L’Ubérisation, ou comment la société civile est devenue une mafia

Depuis les années 2010, avec la généralisation de la consommation en ligne et l’utilisation des Smartphones, non plus pour son utilisation première (appeler et être appelé), des milliers d’applications ont été développées et téléchargées des millions de fois. Applications utiles ou futiles, la question ne sera pas portée à ce débat : nous ne pouvons pas échapper à ce progrès ou à cette évolution technologique qui pousse à consommer le ‘big data’ à outrance.
Bienvenue donc au XXIe siècle, dans une société consumériste sans frontières !
Si notre sujet ne porte pas sur la question des Smartphones et leurs applications futiles, la question se portera sur les applications utiles. Utiles d’abord pour les start-up qui génèrent du profit et dont l’offre est présentée comme pratique, géniale et moderne.
En fait, il s’agit d’applications copiées sur le modèle Uber, anciennement UberCab, une entreprise technologique américaine qui développe et exploite des applications mobiles de mise en contact entre des conducteurs et des voyageurs intéressés par des services de transport.
Uber France SAS, implantée à Paris en 2012, compte aujourd’hui entre 10 et 19 employés et un parc de 19 000 chauffeurs. Elle génère un chiffre d’affaires de 20 470 100 euros et son résultat net est de 1 641 600 euros en 2015.
On peut, à juste titre, juger que cette affaire tourne bien et que le concepteur de l’application peut se féliciter de son succès et proclamer son application comme novatrice.
Mais quel service apporte-t-elle et pour quelles raisons a-t-elle autant de succès ?
J’ai enquêté en allant sur le site internet d’Uber.
J’ai fait une estimation du prix d’un trajet en inscrivant comme adresse de départ l’Hôtel de ville de Clermont-Ferrand et celle d’arrivée l’Hôtel de ville de Lyon, soit un trajet de 167,6 km. Je suis allé ensuite sur un site indiquant le prix moyen du kilomètre en taxi traditionnel, en supposant qu’il s’agit d’un taxi du Puy-De-Dôme, et que le trajet se fera entre le lundi et le samedi dans la journée. Le tarif affiché est de 1, 84 euro par kilomètre. Mais cela se corse quand Uber m’estime un prix entre 218 et 292 euros ! Je prends ma calculatrice pour estimer le coût de mon trajet en taxi, qui est de 308, 20 euros. Uber concurrence largement le taxi et peut me faire économiser jusqu’à 90 euros.
Mais que cache donc ce prix ?
Pour comprendre la différence entre les tarifs appliqués, j’ai comparé le statut d’un chauffeur Uber à celui d’un taxi sous licence. Suivant un article du Figaro, 97% des taxis en France sont des artisans contre 3% seulement de salariés d’une compagnie, il m’est apparu évident de prendre pour exemple les artisans-taxi.
Toujours selon ce même article, l’artisan-taxi bénéficie d’une autorisation de stationnement, communément appelée licence de taxi, reçue gratuitement de la mairie (délai d’attente de 9 à 10 ans) ou achetée à un autre chauffeur de taxi. Sur ce marché, le prix de la licence, ou encore plaque, est variable, entre 40 000 et 300 000 euros, selon le lieu d’achat.
Uber ne propose pas à ses conducteurs, sur son site internet, de se procurer une licence. Uber se charge de fournir la carte professionnelle de chauffeur VTC, celui-ci n’ayant d’autre obligation que d’acheter ou de louer une berline de moins de 6 ans.
Côté administratif, qui s’occupe de la gestion de l’entreprise ?
Tous les artisans-taxi s’en occupent eux-mêmes ou paient un prestataire de services : calcul des recettes et des cotisations notamment. Ils ne bénéficient pas des garanties appliquées au régime du salariat comme le revenu minimum, les congés payés, les allocations chômage ou maladie. C’est aussi le cas pour les chauffeurs Uber, sauf qu’ils n’ont à accomplir aucune tâche administrative ou de gestion.
Côté salaire, un taxi indépendant gagnait officiellement, en 2010 et selon L’INSEE, en moyenne 17 130 euros nets par an, soit 1 430 euros mensuels. La médiane se situerait à 13 620 euros (1 135 euros nets par mois). Cela signifie que la moitié des chauffeurs de taxis gagnent, selon les chiffres officiels, moins de 1 135 euros nets, tandis que l’autre moitié gagne plus. C’est bien moins que les chiffres globaux, salariés du privé et du public confondus : la médiane des salaires serait de 1 772 euros nets mensuels (2 202 euros nets pour la moyenne).
Ces moyennes et ces médianes cachent de fortes disparités selon le statut, l’ancienneté, et l’activité exercée par le chauffeur, selon l’INSEE.
Pour un artisan, le salaire de départ est porté à son minimum, car il faut rembourser les crédits pour l’acquisition de la licence et du véhicule. Au bout d’une dizaine d’années, temps moyen pour amortir ces frais, le salaire devient plus élevé et peut grimper jusqu’à 3 000 à 3 500 euros nets par mois.
Un chauffeur Uber indépendant travaillant pour une plateforme 60 heures par semaine dégage, en moyenne, un revenu net mensuel d’environ 1 700 euros, à condition de maîtriser ‘correctement ses charges’, selon le médiateur Jacques Rapport, désigné par le gouvernement dans le conflit opposant associations et plateformes. En imaginant qu’un artisan taxi ait un employé, ne doit-il pas payer ses heures supplémentaires ?
Sur la base de 40 heures d’activité hebdomadaire, le médiateur conclut que ‘l’activité ne permet pas de dégager un revenu décent’. Dans ce cas, le revenu net serait ‘entre zéro et 1 100 euros, desquels il faut déduire le coût de la protection sociale évaluée, pour un indépendant au RSI, autour de 30% du revenu’.
Côté moyens de contact avec les chauffeurs. Pour les artisans-taxi : pages jaunes, téléphone, et internet ; Uber : applications mobiles, SMS.
Côté formation. Artisan-taxi : 4 mois de cours ; VTC : pas de formation obligatoire.
Le PDG d’Uber, Travis Kalanick, se dit guérillero de la nouvelle économie dressée contre le vieux monde, celui des taxis, des états, de la régulation. Il est soutenu par un fonds souverain de l’Arabie Saoudite, Google, Jeff Bezos et Goldman-Sachs.
Par qui est financée une société de taxi ? Je n’ai pas trouvé d’information fiable me permettant de savoir combien gagne la société Uber par course, peut-être qu’elle voudrait le cacher.
Uber ne prend à ses frais que l’administration que tout société lambda prend en France, soit la rémunération de sa dizaine d’employés, la tenue informatique de l’application et c’est tout !
Quels sont les cocus de cette histoire ?
Les artisans-taxi, les chauffeurs VTC d’Uber ou les deux ? Libre à chacun de donner sa propre réponse. Et c’est là que vous ferez le rapprochement entre un citoyen « ubérisé » et la mafia qui est payé pour faire le sale travail des multinationales de manière dissimulée et survolant toutes lois et morales de notre époque !
Une application qui a en inspiré bien d’autres ! Eh oui, nous n’avons pas fini d’entendre parler de ces phénomènes puisque le même modèle est en train d’être développé dans le secteur de la gastronomie. Vous entendrez bientôt parler de l’application ‘Viz’Eat’ qui permet de s’offrir un repas gastronomique à la carte chez un particulier, improvisé chef cuisinier le temps d’un dîner, elle nous vend du rêve ! Une application permettant de manger gastronomique, chez l’habitant pour 3 Francs, 6 sous, vous vous rendez compte de cette opportunité ? Vous allez faire des rencontres, partager un moment convivial et être servi comme au restaurant ! Mais si c’était l’inverse si vous ne possédez pas cette application, si vous lâchez un peu votre smartphone vous n’aurez pas cette chance d’avoir cette vie sociale finalement à porter de main ; ou peut-être devriez-vous lever la tête et vous rendre compte du temps que vous avez perdu avec vos proches en consultant ces applications « utiles »…
Vous entendrez parler aussi de l’application Word Craze, qui permet de connecter des voyageurs avec des amateurs de ‘produits du monde’, le concept étant de se faire livrer par un voyageur des produits étrangers non commercialisés en France, en quelque sorte un trafic assumé et tendance. La toute dernière à la mode est Airb’n’b, qui propose des services hôteliers chez l’habitant.
Ce sont les coursiers et les restaurateurs qui en seront ravis !
Enfin n’avez-vous pas l’impression que l’ubérisation procède d’une société parallèle sur le modèle de la mafia napolitaine : un service payé rubis sur ongle par des particuliers non professionnels au profit d’entreprises quelque peu douteuses.
Enfin et pour conclure, je pose une question que je laisserai ouverte : Uber est-il un aveu caché de nos politiques tout en nous offrant à bas coût des services que l’on pouvait s’offrir plus facilement lorsque nous étions encore au Franc ?
‘On ne peut pas avoir Uber et l’argent d’Uber’ !
Sources :
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