L’économie collaborative à l’ère de la société fluide
En ce temps de crise globale mais aussi ce moment de remise en question profonde de nos valeurs, des initiatives émergent pour faire face. À cette image, le mouvement de l’économie collaborative se met en place. C’est une nouvelle forme de gestion des ressources, des biens mais aussi des connaissances basée sur le partage et l’échange. Elle trouve ses valeurs et toute sa puissance à l’heure d’une « société fluide », selon l’expression empruntée à Joël de Rosnay. Qui sont les acteurs de ce mouvement ? Comment s’organisent-ils ? Quelques pistes de réflexion dans cet article en résonnance avec les propos du livre de Joël de Rosnay « Surfer la vie : survivre dans une société fluide ».
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À l’aube du XXIème siècle, le constat est flagrant. Nos sociétés traversent une période de crise. Cette crise est globale par son côté environnemental : notre planète se fatigue, les matières premières s’épuisent, le climat se modifie avec une intensité inégalée. Mais cela s’est doublé également ces dernières années de ce que « M. et Mme tout le monde » appellent « la crise ». Peu de personnes ont une idée claire de ce qu’est vraiment cette crise financière et économique, seuls les impacts sont visibles : baisse des salaires, baisse du pouvoir d’achat, situation de faillite à l’échelle des États…
Bref c’est la « crise » que la plupart des médias nous rappellent à longueur de temps, créant une ambiance générale de peur et de pessimisme, bien souvent amplifiée par la passivité ou l’incapacité des gouvernements à se mettre d’accord. Par les réactions diverses de la population, nous nous rendons compte que ce que nous vivons n’est pas seulement une crise financière, politique, environnementale, mais aussi une crise profonde des valeurs et une remise en question du futur de cette ère industrielle et de surconsommation que nous connaissons.
Or, face à cette situation, des initiatives émergent ; ces actions prennent souvent racine au-travers d’individus souhaitant réagir face à cette situation et trouver des solutions. Une nouvelle société se forge pour s’adapter à ces temps difficiles, une société qui prend le pari de surfer sur la vague plutôt que de se laisser noyer. Elle décide alors non pas de survivre mais de sur-vivre dans le monde actuel. Cette image empruntée à Joël de Rosnay dans son livre « Surfer la vie : comment sur-vivre dans la société fluide » illustre parfaitement, avec la métaphore de la vague, les initiatives actuelles de résistance ou plutôt d’accompagnement de notre monde en transition.
« Désormais une autre approche est nécessaire pour survivre à la complexité du monde moderne, à son accélération, et, plus encore, pour construire ensemble notre avenir. Il nous faut donc promouvoir ce que j’appelle la « société fluide ». Une société qui se base sur des rapports de flux et pas seulement sur des rapports de force. » Joël de Rosnay
Mais qui est cette communauté de surfeurs ? Ce sont des individus comme vous et moi qui ont commencé à s’indigner et à réagir, refusant cette situation noire que l’on leur dressait. Ce ne sont pas des utopistes, tout au plus des utopistes concrets. À l’image du festival des utopies concrètes qui s’est déroulé début septembre 2012 à Paris, ils sont convaincus de la grande efficacité d’une action menée directement à leur niveau, souvent sans attendre l’aide de l’État. Ces personnes s’organisent et agissent à leur échelle, localement, pour répondre à un désordre global comme l’annonçait déjà si bien en 2010 Coline Serreau dans son film « Solution locale pour un désordre global. » Ces communautés sont portées pour la plupart par des personnes jeunes (25-35 ans) dont le levier principal est cet écosystème des réseaux du Web 2.0 dans lequel ils ont grandi.
« Net Gen » : l’émergence de la société fluide
Ces jeunes générations dénommées « génération Y », « digital natives » ou « Net Gen » selon Joël de Rosnay ont grandi dans un environnement où le partage, l’échange, la collaboration sont les maîtres-mots. C’est dans cet écosystème virtuel du web 2.0 qu’ils ont évolué. En effet, le web 2.0 qui caractérise cette nouvelle ère de l’information ou de la technologie de la relation « remet en cause des pouvoirs établis, des métiers, des théories sociales et économiques, » selon Véronique Kleck. Cette période est aussi celle d’une explosion de la puissance de calcul toujours exponentielle s’accompagnant aussi de la genèse de milliards d’informations. Nous sommes bien à l’ère des « big data » créées par une population connectée partout et tout le temps notamment via l’internet mobile. Face à ces changements, cette société fluide doit apprendre à gérer cette complexité croissante. Elle invente « de nouvelles formes de pouvoir face à l’autorité, de nouvelles formes de création collective, de plaisir partagé, de démocratie participative et responsabilisante. »
À cette image, émerge depuis peu une nouvelle forme de gestion des ressources, des biens mais aussi des connaissances basée sur le partage et l’échange. Dénommée économie collaborative, elle embrasse tous les domaines de la société.
Réseau maillé : support de l'économie collaborative
L’économie collaborative met en place un ensemble d’initiatives venant se greffer en parallèle à d’autres actions, notamment celles de l’économie sociale et solidaire (ESS). Ces initiatives se basent sur une organisation que l’on peut définir de « bottom up » (pilotage participatif), c’est-à-dire qu’elles émergent de la société civile et non pas des institutions ou des gouvernements à l’instar de l’ESS. Selon Joël de Rosnay, nous pouvons comparer cette structure de gouvernance à un « mesh network » ou réseau maillé : système parallèle reposant sur quelques nœuds principaux mais sans aucune hiérarchie centrale.
Ce sont les caractéristiques de ce réseau maillé qui lui donnent sa force et définissent ses valeurs. Ce maillage de communautés permet une rapidité des actions sans créer de problème majeur dans le cas où l’un des nœuds viendrait à disparaître, contrairement à l’habituel système centralisé et hiérarchique. En effet, avec un modèle hiérarchique, lorsqu’un nœud vient à manquer, c’est l’ensemble de l’intégrité du système qui est mise en péril. C’est donc la capacité d’adaptation et la redondance de ce réseau maillé qui en fait sa force : « l’un des avantages des réseaux maillés est leur redondance qui les rends particulièrement fiables et solides. Le réseau a autant la capacité de s’auto-réparer que de s’auto-organiser ». La collaboration et le partage forment les clefs de voûte de ce réseau. La compétition n’est plus la valeur forte et c’est un pouvoir « doux » qui se met en place et « implique davantage un travail collaboratif entre des équipes étroitement associées ». Ces communautés s’appuient aussi sur une culture de « l’open » née sur internet via les premières initiatives de logiciels Open Source. Le partage, l’empathie, la fraternité, la transversalité des approches et la recherche de solutions, mis à l’honneur par Joël de Rosnay pour surfer la vie conviennent pour définir les valeurs clefs de ces nouveaux acteurs.
OuiShare : le collectif de l’économie collaborative
Les initiatives portées par ces acteurs sont nombreuses et se multiplient à une vitesse « grand V ». Elles ont aussi une capacité à s’exporter très rapidement notamment via le web 2.0. Ces projets en France sont portés par le collectif Ouishare œuvrant pour le développement de l’Economie Collaborative. En quelques mois, Ouishare a été propulsé d’un petit groupe de volontaires à un mouvement qui s’organise et prend de l’ampleur internationalement. Il représente aujourd’hui plus de 300 membres dans 15 pays d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Amérique Latine contribuant en anglais, en français et en espagnol à la dissémination des valeurs de l’économie collaborative.
C’est une vaste communauté diversifiée composée d’entrepreneurs sociaux, de journalistes, de chercheurs, de hackers, de bidouilleurs, de designers, d’activistes, etc., qui s’empare de l’ensemble des domaines socio-économiques pour les repenser en termes de relation basée sur le partage, l’échange et une culture de « l’open ».
Ces projets sont nombreux et basés sur une notion clef : le « Peer to Peer » ou pair à pair (P2P) ; c’est à dire l’échange direct entre deux personnes où chacun est à la fois consommateur et producteur. Ces rapports se sont développés au départ dans le domaine de la consommation de façon marchande ou non marchande. À titre d’exemple, on peut citer des plateformes de covoiturage pour la mobilité, Airbnb ou Couchsurfing pour le logement, la Ruche qui dit oui pour l’alimentation. Ce mouvement de « peer to peer » s’ancre de plus en plus dans tous les domaines. Du secteur de l’énergie, avec le développement des « smart-grids » comme le rappelle Joël de Rosnay dans son livre, au champ du financement (kisskissbankbank), de l’éducation (Unishared) et de la production de biens (wikispeed). C’est tous les secteurs de l’économie qui sont impactés. Comme le conclut d’ailleurs Joël de Rosnay : « Le pair à pair va atteindre des secteurs clés de l’économie et préparer le terrain de la société fluide et de son économie adaptée ».
Ainsi ces communautés savent surfer sur la vague en sachant s’adapter, contourner, « hacker » les problématiques actuelles ou faire appel à l’intelligence collective pour essayer de les résoudre. Ce réseau maillé s’enrichit de plus en plus élevant aussi le niveau de complexité des échanges et des relations.
L’économie collaborative : et demain ?
Cela amène à des questionnements théoriques sur le futur de ce mouvement : Comment va s’organiser cette coopération à long terme ? Peut-elle être applicable à très large échelle ? Les sciences de la complexité revendiquées par Edgar Morin apparaissent alors cruciales. Elles sont nécessaires pour pouvoir analyser les paramètres qui fondent ces communautés et proposer des solutions quant à leur gestion d’une échelle encore locale aujourd’hui à une échelle globale.
Peut-être entrons nous dans une ère de révolution collaborative similaire à la révolution industrielle comme le prévoit Rachel Botsman ou peut-être que ces transformations vont modeler la société en douceur ? Nous ne pouvons pas le savoir aujourd’hui mais il est important me semble-t-il d’être attentif à ces évolutions à l’ère de cette société fluide.
Car sur–vivre signifie tout d’abord croire aux savoirs et aux connaissances ouvertes à toutes et à tous où le partage (Oui Share) est le maître-mot.
Article publié précedemment sur le blog MyScienceWork
Références :
Article basé sur le mémoire « l’économie collaborative à l’ère de la société fluide » validation du cours de sociologie économique au CNAM http://fr.slideshare.net/cgrusondaniel/rsv202-lconomie-collaborative-lre-de-la-socit-fluideclya-grusondaniel-14618231
Surfer la vie-Comment sur-vivre dans la société fluide - Joël de Rosnay-Edition : LLL Les liens qui libèrent http://www.surferlavie.com/
Numérique & cie société en réseaux en gouvernance - Véronique Kleck- édition Charles Léopold Mayer
OuiShare : la communauté de l’économie collaborative - http://ouishare.net/
Scoopit : Vivre dans une société fluide - http://www.scoop.it/t/vivre-dans-une-societe-fluide
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