L’écho-côtier se déchaîne
Il advint qu'un étranger, un inconnu venu poser ses lourdes malles sur la rive, décida de construire sa demeure pour s'implanter dans ce territoire qu'il avait choisi du côté du cœur. Il devait avoir un joli pécule puisqu'il bâtit sur la levée un curieux bâtiment au regard de ce qui se faisait traditionnellement dans la région. Il est vrai que l'homme venait de loin et agissait selon ce qu'il avait toujours appris.
Les voisins les plus proches, après une période de méfiance, tombèrent sous le charme de ce personnage avenant qui avait tout fait pour se faire accepter. Il avait multiplié les visites, les explications et plus encore, les invitations. Il y avait certes bien quelques interrogations sur sa curieuse manière de bâtir et plus encore de se comporter mais rien qui ne mettait en cause son intégration dans ce petit microcosme rural.
La belle demeure se remarquait de loin et plus encore de la rivière pour ceux qui la voyait ainsi en une contre-plongée qui modifie singulièrement les perspectives et les impressions. Déjà lors de son édification quelques mariniers évoquèrent de ci de là, l'étrange construction qu'érigeait un énigmatique personnage dans une boucle de la rivière. L'envie de voir par eux-mêmes poussa bien des mariniers à pousser jusque-là, rien que par curiosité.
La curiosité bascula dans une autre dimension quand un gabarier qui avait par définition une vue plus précise sur la chose s'interrogea à haute-voix dans le port suivant à propos de ce qu'il avait vu du haut de son mât. Le matelot déclara à qui voulait bien lui offrir une chopine qu'il avait vu le bâtisseur effectuer de curieuses incantations, agenouillé sur le sol, le regard tourné vers le levant. Plus il échangeait avec des collègues, plus ses inquiétudes gonflaient en évoquant Satan et quelques diableries mystérieuses qui atteignirent leur paroxysme lorsqu'il paracheva sa version pour un toutier ébaubi.
À peu de temps de là, le toutier à son tour passa devant cette construction et ce personnage qui avait été si mystérieusement évoqué par un gabier manifestement plus en état de tenir conversation raisonnable. Cependant, notre bout avant avait les sens aussi aiguisés qu'alertés lors de ce passage, regardant pour une fois bien plus la rive que la rivière. Ce qu'il vit ne confirmait en rien les propos de son collègue quoiqu'il lui semblât bien percevoir d'étranges choses qui lui firent monter un tout autre scénario.
Le soir venu, alors que comme le veut cette belle profession, il s'établit pour la soirée dans une taverne, il narra par le menu sa propre hypothèse à qui voulait bien l'entendre et lui offrir de quoi hydrater son moulin à paroles. Selon notre toutier, il se passait de curieuses choses en cette demeure qui avait tout l'air d'être un refuge pour étrangers interlopes. Il fallait rester sur ses gardes vis à vis de ces gens qui venaient ici remplis de mauvaises intentions. Le propos intrigua tout particulièrement un voiturier qui devait passer dans le secteur les jours prochains.
Le voiturier, alarmé par le récit du toutier et informé au préalable de ce qu'avait narré le gabier, se garda bien d'étarquer les voiles devant ce lieu qui suscitait tant de commentaires. Il se munit même d'une longue vue pour en savoir d'avantage ce qui fit que l'affaire prit une toute autre dimension.
Percevant derrière les vitres, des formes vaporeuses enrubannées dissimulant ce qui avait tout lieu d'être des dames langoureuses, il ne tarda pas à échafauder une nouvelle théorie qui éclairait selon lui d'un nouveau jour, les deux versions précédentes. Il y avait de forte chance que se fut installé en cet endroit un lupanar oriental pour satisfaire aux caprices de quelques bourses bien remplies du secteur.
Lors de l'escale du soir, le voiturier ne se montra guère avare de détails pour évoquer sa découverte et s'indigner qu'un tel commerce exotique vint concurrencer le commerce des filles de nos provinces. Ses plaintes véhémentes touchèrent la sensibilité quelque peu avinée d'un charretier qui justement œuvrait dans le secteur.
Deux jours plus tard, le charretier passa dans le coin et fit halte non pas pour se rendre compte par lui-même de la véracité des propos de son informateur mais pour mettre un terme à ce scandale qu'il était hors de question de tolérer par chez nous. Il se trouve que l'homme était aussi chaud du bonnet qu'influençable et qu'il entendait montrer à ses intrus et intruses de quel bois il se chauffait.
Il attendit le crépuscule du soir, bien après chien et loup pour accomplir ce qui était pour lui un légitime acte de salubrité publique. Sans même se faire sa propre idée sur ce qui se tramait en cet endroit ni même interroger des voisins qui auraient démenti aisément toutes ses sornettes, il confectionna quelques fagots et mit le feu à la demeure avant que de disparaître discrètement.
La rumeur avait eu raison des efforts d'un brave homme qui était venu quérir la tranquillité après des années passées loin de son pays natal. Il avait certes ramené de curieuses manières de se vêtir et de décorer sa demeure mais rien qui puisse déclencher la foudre sur sa pauvre personne.
Il assista déconfit à la destruction de son rêve que de vilains racontars avaient travesti en des histoires absurdes. Ruiné, il n'eut plus jamais l'occasion de rebâtir sa demeure et dut se résoudre à reprendre du service pour assurer sa pitance. La destinée le conduit à trouver des embauches qui le menèrent à côtoyer les quatre malandrins qui avaient soufflé sur les braises. Par bonheur il n'en sut jamais rien, n'ajoutant pas le crime ou la vengeance à la stupidité de ces odieux personnages.
Qu'on l'appelle médisance, dénigrement, ragot, propos nocifs, diffamation ou bien encore rumeur, la parole chargée de fiel peut provoquer bien des nuisances et des dégâts. Que de nos jours, les réseaux sociaux se chargent de véhiculer ainsi, aisément et sans le moindre contrôle, les pires abjections ne changent en rien la nature particulièrement funeste de ces pratiques. Les langues de vipères ont désormais les doigts crochus et certaines même sévissent sur des plateaux télé d'une rare indignité.
Ne donnez donc jamais créance à de telles horreurs, c'est la plus sage décision que vous pouvez prendre et assurez-vous toujours de vérifier vos affirmations.
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