtout par ses derniers propos de « l’injustice régnante dans son pays d’origine », puis en France où les ambitions de cet arnaqueur se sont bien disséminées. Les échos sont mesurés dans ces deux pays, du fait de l’appréhension des procédés équivoques auxquels s’est habituée l’administration algérienne.

L’ignominie de ce banditisme en col bien blanc reflète le contraste entre l’espérance d’un pays aspirant à se construire depuis sa libération et la prédation dont sont capables ceux qui font main basse sur les moyens qui favorisent le développement raté de l’Algérie à cause du système de pillage perdurant.
L’aspect idéologique par lequel s’explique ce scandale ramène au profil de Rafik Abdelmoumène Khelifa, repris de justice, condamné à six reprises pour des larcins, avant de se lancer dans les hautes sphères. Ses manigances sont de règle destructrice visant les capitaux à caractère social ; les plus démunis des Algériens mettent leurs expectatives de bien-être. Le principal meneur intenta aux secteurs du logement social OPGI (Office public de gestion immobilière), les caisses de la sécurité sociale qui ont été poussées à léguer la gestion de leurs comptes à une banque sans solvabilité, des œuvres sociales de mutuelles, de banques étatiques ainsi que ceux des entreprises publiques (et non privées) les plus performantes et des particuliers dont beaucoup venant de l’immigration.
Le jeune homme d’affaire qui s’est illustré en France avec le sponsor du prestigieux club français de football, l’OM (Olympique de Marseille), avait un pied bien implanté dans la baie cannoise où il était propriétaire depuis l’année 2000 de trois luxueuses villas, un hôtel particulier à Cannes ayant appartenu au milliardaire excentrique connu sous le nom de Môme Moineau, puis d’une entreprise de location de voitures de luxe, avant de fonder une chaîne de télévision, Khalifa TV, et une compagnie de transport aérien, Khalifa Airways, ainsi que des relations avec les deux grandes figures artistiques, Gérard Depardieu et Catherine Deneuve, à coups de chèques de 50 000 euros pour faire bonne figure. En réalité le scélérat, né dans les carcans de la « kleptocratie » qui sévit depuis l’indépendance dans ce grand pays pétrolifère maghrébin, n’est qu’un écumeur sans vergogne. Dès l’intéressement de la Justice algérienne à cette histoire, la liquidation judiciaire de ses entreprises a été déclenchée à la vitesse de l’éclair en France.
Rejeton d’un certain Laroussi Khelifa ministre dans le premier gouvernement algérien de post-indépendance, lui-même pharmacien de son état au même titre que le larron fils qui fonda un empire financier dont les convoitises visent davantage les secteurs commerciaux que productifs. La hâte de se remplir les coffres ne fait aucun doute, du point de vue où la notion de création de richesses n’a jamais lieu.
Le contexte, de l’existence de ces magouilles d’une ampleur inégalée, était idéologiquement propice car il était montré comme le modèle parfait de réussite. La période est marquée par le passage à l’économie de marché, d’une Algérie déjà secouée depuis des lustres par de tels méfaits, camouflés dans une opacité qui ne permettait guère de les déchiffrer. Fuites de capitaux et accaparements des faramineuses ressources, bien segmentés au profit des cercles du pouvoir du FLN dirigeant - et non libérateur, qui reste un symbole de décolonisation - étaient depuis longtemps dans les bouches. A l’arrivée de feu Boudiaf à la présidence de l’Algérie après l’arrêt des élections de 1991 qui allaient introniser les ultra-islamistes au pouvoir, Jean Zegler député européen de Genève lui a fait parvenir une lettre dénonçant l’existence de beaucoup de biens immobiliers sur les boulevards de Berne et de sa ville (Genève), appartenant directement à des notables du régime ou à des intermédiaires. Il avait même proposé de les récupérer pour le compte de l’Etat algérien. Boudiaf a été assassiné, au bout du sixième mois, par un de ses gardes du corps et ce projet est tombé dans les oubliettes. Le retour de Bouteflika renommé pour des suspicions de même nature n’arrange pas l’existence d’une telle mesure. Lors de son passage sur la chaîne de télévision Al-Jazeera, RAK (Rafik Abdelmoumène Khelifa) cita l’actuel président algérien comme étant à l’origine de sa chute et historique en révélant que son géniteur faillit l’exécuter pour désertion en 1958. Cette dernière information a été reprise par le quotidien Ouest-France du 3 février 2007sous la plume de son correspondant à Alger.
Quand apparaît le « golden boy » Khelifa, outre la libéralité idéologique en offensive, les frappes du terrorisme islamiste accomplissaient l’élimination physique du fleuron intellectuel et intègre de la société civile naissante, afin de taire toute possibilité de mise à nu du passif des détrousseurs d’antan sur le point de blanchir les fortunes amassées, ou de barrer la route aux familles de type camora dites « politico-financières » qui sévissaient outrageusement dans l’importation. La filière européenne de voitures touristiques dites « CH » (1) d’âge avancé et que les cartes grises présentaient comme récentes, qui a été découverte à la même époque, illustre les méthodes frauduleuses d’entrée des produits d’import. Affaire qui reste dans les annales algériennes comme une tare pour l’absence d’expertise et de contrôle des services publics donc aux raffermissements profondément entrants dans les rouages décisionnels.
L’affaire Khelifa éclata le jour où trois cadres de « Khelifa Bank » ont été arrêtés à l’aéroport international d’Alger alors qu’ils tentaient d’expatrier frauduleusement dans leurs bagages deux millions d’euros. Depuis seule la division bancaire du groupe Khelifa concerne la justice, le reste est sous saisie. La magistrate, madame Brahimi Fatiha, en tête du procès apporta les chiffres suivants, en guise de fonds dérobés d’une banque née, dit-on, de la vente d’une maison co-héritée avec un frère -Lakhdar- et une sœur -Hafidha- du principal instigateur après la falsification de signatures : « 2,292 milliards de DA, 1,796 million de dollars US, 8,1 millions d’euros, 7,42 millions de francs français (1,13 million d’euros), 8700 francs belges (215 euros), 2615 Deutsch marks (1337 euros), 12 570 francs suisses, 57 360 livres sterling, 210 dollars canadiens, 500 marks finlandais (84 euros) ».
De toute évidence la confrontation des classes rentières proches des autorités qui se sont succédé en Algérie depuis 1962, constitue le soubassement de cette affaire. Les responsables cités en l’occasion du jugement vont d’un chef de gouvernement à quelques ministres, certains pour avoir fermé les yeux devant la gabegie et d’autres pour avoir pris part dans le montage d’un groupe financier pillard. Environ mille personnes sont auditionnées à titre de témoins ou d’inculpés. Beaucoup au même titre que RAK sont en fuite et sous mandat d’arrêt international.
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