La consigne
Le verre est dans l'usufruit.
Qui a eu le bonheur de visiter l'Île de la Réunion sait à quel point le ramassage d'une bouteille vide est une institution. Gare à l'estivant qui s'aventurerait à vouloir mettre sa cannette de Dodo dans un conteneur ! Il se fera houspiller non pas par les mouettes mais par les passants qui le prieront gentiment de laisser le cadavre là où il lui a donné la mort …
Une vaste collecte est à l'œuvre parmi ceux qui trouvent dans ce petit ramassage de quoi arrondir les fins de mois. Chaque bouteille est vite récupérée afin d'être réinjectée dans ce cercle vertueux. Point de verres cassés sur les plages ni dans les rues, chacun apporte sa bière à l'édifice de la préservation d'une nature chatoyante.
En métropole il en va très différemment. Les conteneurs à verres supposent de faire un effort pour les buveurs intempestifs. Ils préfèrent abandonner leurs reliefs sur le lieu du crime quitte à les briser pour étancher leur soif d'incivilité au son débridé de l’inévitable sono tonitruante qui accompagne leurs agapes nocturnes.
Pour les bons citoyens, les susdits réceptacles à verres tendent à disparaître de la ville tant ils causent bien des désagréments à leurs riverains. Il est vrai que le bruit de verre concassé n'a rien de plaisant surtout quand c'est la nuit que certains vident leurs caisses. Il est des maisons qui ne cessent d'être vendues à cause de ce désagrément urbain.
Il eut été si simple de ne jamais supprimer les consignes d'antan. Si par malheur des malotrus, des gougnafiers, des jean-foutre ou des morveux laissaient alors sur place leurs contenants, il y avait toujours des gamins en quête de quelques pièces pour acheter des bonbons. Mais ceci supposait qu'un commerçant fasse la transaction ce qui fut possible tant que la grande distribution ne les raya pas de la carte.
C'est alors que ces grands groupes influents qui depuis font la pluie, le beau temps, la valse des prix et les pots de vin, exigèrent de nos parlementaires si attentifs à leurs requêtes de supprimer les consignes. Vous connaissez la suite, la nature véritable décharge à ciel ouvert pour les bouteilles vides et autres cannettes en fer puis en plastique dont ces maudits vendeurs inondèrent leurs rayons. Tant que l'argent entre à flot dans les caisses, les cadavres peuvent bien joncher les fossés, les rues, les quais, les flots.
Un mouvement inverse semble se dessiner avec des associations qui courageusement tentent de revenir à la bonne vieille consigne. Il serait nécessaire pour cela que la loi se mêle de la partie et impose enfin un conditionnement des boissons unique et en verre et contre tous. Mais ceci exige conviction et courage et prive sans doute nos chers élus de quelques enveloppes soigneusement glissées sur le pupitre ou dans l'écharpe.
Le retour de la consigne est un impératif que nous devons exiger quitte à venir déposer devant les grandes enseignes nos bouteilles vides afin de faire barrage. Il ne faut pas être dupe, l'intérêt supérieur dans ce pays s'exprime le plus souvent par la corruption, la collusion, la convergence des intérêts. Nombre de nos ronds-points dans la périphérie, là où les centres commerciaux pullulent joyeusement ont été financés par les corrupteurs pour obtenir des autorisations fort commodes.
Le retour à la consigne serait un premier pas vers la transparence dans ce système mafieux. On peut rêver et soutenir la résurrection de Duralex qui pourrait ainsi se lancer dans la fabrication de bouteilles solides pour éviter que les petits cons ne nous les brisent. Je lève mon verre à ce bel espoir et je vous laisse la consigne de ne jamais jeter nos verres n'importe où.
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