L’Ardoise ou la tuile, le mauvais procès d’un outil de procédure
Le magazine Têtu, se revendiquant comme « le magazine des gays et des lesbiennes » a appris que « Le Collectif contre l’homophobie de Montpellier (CCH) vient de demander à Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, de surseoir à l’entrée en vigueur, prévue en mai prochain, d’un nouveau logiciel de renseignement pour les services nationaux de police et de gendarmerie [...] baptisé Ardoise ».
Le problème pour ce collectif est que ce logiciel « prévoit de renseigner des caractéristiques personnelles de toute personne entendue comme victime, témoin ou auteur au cours d’une procédure. Les agents utilisant ce logiciel devront renseigner la rubrique "état de la personne" et établir un profil de la personne en cliquant parmi les thèmes suivants : "homosexuel", "transsexuel", "handicapé", "sans domicile fixe", "personne se livrant à la prostitution", "travesti", "relation habituelle avec personne prostituée", "personne atteinte de troubles psychologiques", "usager de stupéfiants", "permanent syndical" ». Le collectif dit « partager le malaise de nombreux policiers et gendarmes ; comme eux, nous avons du mal à saisir l’intérêt de la mention de certains détails et les finalités de ce profilage » et estime que « cette pratique peut donner lieu à des dérives de sinistre mémoire » et en profiter pour saisir Halde, CNIL, etc. (lien)
Les déclarations de ce collectif reposent sur de nombreux postulats. Ces postulats ne sont pourtant pas d’emblée indiscutables :
Quels sont les policiers et gendarmes pour lesquels ce nouveau logiciel crée un malaise ? Aucun syndicat à ce jour n’a, à ma connaissance, exprimé un tel malaise. S’il y a contestation, elle se fait en catimini. Les fonctionnaires de police étant astreints au devoir de réserve*, syndiqués à environ 80 %, en l’absence d’action de leurs syndicats, nul ne peut rien affirmer.
Ce qui est décrit par ce collectif comme fichage est-il nouveau ? Le logiciel Ardoise remplace un antique logiciel nommé LRP qui prévoit également, lors de l’établissement d’une plainte par le procès-verbal dit « compte-rendu d’infraction » (CRI), la mention de l’état de la victime : adolescent, personne vulnérable, fonctionnaire, etc. Il n’y a donc pas d’innovation, juste la remise en forme d’une fonctionnalité déjà existante et utilisée.
À quoi sert cette fonctionnalité ? Il s’agit d’une fonctionnalité permettant la synthèse de la procédure établie. Cette information est renseignée si elle est utile à ladite procédure. Par exemple, si la saisine est constituée par une plainte de la part d’une personne qui a été agressée en raison de son orientation sexuelle, le fait de renseigner cette information rendra la synthèse, mise en forme de manière automatisée, explicite à cet endroit. Mais ça ne changera rien au corps du procès-verbal qui de toute façon devra amplement détailler les éléments constitutifs de l’infraction, notamment en approfondissant ce point. Il en sera de même pour un délégué syndicat harcelé en raison de son action syndicale, d’une prostituée agressée dans l’exercice de ses activités, ou encore d’un handicapé volé par la mise à profit de sa vulnérabilité apparente. Si le procès-verbal n’est pas une plainte, mais concerne, par exemple, l’interpellation d’un mis en cause, de la même manière, cela intéresse l’enquête qu’en synthèse apparaisse s’il s’agit d’un sans domicile fixe.
Ces informations constituent-elles un fichage ? Un fichage, c’est la constitution d’une base de donnée nominative à des fins de recherche. Par exemple, la police utilise le Système national des permis de conduire pour savoir si tel ou tel individu dispose d’un permis de conduire valide. Ardoise, avant tout, est un outil de procédure, ce n’est pas un fichier. Au contraire de son prédécesseur LRP, il est vrai qu’il automatise la transmission d’informations vers divers fichiers. Ainsi, tel véhicule volé enregistré au moyen d’Ardoise sera connu du fichier qui s’y rapporte, sans action supplémentaire (actuellement, les policiers doivent faxer le procès-verbal de plainte de vol de véhicule, fax qui est relu par un service qui se charge de l’enregistrer dans le Fichier des véhicules volés). Il est vrai également qu’Ardoise permet aux chefs de services d’établir des statistiques. Mais, en soi, les informations entrées dans les champs critiqués par le collectif n’ont pas vocation à constituer un fichier. Ces informations ne sont pas enregistrées à l’insu des concernés et, là est l’essentiel, ces informations-là ne contiennent rien qui n’aurait pas été de toute façon mentionné dans le corps du procès-verbal.
C’est donc un mauvais procès qui est fait au logiciel Ardoise, sans doute parce que, dans l’empressement de l’accusation, certains ont omis de se renseigner. Rien de nouveau dans le principe, pas de fichage, Ardoise apporte principalement une automatisation de certaines tâches, qui sont pour le moment réalisées artisanalement, et l’élaboration de statistiques. À l’heure où l’on demande au service public d’accroître son efficacité et où l’on discute régulièrement de la délinquance sans pouvoir la quantifier précisément, il n’y a rien de bien traumatisant là-dedans.
(* Tous les fonctionnaires sont soumis au devoir de réserve. Mais divers faits récurrents montrent que certaines administrations, l’Education nationale, par exemple, n’en tiennent pas compte un seul instant et tolèrent l’expression de points de vue tout à fait politisés, voir l’action directe, de la part de son personnel dans l’exercice de ses fonctions. Par exemple, il semblerait que l’Education nationale n’ait jamais été choquée outre mesure par le fait que la directrice d’une école parisienne, du 19e arrondissement, s’oppose à une intervention de police en dégradant un de ses véhicules, en mars 2007. Pourtant, un fonctionnaire de la République de rang élevé s’opposant à une action de la force publique de la République agissant en vertu des lois de la République n’est pas tout à fait du registre de l’anodin.)
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