La culture des avantages acquis empêche-t-elle de voir le monde tel qu’il est ?
La France est un beau pays que de nombreux habitants de la planète nous envie mais si nous n’y prenons gare ce cadre avantageux, plaisant et de qualité pourrait tourner au musée déclassé des traditions du XIX ème siècle (et de la première moitié du XX ème).
Parmi les incongruités hexagonales qui désormais plombent le pays, son économie, son modèle social comme la vie de ses habitants, la culture des avantages acquis est un redoutable piège.
Les avantages acquis sont nés bien avant la révolution industrielle. Ils datent du Moyen âge quand les guildes, Confréries et Corporations organisaient l’activité en se protégeant et obtenaient privilèges ou passes droits. Les rois de France ne pouvant (déjà) assumer les dépenses du Royaume (nous avons été en faillite à plusieurs reprises au cours des temps récents) ils accordent des prébendes et des privilèges à certaines corporations contre de la monnaie sonnante et trébuchante.
Mais lisons ce que nous dit wikipedia sur les privilèges en France :
« Dans la France d'Ancien Régime, le privilège était droit qui ne s'appliquait qu'aux membres d'un groupe défini, mais en raison de l'existence des privilèges provinciaux et urbains, on peut considérer que tous les habitants du royaume étaient couverts par au moins un privilège. Toute identité (géographique, professionnelle, sociale…) s'illustrait d'ailleurs par le droit d'être jugé selon les privilèges de ce groupe. L'exclusion du groupe se caractérisait au contraire par l'incapacité et l'absence de droit : celui qui n'appartenait à aucun groupe ne disposait d'aucun droit. …
Si le privilège est fortement valorisé au Moyen Âge et au début de l'époque moderne, le mot prend avec les Lumières un sens fortement péjoratif. Il devient l'image de l'état de fait, de l'inégalité voire de l'abus, contre l'universalité de la loi et de la raison……
On voit bien que la culture des avantages acquis est la continuation à peine modernisée des privilèges de l’Ancien Régime, accordés à un groupe de travail et qui les distingue des autres. Ces avantages octroyés à certains groupes furent nombreux durant la période d’après guerre quand la reconstruction et les 30 glorieuses permettaient des audaces sociales et économiques. Il s'agissait souvent de promesses qu’on savait intenables dans le temps mais faisant plaisir à ceux qui les entendaient sur le moment (les 35 heures, la cinquième semaine de congés payés, la retraite à 60 ans..)
Cette « culture » des avantages acquis est aujourd’hui doublement dangereuse pour notre pays.
- Elle contribue à plomber les comptes financiers et sociaux du pays et devient hors de prix par ces temps de récession économique durable. Quand par exemple les pouvoirs publics ont accordé la retraite à 55 ans pour les femmes qui avaient élevé 3 enfants, ils ont fait un cadeau empoisonné au pays. En effet ce genre d’avantage ou de cadeau ne coûte rien sur le moment à accorder, c’est une traite sur l’avenir en se disant que ce que l’on ne peut accorder aujourd’hui (de meilleures conditions de travail ou de rémunération) nos enfants le paieront plus tard (ou en tout cas on leur aura passé la patate chaude).
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Elle évite adaptation, flexibilité, intelligence situationnelle. Ce qui a permis de tout temps aux hommes de progresser c’est leur faculté d’adaptation. Dans un environnement qui change celui qui ne s’adapte pas va vers une mort (économique ou sociale) certaine.
Les organisations (pas seulement les entreprises) doivent en permanence s’adapter et changer car les marchés comme les conditions économiques sont en perpétuel mouvement. Si face à ce changement, qui est l’essence même de la vie, on oppose une culture de l’immobilisme (ou du changement dans un seul sens : le toujours plus) les organisations ne peuvent s’adapter et meurt. C’est ainsi que l’URSS se glaça avant de s’effondrer dans les années 90.
Si les hommes de cavernes s’étaient accrochés à certains privilèges (j’ai le droit de rester dans la caverne parce je fais partie d’une certaine classe sociale) ils seraient encore dans leur caverne, vêtus de peau de bêtes et ne connaissant pas l’usage du feu.
Si un enfant n’est pas confronté à la réalité de la vie avec ses joies (la réussite, les gains divers et variés..) et ses peines (le deuil, la perte, l’échec) il ne sera en rien capable d’affronter la vie réelle quand il quittera à l’âge adulte le cocon familial.
Un travailleur ultra protégé derrière son statut (de fonctionnaire ou de salarié d’une entreprise publique par exemple) ne peut développer des qualités d’initiative, d’adaptation, de perception de la réalité. Il est enfermé dans une bulle qui certes semble le protéger mais l’empêche aussi de comprendre le monde tel qu’il est (et il peut beaucoup changer en l’espace de seulement 5 ou 10 ans) et de mettre en œuvre ses facultés d’adaptation.
Dans la société industrielle, qui a baigné tout notre environnement depuis 150 ans, l’Etat avait tous les pouvoirs et les capacités, il était omnipotent et providentiel. Il savait ce dont avaient besoin les habitants du pays, il pouvait les soigner, les protéger, les éduquer, leur construire un cadre de qualité. Aujourd’hui l’Etat a perdu ses titres d’Etat providentiel. Il en a gardé les attributs et chacun fait appel à lui en cas de difficulté (la fameuse solidarité nationale) mais la plupart des français ont compris qu’il s’agissait désormais de communication (on fait comme si).
Dans une planète de 7 milliards (bientôt 10 milliards) d’habitants où tous les systèmes économiques et sociaux sont en concurrence via les télécommunications et les réseaux, surune planète dont chacun comprend que les ressources sont limitées et de plus en plus rares, sur cette planète donc la culture des avantages acquis n’a pas la moindre chance de résister aux ourtages du temps et d'une humanité qui a faim et travaille 12 h par jour pour survivre.
Aujourd’hui 2 milliards d’humains sont très pauvres, 1 milliard sont misérables vivant avec moins de 1 $ par jour, dormant dehors et prêt à tout (y compris à travailler 15 heures par jour). Pour eux la France, ses traditions, ses lumières ne représentent rien, ils cherchent à remplir un peu plus leur estomac, à avoir un toit pour la nuit et la petite loupiote française n'impressionne pas des pays comme l'Inde ou la Chine avec leur milliard dépassés d'habitants et des problèmes autrement plus vitaux que nos avantages acquis (les indiens vont tenter prochainement de mieux nourrir 800 milions d'habitants dans leur pays).
Notre pays ne pourra plus longtemps jouer au musée et refuge des héritiers du siècle des lumières, des rentiers du social de l'ère industrielle, des portes paroles dépassés des ex-damnés de la terre.
Nous courrons désormais le risque d’une marginalisation et d’un déclassement durable non seulement au niveau planétaire mais même au sein d’une Europe entreprenante et courageuse où nous faisons figure de boulet, de handicapés du social.
Il ne s’agit pas de prétendre que tout est perdu à cause du social en France mais simplement de prendre conscience qu’aucun pays ne peut développer durablement son social (qui est indispensable) à crédit.
Comme l’a écrit en 2010 Jacques Attali, la dette en France n’est pas le résultat d’investissements d’avenir mais simplement d’une absence de consensus politique et social. D’accords sur rien les tribus gauloises ont accepté de s’endetter pour l’éternité afin de ne rien changer. Malheureusement pour nous l’éternité ne durera qu’un temps, celui où la finance internationale nous prêtera de quoi entretenir ce mode de vie.
Les avantages acquis ne peuvent perdurer dans notre pays, le statut de fonctionnaire devient un non sens qui met en péril non seulement le pays (car la fonction publique sert de plus en plus mal le pays) mais qui plombe aussi la vie des fonctionnaires conscients que la multitude de règlements et de contrôle les empêchent de jouer leur partition dans la société de la connaissance et de l’information.
La France et les Français iront mieux quand ils se libéreront de leurs entraves idéologiques et sociales et qu’ils comprendront que dans le monde qui se crée depuis une vingtaine d’années aucune situation ou avantages ne sera plus acquis et que le travail et l’activité se construisent tous les jours en étant capables de s’adapter à un monde qui changera toujours et ira de plus en plus vite (même si ce n’est pas toujours en mieux).
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