Au seuil de 2010 un pauvre gars a donc été tué dans un supermarché pour avoir trop rêvé de quelques canettes de bière, destinées sans doute à atténuer sa solitude désargentée durant cette fête rituelle de fin d’année. L’Abbé Pierre aurait pu lancer à nouveau un appel... « Un homme est mort cette nuit, un innocent, un pauvre, sous les coups de la bêtise sadique, et aussi impitoyable que la société tend à le devenir ». Néanmoins chacun a continué d’accumuler ses tonnes d’achats si offensantes pour des millions d’entre nous.
Que deviens-tu peuple de France ? ! Pays de Voltaire et d’Hugo, ta télévision n’est presque plus qu’une cour d’école de starlettes siliconées incultes, et d’animateurs sortis précocement du collège (ayant surtout le niveau de mœurs requis), de tant de pseudo-écrivains éternellement bronzés s’auto-définissant eux-mêmes comme médiatisés, faute d’avoir vraiment du fond... l’image.
Celle de ce pauvre torturé sous les caméras plus attentives que bien des clients, un jour de fête, cette image est le miroir dans lequel nous évitons encore de nous regarder, mais jusqu’à quand ? Personne ne peut plus ignorer que dans notre modèle « libéral » (détournement habile de la noble valeur de liberté...), que chacun peut rapidement devenir ce pauvre. Au royaume de la rentabilité et de la consommation de tout et de tous, chacun doit faire du chiffre, sauf à ne plus pouvoir compter sur personne et ne compter pour rien. Garder des valeurs humaines ? Préserver un socle culturel ? Passé de mode...ou réac. La famille ? À trop vouloir se recomposer (peut-on recomposer Mozart ? le Ciel ? l’Amour ?) elle est en pleine décomposition, comme la société dans son ensemble. Les amis ? Quelle est donc cette chose mutée de plus en plus en « relationnel » dans la même logique du système, celui où chacun est invité à avoir un « réseau », terme réservé jadis aux lignes téléphoniques. Désormais l’amitié se fait prioritairement sur le Net, comme on y fait ses courses. Chacun doit pouvoir évaluer avant consommation le produit qu’est l’autre sur le mur du Net qui s’affiche. Il faut faire le mur, comme le trottoir. On choisit ses « amis » comme les chaussettes, on essaye ses « amours » mythiques et préétablis par critères de sélection consentie. Chacun prospecte dans son rayon. Il y a les sites « class » et branchés, comme les quartiers et restos chics. Les « banlieue-dating » se font plus rares, ou se cachent, comme le pauvre du supermarché. Bientôt la Culture ou l’exigence intellectuelle auront aussi à se cacher. Notons le « super » dans ce format de supermarché, à l’évidence on nous fait bien marcher depuis des années en nous présentant ces lieux anonymes comme un progrès. Il faut vivre « super » pour être intégré.
Un progrès, pour qui et en quoi ? Bientôt la caissière ne sera plus qu’un ordinateur... Tel est ce fameux « progrès », celui du paradis conceptuel promu durant les années fastes du capitalisme, quand tout le monde allait être riche et donc heureux, voire, célèbre. Cette notion dernière est en partie l’illusion prolongée du « farcebook », celle de la fuite dans la société virtuelle comme échappatoire à un monde bien réel, de plus en plus « pauvre », en conscience. La morale y est donc devenue un vilain mot, les valeurs, ce n’est pas top, sauf au niveau marchand. A titre d’exemple, pour rentrer dans le « petit » écran le journaliste Eric Zemmour est presque invité à garder sa culture pour lui. Que l’on partage ou pas ses convictions, ses propos développés et construits sont devenus dérangeants à l’heure de l’animation « macdo ». Il en résulte de fait un personnage chargé d’une symbolique qui le dépasse, voire, une mission, celle de continuer de penser et parler vraiment face à l’apathie consensuelle. Tous ces leurres… C’est l’heure ! Réveillons-nous...
Ce pauvre gars tué au supermarché, image d’une société qui ne marche pas super... c’est nous ! Notons qu’il ne volait pas une Rolex, mais juste à boire (« à manger et à boire » chantent les Restos surchargés du cœur...). Les vœux présidentiels (l’homme n’est pas pire qu’un autre) feront date dans les annales psychanalytiques de l’autosuggestion. Les politiques tentent de maintenir encore un langage quand la réalité leur échappe, ils distribuent des images. Avec 12 et bientôt 16 millions de pauvres, 6 à 7 millions de chômeurs non officialisés pour ménager le brave peuple, nous irions ainsi vers « l’année du renouveau » ! Ses prédécesseurs de l’Elysée nous ont chanté le même refrain du « retour de la croissance » présenté comme l’idéal suprême, dans la logique de notre système. Il y a eu « les prémices » de la reprise (sans doute celle des chaussettes des pauvres !).
Nous vivons une époque « moderne » ! Hélas, les couples ne vont plus de paire sous les couchers de soleil, et 4 millions d’enfants ne voient plus leurs deux parents (lesquels enfants naîtront bientôt dans des choux pour ne plus être nés selon le schéma « suranné » d’un homme et d’une femme).
Bien que disparus et dépassés, et si peu visibles à la Télévision, l’Eglise et son Pape passent cependant pour de vilains réactionnaires et responsables de presque tout. Pourtant, à l’enterrement du précédent Pape, l’affluence battait les records de la coupe du Monde de Football de 1998. Même si un Pape peut tourner l’audimat en ridicule, le monde sans Dieu n’a décidément aucune limite dans sa mauvaise foi.
Au sortir d’un supermarché comme celui où le pauvre fut tué, l’opulence graisseuse et grossière de certains s’affichait une fois encore à la « hauteur » de leur égoïsme... Quel dommage que le ridicule ne tue pas, que l’on tente enfin un autre modèle de vivre ensemble. En fait, ils nous tuent, l’air de rien. Il y aura un jour embouteillage devant le crématorium ! Le cimetière n’étant plus très tendance, reconnaissons au moins à certains le fait d’assumer n’être devenus que de simples tas de viandes vidées de conscience et de cœur, prêtes à se faire rôtir une dernière fois (comme au Jour de l’An ! ou de l’Ane...). Pour ceux-là, les mêmes qui affichent leur Rolex au passage en caisse, qu’ils retournent à la poussière ! Les voleurs ne sont pas ceux que l’on feint de croire, quand le paradis est fiscal ! Le « pauvre » du supermarché aura au moins sauvé son âme, pour peu qu’il n’ait fait que cette « faute »… Dans d’autres cas de figure, la démagogie de certains groupes d’influence n’aurait pas tardé à se traduire par une manifestation à la mode médiatique. Avant de n’être tous que les jumeaux complices, conscients ou refoulés, de ceux qui l’ont tué, loin de tous ces leurres... pour nous aussi, c’est l’heure !
Guillaume Boucard