La comparaison au pire : une bonne conscience bon marché ?
Il est courant dans un débat de comparer à une situation pire déjà vécue, ici, ailleurs ou avant. Cette ligne de défense n'est pas anodine : elle banalise le pire en ignorant le meilleur.
On entend souvent, face à un délit, crime, problème social ou autre, une sorte de ligne de défense affirmer que « il y a eu pire ailleurs ou à une autre époque ». Affirmations fondées, aisément vérifiables, troublantes car indéniables. Exemples.
Un argument récurrent des climato-sceptiques : j'entends encore l'ex-ministre de l'éducation nationale Claude Allègre affirmer qu'il faisait plus chaud à telle période du moyen-âge qu'aujourd'hui, sous-entendant que l'ère industrielle n'avait pas d'impact décisif sur la température mondiale.
Sur l'avancée salafiste en Europe et particulièrement en France, il n'est pas rare d'entendre ou lire que les guerres de religion ont été bien plus meurtrières et barbares, à l'instar des croisades, comme si finalement ce nouveau terrorisme était banal et acceptable.
Lors du procès de Klaus Barbie, son défenseur Jacques Vergès n'a pas hésité non plus à dénoncer les exactions du régime de Vichy, induisant l'idée que finalement son client n'était pas plus criminel que d'autres.
Dans le débat sur le mariage pour tous, les défenseurs du projet ont souvent argué que l'homoparentalité était préférable pour l'enfant à une parentèle hétérosexuelle où discorde, divorce et violence étaient quotidiennes. Ce qui sous-entend que l'homoparentalité est acceptable à ce titre.
Ces exemples ignorent respectivement l'émission massive de gaz à effet de serre, le respect de la vie dans toutes les religions, la non-violence comme mode d'action, la stabilité qu'apporte tant de foyers hétérosexuels.
Or, dans un pays doté d'une justice, la loi fixe une limite à l'acceptable, plafond au delà duquel il y a faute.
Cette ligne de défense du « pire ailleurs ou avant » sous-entend que le fait jugé n'atteint pas un niveau tel qu'il devient répréhensible de façon indiscutable. La loi apparaît alors non pas comme un plafond, mais au contraire comme le plancher d'un deuxième étage, dont le plafond est inconnu, puisque le pire renvoie à l'infini.
Il y a donc dans la comparaison avec des références qui sont au sens propre 'hors-la-loi', un mode de normalisation où l'homme s'acquitte de ses propres horreurs par le biais d'une bonne conscience bon marché. Ce processus sous-tend aussi le renoncement à une forme de progrès, car s'accorder qu'on ne fait pas pire revient à dire qu'on ne fait pas mieux. De là à l'inscrire dans l'inconscient collectif, il n'y a qu'un pas à franchir : danger.
Dans une classe, on élève difficilement le niveau quand la référence donnée, au lieu d'être le meilleur, se contente du pire.
34 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON