« La conjuration des imbéciles » : L’UE et le PNR
J’avoue avoir beaucoup hésité avant d'utiliser, comme intitulé de ce billet le titre de l'un de mes romans préférés, La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Mes hésitations se sont levées quand je me suis souvenu qu’il fait référence à une citation de Swift, mise en épigraphe, et dont j’ai souvent observé la pertinence : « Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui. ».
En dépit des récents événements, qui ne sont d‘ailleurs sans doute que les prémices d'autres attentats plus ravageurs encore, le projet de PNR se heurte à l’opposition de plusieurs groupes de députés européens, regroupés en une « ligue des imbéciles » qui va des écologistes et de certains socialistes réputés « frondeurs » à la « gauche radicale » en passant par les « libéraux ».
Commençons toutefois par le commencement ; qu'est-ce donc au juste que ce « PNR » ? Le « Passenger Name Record » (PNR) est un projet de fichier rassemblant les données personnelles des voyageurs aériens des vols au départ ou à destination de l’Europe. Il pourrait contribuer à une traçabilité des passagers ainsi recensés, en particulier dans le cadre de la lutte actuelle contre le terrorisme.
Les indications d’un tel fichier PNR pourraient en effet être croisées, avant à l'entrée sur le territoire européen, avec celles que nous offrent les bases de données sur des individus, réputés ou présumés dangereux, ayant voyagé, récemment ou voyageant fréquemment, en provenance ou à destination de destinations réputées sensibles. Naturellement, toutes ces données demeureraient confidentielles et seul un nombre limité de services habilités pourraient avoir accès à ces fichiers comportant les noms des passagers et des indications qui les concernent.
La directive européenne sur le PNR date déjà de 2011 ! La commission des libertés civiles du Parlement européen a donné son feu vert le 10 décembre à une énième version du projet, bloqué depuis lors par un certain nombre d'eurodéputés appartenant aux formations mentionnées ci-dessus qui, par principe, réclament des garanties, déjà existantes, sur le traitement des données personnelles qui seraient ainsi collectées.
Le texte a donc été rejeté en 2013 par la Commission des libertés civiles. En décembre, les Etats-membres, dans leur désir de retarder le plus possible ce texte, ont encore repoussé de six mois son éventuelle adoption, au prétexte qu'on trouvait trop longue la période pendant laquelle pouvaient être conservées les données
Le projet de PNR a, tout de même, été relancé au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Sous la pression de la France, la directive européenne a finalement été adoptée en décembre 2015 par la Commission des libertés civiles du Parlement européen. Reste toutefois encore un obstacle à passer : le vote en session plénière du Parlement, qui a été retardé à avril ou mai 2016. Le vote du texte a encore été retardé ces derniers jours :la ligue des socialistes, des libéraux et des Verts a empêché son inscription à l'ordre du jour du Parlement au prétexte qu'il puisse être adopté en même temps qu'un autre projet de directive sur la protection des données. Le rapporteur du texte au Parlement européen, T. Kirkhope, a indiqué le 3 mars que le PNR ne pourrait, au mieux, faire l'objet d'un vote en plénière qu’en avril ou mai 2016.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001, les Etats Unis collectent déjà, eux, depuis 2003, toutes les informations personnelles des passagers aériens : nom et coordonnées, dates et itinéraire du voyage, moyens de paiement, bagages, y compris même … le menu éventuellement réservé à bord. Ces mesures ont été prises à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Elles ont permis de détecter un tiers des terroristes potentiels, identifiés comme tels par les Etats-Unis, en 2009.
En dépit de la stupidité de l'attitude que je dénonce ici, je ne pensais pas consacrer un billet au PNR, mais le hasard a voulu que ce mercredi 23 mars 2016, j'entende, sur France Infos, le député européen Yannick Jadot (EELV) expliquer sans rire que : « Ce n'est pas simplement le Parlement européen dans sa majorité qui s'est opposé à ce projet-là. C'est après que la Cour européenne de justice ait dit que ce projet contrevenait à la protection de la vie privée parce qu'il collecte un nombre d'informations personnelles considérables ». Ajoutant même que « Le PNR nous coûterait un demi-milliard d'euros dans sa mise en œuvre » !
Il a eu toutefois le bon goût de ne pas ajouter que ces millions seraient mieux employés à augmenter les indemnités et les prébendes, déjà royales, des has-beens qui peuplent le Parlement européen. Vu les circonstances, on peut regretter que l’eurodéputé EELV Yannick Jadot n’ait pas pris le métro bruxellois hier pour s’y rendre (s’il y est allé !), ne serait-ce que pour être confronté de plus près aux menaces terroristes qu’il refuse absolument de voir !
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