L’inquiétant passé du futur

La vie devant soi
« Ce n'est pas un signe de bonne santé que d'être bien intégré dans une société profondément malade. » Jiddu Krishnamurti
Je précise à l’intention de ceux qui vivent au jour le jour que, dans la ligne du temps, le futur intervient après un passé infini, succédant à un présent instantané et plutôt soluble…
Normalement doués et constitués, les membres de la communauté humaine se distinguent par un coefficient élevé de capacités cognitives et imaginatives qui permettent d’envisager un futur plus ou moins proche, de s’y projeter, d’investir intellectuellement et financièrement. Au-delà, préoccupé par le souci de pérenniser la vie sur Terre dont sera tributaire le destin des générations futures, l’homme se dit apte à développer des stratégies futuribles plus éloignées. Cette prétendue clairvoyance est un trait qui nous est propre mais dont le recours semble en panne ou à l’abandon, on verra plus loin et pourquoi dans le texte. Cette prérogative de gouvernance collective est notamment celle dont les élus politiques doivent se soucier in primis, si tant est que le futur immédiat, nommé présent, leur en laisse le loisir. On sait que la hotte électorale est surchargée d’urgences économiques et de problèmes quotidiens, que la démocratie répond à des lois démocratiques qui incitent au charlatanisme et que les enjeux du jour, alliés à une communication médiatique chaque fois plus diarrhéique , font que les préoccupations d’avenir se trouvent repoussées aux calendes grecques. La devise énoncée par Emile de Girardin : « Gouverner c’est prévoir » est donc vaine par obsolescence. Seul un bon roi-père de famille, sans échéancier ni concurrents, pourrait relever ce défi. A-t-il jamais existé ?
Démagogie triomphante, il faut bien reconnaître que le devenir planétaire et la conservation écosystémique n’intéresse que les rares électeurs ayant le privilège de travailler du chapeau parce qu’ils ne vivent pas dans l’urgence du quotidien. L’ « après moi le déluge » est la figure imposée par le « métro-boulot-dodo ». D’où l’inconscience de générer des progénitures dont on ne peut qu’assurer le bref parcours qui va de la crèche à l’université et au chômage. Même en courant, je n’aurai pas le temps… Pour le commun des mortels, demain est un roman d’anticipation qui se rapporte à la futurologie, voire à la science fiction ! Bien que nous ayons une claire conscience du temps qui passe, la notion physique du temps reste difficile à appréhender par l'esprit et ne semble relever que de la science et de la philosophie.
Avenir et réalités
Si, contre toute insouciance, il est admis qu’un enfant doit préparer son avenir personnel et qu’il soit dirigé en ce sens, (éducation, scolarité, diplômes…), c’est un paradoxe ordinaire de constater que nos sociétés ne se soucient que trop peu de l’avenir commun. Nos enfants préparent donc un avenir… qui manque de futur.
À l’heure d’un bilan, d’un état des lieux, on pourrait vraiment se demander comment les Terriens ont-ils préparés leur avenir ? Comment va cette Terre nourricière qui constitue notre maison du Quaternaire, que nous habitons en colocation au fil des générations ? Quel est l’état de la biosphère, des écosystèmes terrestres et maritimes ? On connaît hélas la réponse et point n’est besoin d’un écologue légiste pour prendre le pouls au chevet de Gaïa. Notre vielle Terre est fatiguée, usée jusqu’à la corde, quasiment exsangue de ses ressources, scalpée de son manteau forestier et de sa strate végétale, de plus en plus dénudée de ses sols fertiles et galvanisée, asséchée, désertifiée. Si une partie des 7 milliards d’humains parvient encore à y vivre, à en vivre, c’est au nom d’un avenir chaque fois davantage hypothéqué et grâce à des techniques de plus en plus performantes mais destructives. Nous avons le génie de la destruction. Il n’est que de voir les engins de plus en plus monstrueux qui fouillent les entrailles de Gaïa, qui labourent en profondeur, qui forent tout et partout à la recherche forcenée de ce qu’on peut extraire, qui décapitent des forêts primaires en un temps record, qui ravagent en deux temps trois mouvements ce que la genèse avait mis des millions d’années à concocter. Nous ne savons pas utiliser parcimonieusement, nous nous acharnons à miner. Parce que l’envie de lucre nous rend impatients, parce que nous sommes capricieux, parce que nous sommes trop nombreux à vivre trop longtemps. Notre vie est la seule vie qui n’ait biologiquement plus aucune raison d’être. Nous ne nous inscrivons dans une chaîne alimentaire, nous nous sommes exclus des interdépendances, nous ne faisons que nous imposer irrespectueusement, comme des hussards, selon une morale dénaturée, nous ne savons qu’extraire et nous approprier sans rendre la monnaie. Tout cela est évidemment contreproductif. Dans un semblant de bonne conscience, nous croyons parfois régénérer, reboiser, recharger, mais c’est pure illusion, nous ne réparons rien. Ce qui est pris ou saccagé est définitivement pris ou saccagé. Le comble, c’est que nous en soyons impérieusement fiers !
Revisiter l’histoire de nos civilisations, et tout spécialement d’époque récente avec sa soi-disant nouvelle conscience écologique et la panoplie de mesures qui vont avec, ne permet nullement d’être rassuré quant à une gouvernance qui tiendrait compte des limites de la Terre-patrie. Existe-t-il d’ailleurs et dans une quelconque nation un seul gouvernement comportant un ministère du Futur ? Les ministères qui, depuis assez récemment, se dédient à l’écologie sont tous des entités utilitaires chargées de l’environnement humain (notre décorum…), de l’énergie, des transports, mais nullement des droits de la planète. Et si un avenir à court terme peut être évidemment garanti par tout l’arsenal ministériel habituel (finances, économie, agriculture, pêche, commerce, armée, affaires étrangères…), ces disciplines d’ordres anthropocentriste et nationaliste, ne visent en rien à sauvegarder le patrimoine terrien d’après-demain. Aucun gouvernement ne prétend se soucier de savoir si Homo sapiens a, ou non, un avenir sur cette planète Terre. Cette question aurait pu paraître saugrenue jusqu’au XIXe siècle où tout nous semblait prolixe et providentiel, où nous n’étions qu’un modeste milliard dans un monde encore vaste et aux horizons infinis, où nous avions une vision inépuisable des ressources naturelles des mers, du sol et du sous-sol, où nous n’avions pas touché au pétrole, où l’agriculture se faisait sur un mode séculaire, où la pollution industrielle n’annonçait qu’à peine sa couleur noire de suie, où le changement climatique relevait de la fiction. Nous n’étions pas encore équipés pour détruire efficacement et faire table rase. Aujourd’hui que les filets de pêche sont de plus en plus performants et de moins en moins garnis, que des centaines de millions de réfugiés climatiques prennent le chemin d’un impossible exil, comment peut-on attendre d’un pays aussi lourdement concerné que le nôtre, une réponse de ministres improvisés dans la ligne de figurants aussi frivoles que ceux mis en place ? Face à des problématiques d’envergure, ça fait plutôt potiche. En agitant aussi honteusement et naïvement le hochet écologique, les responsables affichent un cynisme qui masque mal leur incompétence, leur inconscience et leur malhonnêteté.
Avez-vous vu quelque chose de nouveau poindre à l’horizon, avez-vous constaté un changement dans votre vie quotidienne, une moindre contrainte imposée à la société suite aux avènements des grands-messes mondiales orchestrées par un battage médiatique à nulle autre pareille que furent les Sommets de la Terre (Stockholm, Nairobi, Rio, Johannesburg) ou les Conférences climatiques autour du GIEC (Kyoto, Poznan, Copenhague, Mexico) ? Que des ultimatums annoncés et dont la conclusion fut chaque fois qu’il est urgent d’attendre ! À part un crédit fiscal sur une isolation et une chaudière à condensation, votre vie a-t-elle changée suite aux bricolages de la série des pathétiques Grenelle élyséens de l’environnement ? Les figures locales, nationales ou mondiales de protection que sont les parcs et les réserves, y compris celles très aléatoires de la biosphère, ont-elles ralenti le processus de déclin de la biodiversité végétale et animale, ont-elles enrayé la sixième phase d’extinction massive des espèces dont nous sommes les contributeurs insolents ? Où sont les paysages d’autrefois, et même les neiges d’antan ? Les grands lacs s’évaporent, les grands glaciers fondent.
Même les partis politiques écologistes doivent renoncer à trop d’écologie pour tenter de se faire élire, ce qui est un comble et la preuve formelle d’un désintéressement majoritaire pour la seule et unique cause cardinale qui soit !
C’est quoi un héritage sans avenir ?
Bien que notre divorce avec la Nature soit irrévocablement consommé, que notre mentalité mutante soit à jamais déconnectée de celle symbiotique avec les fondamentaux, que nous n’ayons plus le moindre neurone en phase avec les paysages et les autres espèces, c’est ici que tombe bien à propos la belle déclaration du chef Apache Geronimo (1829-1909), citée pour la énième fois « Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été péché... alors on saura que l’argent ne se mange pas ».
Nous aurons beau laisser à nos enfants tout l’argent et les biens fonciers pouvant résulter d’une vie stupide parce que perdue à la gagner, cela ne correspond qu’à un déshéritement si la Terre est nue, si les ressources non renouvelables sont taries. Quel serait le futur viable du premier trader ou banquier venu sans la santé des sols et des mers, sans la qualité de l’air et des eaux ? La vie synthétique n’existe pas, même si l’existence métropolitaine, bétonnée et climatisée, présente déjà tous les aspects d’un caisson étanche.
Comment la classe sociale dominante, celle de l’oligarchie ploutocrate qui a miné les bonnes conditions d’avenir planétaire, peut-elle réellement demander à la jeunesse de préparer studieusement son avenir ? Comment instituteurs et professeurs voient-ils leur mission ? En faisant apprendre par cœur l’histoire de France ?
Le panel des vrais enjeux du futur comprend l’avenir démographique (nous devons nous réduire), l’avenir écosystémique (à pérenniser), l’avenir énergétique (à ne pas dilapider), ceux agricole et alimentaire (à gérer puisqu’ils sont tributaires des précédents cités), celui sanitaire (pour le bien-être d’une vie vivable). Nous savons bien qu’à l’échelle mondiale l’état des lieux basé sur ces valeurs objectives n’est guère reluisant.
Pire. Lorsque l’enfant doit paraître et puisque le droit de ne pas naître est surréaliste, toutes les nations ne se préoccupent pas encore des conditions souvent déplorables de la grossesse, de celles d’un accouchement peut-être sans douleur pour la mère mais surtout sans violence pour le nouveau-né afin qu’il naisse dix sur dix, voire de la santé des parents et des risques d’engendrer lorsque le patrimoine parental est déficient.
Le malaise écologique
Une crise écologique se manifeste lorsque le milieu de vie d’une espèce ou d’une population évolue sur un mode défavorable à sa survie…
À la suite de modifications de facteurs abiotiques, par exemple d’ordre atmosphérique, l’environnement se dégrade, certaines ressources se tarissent. Ou bien ce sont les prédateurs dont la pression est trop marquée, ou bien encore la qualité de vie est hypothéquée par une acmé démographique (surpopulation). Spatialement, l’événement peut être local (marée noire, pollution d’un fleuve) ou global (réchauffement climatique). Son impact peut être parcellaire et restreint à un nombre de sujets, ou entraîner la disparition d’une espèce ou d’un groupe d’espèces (par exemple par anéantissement de l’habitat, comme c’est le cas pour les grands singes ou l’ours polaire ; ou encore par rupture de la chaîne alimentaire). Certaines grandes phases d’extinction ont vu l’éradication de la majorité des espèces vivant sur le globe. La biodiversité peut paradoxalement en sortir gagnante, lorsqu’une espèce territorialement exclusive libère sa niche écologique au profit d’une diversification. La durée d’une crise écologique est variable, d’un court laps de temps à des millions d’années. Sans produire une extinction finale, une crise écologique peut engendrer une vie difficile pour les survivants. Les affres que notre modernité impose aux peuples indigènes sont de cette catégorie. Un autre exemple est l’exode de populations ne jouissant plus des conditions adéquates de vie sédentaire ou souffrant de crises alimentaires (le cas d’école est le « suicide » collectif des lemmings). Ce sont les réfugiés de l’environnement, ou écoréfugiés, tels les Africains qui cherchent à accoster sur la rive européenne de la Méditerranée occidentale ou les Latino-américains que la pauvreté pousse, par le Mexique, à s’introduire aux États-Unis.
Notre crise est une combinaison perdante de toutes les menaces d’ordres biotiques et abiotiques. Elle résulte d’une surpopulation, dominée par un système de castes et de caprices, d’une mainmise de technologies agressives et contraires aux moindres règles environnementales, d’un abus systématique d’usages illustré par une agriculture chimique et intensive qui décime les interdépendances qui nous régissent, le tout induisant une pollution à nulle autre pareille, un épuisement des ressources, une érosion galopante dont le corollaire est la désertification fatale. Il ne faut pas être très futé pour comprendre qu’un tel programme risque de faire la vie invivable à tous les Terriens, et participera à l’élimination progressive et sélective de l’immature espèce Homo sapiens. Comble de l’injustice pour les croyants de « bonne foi », ce seront les innocents qui se retrouveront les premiers dans la fournaise.
La date inaugurale de ce point de non-retour pour la planète Terre serait 2050. Toutes les expertises aboutissent à cette période de milieu de notre siècle, prenant aussi en compte un événement aussi contraignant que celui de la fin de l’ère des énergies fossiles et de l’impossibilité de les remplacer à pareille échelle par des technologies alternatives. L’incontournable fascination de la croissance et du développement à tous crins, tout comme un mercantilisme porté aux nues, ont pavé le chemin qui mène au délitement planétaire. La locomotive économique sans rails écologiques n’ira pas beaucoup plus loin. Notre méconnaissance des équilibres de la Terre, nos désirs de conquêtes et d’expansion pour amasser, entasser, engranger avec cynisme et satisfaction, se retournent contre nous. Qu’avait-on appris à l’école, à l’université, au bordel, à la messe et devant le tube cathodique ? « L’homme a détruit un à un les systèmes de défense de l’organisme planétaire » constate Jean-Marie Pelt. Un tel constat n’empêche pas certains de continuer, en rayant ces arguments qui ne sont que des faits avérés et dont une partie de l’humanité souffre déjà cruellement. L’économie traditionnelle s’est construite sur une modélisation uniquement sociale, faisant fi du milieu écologique de notre espèce. La Terre n’était pas un grenier inépuisable, nos gestions minières des écosystèmes et des ressources étaient pour le moins erronées. Avec notre logique inversée, nos prétentions dérisoires, nous sortons perdants, les bras ballants, les yeux hagards, d’un face à face constant avec la Nature. La Terre était une île vivante, la théorie Gaïa et la marche homéostatique de la planète bleue, foyer tellurique de l’humanité, n’était pas un conte pour endormir les enfants prodiges mais pour réveiller les adultes attardés. Tout était dans tout et nous avons procédé en tranches, comme le charcutier du coin. Et des milliards de charcutiers, ça peut faire du mal à la planète ! Aujourd’hui, nous avons fait sauter la plupart des thermostats et nous sommes perdus. Il y a, entre la Terre-mère et chacun de nous, comme un cordon ombilical sacré. Et les Terriens qui l’ont coupé sont des mutants. Mais : « L’homme a en lui le goût de détruire. Et ce n’est pas le prêchi-prêcha des bien-pensants qui mettra fin à cette malédiction que nous portons dans nos gènes... La saloperie humaine est la même partout. Fort de ce constat, je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que d’injurier l’humanité, de dénoncer son absurdité et sa cruauté... », écrit Patrick Declerck.
Ils vont voter, et puis après…
Alors quand on en juge par les questions sur lesquelles s’appesantissent les candidats aux présidentielles du Pays France (543 965 km2 métropolitains des 510 067 420 km2 de la planète Terre), questions qui ne sont que les miroirs des viles préoccupations citoyennes, on se dit qu’on pourra toujours voter Hollande, Joly, Bayrou, Le Pen, Mélenchon, Chasse-Pêche-Nature ou garder Sarko, nos enfants ne risquent pas d’hériter de grand-chose, à part peut-être d’un cancer environnemental.
Va-t-on nous arracher des bras de notre Terre-Mère ?
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