L’image : miraculeuse ou tyrannique ?
Dès la naissance, le regard s’éveille, avant la parole et le langage. Sans doute ceci explique-t-il en partie la force de l’image. Carte d’identité, billets de banque, dessins satyriques... trois exemples parmi tant d’autres du formidable pouvoir de l’image. Mais nos sociétés ne sont-elles pas littéralement en train d’étouffer sous le poids des images, sous toutes leurs formes possibles... et imaginables ?

Un flot qui devient torrent
Multiplication des agressions filmées ; adolescents qui se filment en train de se battre ,voire de rosser leur prof ; milliards de dollars envolés pour effacer... les rides de la peau ; centaines d’hectares de forêts nécessaires chaque jour pour l’impression de tabloïds sur papier glacé ; formation de gouvernements de plus en plus calculée comme un plateau de télévision ; dessins humoristiques générateurs de menaces de mort et de graves tensions internationales...
Cette liste est évidemment impossible à clore. Tout le monde s’accorde à dire que « la puissance de l’image est indéniable » et donc qu’il faut « faire avec » (comme la monnaie ; cf. article quand le fric monte à la tête) en essayant de conserver seulement les « bons côtés » de cette invasion. Mais au XVIe siècle, un gros commerçant, Sir Thomas Gresham formalisait une « loi » devenue célèbre, au terme de laquelle la circulation de la « mauvaise » monnaie chasse la « bonne » monnaie...
Outre le fait que la valeur des instruments monétaires est toujours fondée en partie sur des signes très visibles (fait du prince), le parallèle monnaie / image est tentant.
Mais qu’est-ce qu’une mauvaise monnaie ou une image pernicieuse ? Quels sont les « bons côtés » de cette forme de communication ? Qui, sous quelles conditions avec quels moyens - matériels et culturels - peut-il faire face à cette déferlante d’images et d’institutions tournées vers la production d’images ?
L’Image, produit divin ou satanique ?
Si les ombres et les reflets sont des images « naturelles » (ce qui peut être difficile à établir entièrement) Platon (allégorie de la caverne) et d’autres ne trouvaient d’intérêt que dans ces images « naturelles ». Dans ces sociétés, le pouvoir de l’image « naturelle » est donc - comme celui du soleil qui crée l’ombre - divin ; ainsi pendant longtemps nombre de religions ont repoussé ou interdit toute production artificielle d’images.
Dans un tel contexte, les mécanismes de transmission culturelle (nécessaires à toute culture au sens ethnologique) reposaient sur la mémoire et des méthodes orales et (textes appris par cœur). Ces formes de transmission ont des inconvénients (oublis liés à l’âge, déformation...) mais aussi des avantages indéniables (possibilité de s’intégrer dans la chaîne du savoir, développement de l’imaginaire (!)... en somme les qualités de leurs défauts !
Si dans les sociétés « développées » le recours à l’écriture est peut-être en partie une forme de chaînes d’images (cf. les caractères chinois notamment), en devenant peu a peu fortement codifiée cette écriture a permis de multiplier à l’infini les signes (sèmes) utilisés au cours du développement des sociétés, face à la complexité croissante des productions notamment.
Il y a alors foisonnement culturel, condition de la démocratie.
L’image en boucle
Au contraire, la formidable multiplication des sources techniques d’images (téléphones, caméscopes...), le développement de sites de partage de vidéos et les « réponses » des chaines de TV à ces pratiques aboutissent souvent au narcissisme le plus lamentable, sinon au pire voyeurisme. La vidéo de Nicolas Sarkozy éméché (ou essoufflé selon lui) au sommet du G8 a été vue plus de 100 000 fois par heure.
Ainsi, en reprenant le parallèle avec la monnaie, cette fois il s’agit d’hyperinflation créatrice de vidéos, qui peu à peu sapent - même si elles sont véridiques - toute attention véritable du spectateur et donc toute capacité d’analyse critique, de création, d’engagement citoyen fort ultérieur. Peut être cette situation se rapproche-t-elle de l’anomie.
L’image produit d’une hiérarchie
Face au formidable système producteur « officiel » d’images qu’était la télévision jusqu’en 2000, avec ses lourdeurs fantastiques, sa gabegie de moyens, ses compromissions, l’essor d’internet en matière de photos et de vidéos - s’il n’est pas contrôlé (il faut espérer) - représente donc bel et bien une chance et un risque énorme. Chance de contrepoids multiples, d’ouverture aux pluralismes culturels. Mais l’inflation de sèmes ou de « preuves » risque aussi de ruiner toute crédibilité.
Pour autant, peut-on et faut-il demander encore aux seuls professionnels de l’image d’occuper le terrain médiatique ? Impossible ; mais on ne s’improvise pas journaliste-citoyen du jour au lendemain ; le narcissisme ou le voyeurisme guettent.
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