La Cafet et la rue, mes deux chez moi
660 personnes pourraient dormir dehors à Strasbourg cet hiver. En ce moment, il fait 0° la nuit.
D'après les informations du Collectif des SDF de Strasbourg, il y aurait dans cette ville 800 à 1000 personnes privées de leur droit au logement.
Il y aurait 340 place d'hébergement d'urgence ouvertes exclusivement à l'intention des familles et quelques rares places pour des femmes seules. Les jeunes femmes qui se sont à la rue à la suite de ruptures familiales qui les ont profondément meurtries, sont confrontées à l'obligation de se faire admettre et "protéger" par un ou plusieurs hommes. On se doute que cette protection a un prix.
660 personnes risquent de dormir à la rue, cet hiver à Strasbourg.
Si la température descendait en dessous de - 10°, la préfecture financerait des nuitées en hôtels (sordides). Dès la remontée des températures, le financement cessera.
La France va-t-elle battre son record des personnes mortes de froid dans la rue depuis la guerre ?
18h.
La Cafet sert ses premiers repas du soir.
Elle ouvre ses portes toute la journées aux jeunes de moins de 30 ans qui n'ont pas un hébergement stable. Ceux qui sont à la rue ou qui ont trouvé refuge chez des connaissances.
L'ambiance y est chaude, paisible.
Soad apporte les échafaudages d'assiettes fumantes du dîner. Un bon arôme d'épices du soleil chatouille les narines. Lucien et Eric, les cuisiniers se relaient midi et soir pour préparer d'ingénieux repas variés et goûteux, à l'aide des mets mis à disposition par la banque alimentaire et des denrées achetées en complément. Ces deux-là aiment leur métier et les papilles leur en sont reconnaissantes.
Arrive Majid, un peu énervé. Je le regarde s'agiter avant de comprendre qu'il souhaite qu'un éducateur téléphone depuis le poste de la Cafet pendant qu'il appelle lui-même d'un portable. Les coups de téléphone ont l'air urgents et importants.
L'éducateur, rassurant et prévenant, essaie inlassablement de joindre un interlocuteur qui ne décroche pas. Majid chiffre lui-même sans fin un numéro sur son portable.
Un couple dîne avec ses chiens calmement couchés par terre. Une autre table est occupée par trois hommes et une jeune femme qui vient d'accéder à un logement. Une maman prend son dîner, son bébé couché dans un landau à côté d'elle. On est loin, ici, de la brutalité que ces personnes vivent au quotidien dans leur lutte pour la survie jusqu'au sein d'institutions sociales.
Majid s'adresse à moi. L'éducateur a dû s'absenter. Il me demande d'appeler le 115 avec le téléphone de la Cafet tandis qu'il essaie inlassablement sur son portable. Il est 18h30. Il n'a pas d'hébergement pour la nuit. Il prend appui sur mon regard. Je perçois une grande détresse chez lui. Un enfant grandi trop vite, sans filet de sécurité.
"Deux téléphones en même temps, pour avoir plus de chance." dit-il. Son angoisse est palpable.
" Au 115, ils donnent une heure où tu dois appeler. Tu essaies, tu recommences pendant une demi-heure. Quand t'as enfin quelqu'un, il te dit de rappeler une heure et demi plus tard. Comme ça plusieurs fois par jour. Ca sonne tout le temps occupé.
Là, à cette heure, si j'ai rien, je dors dehors.
Tu sais la température cette nuit ? ... 0°
La nuit quand il fait froid comme aujourd'hui, impossible de dormir. Je marche dans un sens, dans un autre, puis je recommence. Toute la nuit. Et le matin, y'a les démarches, les rendez-vous avec l'assistante sociale. On est complétement nase."
Et s'il n'avait pas de réponse ?
Je prends le téléphone et commence à chiffrer le 115 qui sonne occupé, occupé, occupé.
Son éducateur revient. Prend le relais. Majid souhaite aller fumer une cigarette dehors. Le propriétaire du portable est venu récupérer son téléphone. Il s'en va. Majid s'est fait voler le sien. L'éducateur continue à appeler.
Le téléphone répond ! L'éducateur fait patienter son interlocuteur. On se dépêche d'aller prévenir Majid qui entre en courant. Il obtient une place dans un dortoir de 20 personnes. Il sera au chaud cette nuit, mais n'est pas sûr de dormir. Cela dépendra des voisins. Et demain, il recommencera à appeler le 115.
Il vient de terminer une peine de 3 ans de prison. Personne ne l'attendait à sa sortie. Il a pour tout bagage un jeans, une tee-shirt et un blouson d'été. Une banane contenant ses papiers à sa ceinture.
Cet article raconte une scène réelle. Les noms des personnes ont été changés.
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