L’abeille et la bête
L’existence même des abeilles est menacée. Ce n’est pas un scoop, évidemment, mais il est intéressant de s’y arrêter un instant pour se demander où nous en sommes dans notre processus radical d’occupation exclusive de la planète.
Ce qui a déclenché ceci, c’est un mail reçu pour un soutien à l’association Pollinis. Une association qui dit s’investir pour sauver la cause des abeilles auprès de l’Union Européenne. Il se trouve qu’à y regarder de plus près, cette association profite probablement de la cause pour prospérer sans s’en préoccuper réellement. Pour ceux que ça intéresse, on peut trouver des informations à partir d’ici et là. Mais le sujet n’est pas de savoir si les dirigeants de Pollinis sont des escrocs. Pas plus que de stigmatiser le paysan qui répand du pesticide, il fait un trop noble métier et il est, lui aussi, un maillon qui tente de survivre. Il s’agit plutôt de faire un pas en arrière pour réaliser où nous en sommes dans notre eco-sabotage. Je dis bien « nous » parce que la responsabilité est définitivement collective, mais nous sommes tous individuellement coupables.
Cette petite bestiole pollinise 80% des espèces à fleurs et ce maillon risque de disparaître à très court terme. On parle d’une vingtaine d’années. Et on sait que si un maillon se brise, la chaîne entière sera touchée. Quels sont les vrais impacts ? Personne ne le sait vraiment. Bien sûr, nous saurons nous adapter et la nature aussi. Mais à quel prix ? Si la montée des océans se fait (relativement) lentement, cette cassure-là pourrait bien être brutale.
Je me souviens, il y a de ça une petite vingtaine d’années, on m’avait offert un livre « 5 000 jours pour sauver la planète ». Un truc pour chevelus qui expliquait la plupart des défis écologiques auxquels nous devions faire face. Certes avec un peu de provocation puisque 20 ans plus tard nous sommes toujours là, mais aucun de ces problèmes n’est résolu ni même en passe de l’être. Bien au contraire.
A peu près à la même époque, le très remarquable Jean-Marie Pelt avait sorti son bouquin « Le tour du monde d’un écologiste ». Livre excellent à beaucoup d’égards. D’abord parce qu’il se positionne comme écologiste, c'est-à-dire scientifique. Parce que n’en déplaise à certains, l’écologie est une science, pas autre chose. Ensuite, Pelt met en première place des soucis écologiques de la planète, et de loin : la démographie ! En effet, à quoi sert de faire des efforts pour réduire de 20% l’émission de ceci ou cela par habitant si la population augmente de 40% ? C’est mieux que rien me direz-vous, bien sûr, mais ça ne fait que retarder l’heure d’une mort annoncée.
J’ai pourtant une sainte horreur de tous les discours catastrophistes et de toutes ces théories du « tout est pourri » parce que c’est tellement trop simple. Mais j’ai aujourd’hui le sentiment que tous les efforts portent sur une seule chose : repousser les limites. Pousser le tas de sable, ou le mur dans lequel nous ne manquerons pas de nous écraser. Faire en sorte que notre monde puisse accepter encore plus, un peu plus longtemps. Mais la possible disparition de cette petite bestiole raisonne comme un point de non-retour. Je vois dans cette petite bosseuse infatigable et à l’intelligence qui nous dépasse certainement, comme un symbole de notre empreinte toxique. Nous la reléguons au rang de détail alors qu’elle a certainement beaucoup à nous appendre. Nous sommes devenus tellement arrogants que sa présence ou sa disparition nous importe moins que le résultat des élections (c’est dire !) alors que leur influence sur notre avenir est beaucoup plus évidente.
Nous nous leurrons donc, comme le fait le paradoxe d’Achile et la tortue (paradoxe qui fait croire qu’Achile, réputé très rapide, n’arrivera jamais à rattraper la tortue parce que, pendant qu’il parcourt la distance qui le sépare de la position initiale de la tortue, celle-ci aura avancé et en reproduisant ce raisonnement, il ne pourra jamais atteindre l’animal). Le paradoxe suppose qu’il est toujours possible de repousser l’instant où Achile atteint l’animal, comme nous nous évertuons à croire que nous pouvons repousser les échéances dramatiques. Pourtant, ça fait bien longtemps que les mathématiques ont montré que la tortue allait se faire avoir…
Bee happy !
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