La déchéance de nationalité en cas d’atteinte à la vie d’un dépositaire de l’autorité publique est-elle constitutionnelle ?
L’objectif des quelques lignes qui vont suivre n’est pas d’imposer une vérité mais de développer un raisonnement laissé à la libre appréciation de ceux qui le liront.
Le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité est actuellement en cours de discussion à l’Assemblée nationale.
Arrêtons nous un instant sur l’article 3 bis, instauré par la Commission des lois à l’initiative du Gouvernement, qui a pour but d’étendre la possibilité de déchoir de sa nationalité un individu qui l’aurait acquise depuis moins de dix ans et qui serait condamné pour meurtre ou violences ayant entraîné la mort dans intention de la donner commis contre des dépositaires de l’autorité publique.
Une disposition adoptée par les députés à une très courte majorité après un très long débat au cours duquel il a été souvent répété que le juge constitutionnel serait saisi.
Eric Besson considère que l’ensemble de son projet est en accord avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel ; ses opposants soulèvent quant à eux quelques soucis de conformité, en particulier concernant la mesure controversée en question ; ceux qui soutiennent l’initiative du ministre répondent aux seconds de ne pas se substituer trop vite aux Sages.
Il est d’ailleurs intéressant de noter au passage que l’argument n’est soulevé qu’à l’encontre des personnes qui, parfois en s’appuyant sur un raisonnement, qualifie la disposition envisagée d’anticonstitutionnelle ; cela semble moins dérangeant quand c’est un membre du Gouvernement qui pose pour une vérité que le texte en entier est conforme à la norme supérieure.
La Constitution de la Ve République, si nous mettons de côté le contenu de son préambule, commence par ces quelques mots : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion."
Voici le principal argument des opposants au texte ; deux éléments sont souvent mis en avant :
- d’une part que la République est indivisible
- d’autre part que la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens notamment sans distinction d’origine
Il serait tentant de s’arrêter là mais il faut cependant faire remarquer que le principe d’égalité n’est pas absolu et qu’il existe diverses illustrations qui mettent en lumière qu’une différence de situation fondée sur des critères objectifs justifie une différence de traitement ou dans un but d’intérêt général.
Si on écoute ce qui est dit par Eric Besson et ceux qui suivent plus ou moins fidèlement son argumentation, la modification proposée serait forcément conforme à la jurisprudence des juges constitutionnels puisque ces derniers auraient validé le principe de la déchéance de nationalité dans sa décision du 16 juillet 1996.
Mais, une lecture attentive permet de remettre en cause cette vérité préétablie ou, au moins, de s’interroger sur cette affirmation.
Plusieurs raisons peuvent être invoquées.
Tout d’abord, les Sages n’étaient nullement saisis d’un texte portant directement sur la déchéance de nationalité mais sur une loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.
Et c’est à l’occasion de ce contrôle qu’ils ont eu à se prononcer entre autre sur l’article 12 de cette loi qui avait pour objet de permettre le prononcé de la déchéance de nationalité à l’encontre de personnes ayant acquis la qualité de français depuis moins de 10 ans qui ont été condamnées pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme.
La question ne portait donc que sur ce point précis.
Il semble alors difficile de voir dans la réponse du Conseil constitutionnel une solution concernant le principe même de la déchéance de la nationalité ; l’analyse détaillée de celle-ci le démontre manifestement.
Les députés auteurs de cette saisine invoquaient la violation du principe d’égalité devant la loi ainsi que la contrariété au principe de nécessité des peines en soutenant d’une part que le fait que l’auteur de l’acte de terrorisme ait acquis la nationalité française par naturalisation ou que celle-ci lui ait été attribuée dès sa naissance ne justifie pas une différence de traitement au regard de la loi ; et, d’autre part, que cette disposition assimilable à une sanction n’est ni nécessaire ni utile à la protection de l’ordre public.
Des griefs quasi identiques à ceux qui sont faits au texte encore actuellement en discussion.
De ce fait, même si certains députés considèrent que la jurisprudence peut toujours changer, il parait très intéressant de s’arrêter un instant dans le détail sur la réponse qui avait alors été donnée.
Il est dans un premier temps rappelé de manière générale l’interprétation qui doit être faite de l’article 1e de la Constitution : "le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que dans l’un et l’autre cas la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit ;"
Vient ensuite le moment d’appliquer la théorie au cas proposé.
Les Sages affirment sans surprise que "les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation" mais que "le législateur a pu, compte tenu de l’objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l’autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l’ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d’égalité."
Autrement dit, c’est l’objectif de lutte contre le terrorisme qui permet que la différence de traitement effectuée selon le moyen d’acquisition de la nationalité.
C’est un point qui peut être discuté mais qui se justifie notamment en raison de la nature particulière du terrorisme.
En effet, dès les premières heures de cours de droit pénal, il est dit que les infractions de terrorisme, telles qu’elles sont définies à l’article 421-1 du code pénal, font partie de celles qui dérogent sur de nombreux points au droit commun (aggravation des peines, allongement du délai de prescription,...)
L’étude de la procédure pénale ne fait confirmer l’impression avec en particulier la découverte de la centralisation des affaires au sein de pôles ou l’existence d’une procédure exceptionnelle à quasiment tous les stades de celle-ci.
Même si, comme le font remarquer quelques députés,les atteintes à la vie de certains dépositaires de l’autorité publique pourrait facilement être assimilé à du terrorisme, les textes ne permettent pas à mon sens de pouvoir l’affirmer.
Quant est il concrètement de la nouveauté introduite par le texte au regard du premier article de la Constitution ?
Le raisonnement suivi pour le terrorisme peut-il être entièrement appliqué ?
L’article 3 bis du projet de loi prévoit une possible déchéance de nationalité en cas de condamnation "pour un acte qualifié de crime prévu et réprimé par le 4° des articles 221-4 et 222-8 du code pénal" ;
c’est à dire en cas d’atteinte commise "sur un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, un militaire de la gendarmerie nationale, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, un sapeur-pompier professionnel ou volontaire, un gardien assermenté d’immeubles ou de groupes d’immeubles ou un agent exerçant pour le compte d’un bailleur des fonctions de gardiennage ou de surveillance des immeubles à usage d’habitation en application de l’article L. 127-1 du code de la construction et de l’habitation, dans l’exercice ou du fait de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur."
Notons au passage que l’on est loin de la simple référence aux policiers comme pourrait le laisser croire la manière dont est menée la discussion en règle générale, sur les bancs de l’Assemblée nationale en particulier.
Remarquons ensuite que pour être dans l’hypothèse concernée, il faut que des faits entraînant volontairement la mort soient commis à l’encontre d’une victime en raison de l’exercice d’une fonction ou d’un qualité particulière de cette dernière.
L’acte de terrorisme existe indépendamment de la victime dès lors qu’il est réalisé "intentionnellement dans le but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur."
Si la déchéance de la nationalité peut être admise pour un auteur de faits qualifiés de terrorisme c’est avant tout parce qu’il s’agit de crimes ou délits contre la nation, l’Etat et la paix publique, il ne semble pas en être de même dans l’hypothèse d’une atteinte à la vie commise à l’encontre de l’une des personnes listées ; c’est du moins ce que l’étude des textes laisse penser.
Constatons à ce sujet la diversité des personnes susceptibles d’être victime ; allant du juge ou gardien d’immeuble en passant par la très imprécise formule "toute autre personne dépositaire de l’autorité publique" ; un point qui vient renforçait la différence à faire avec le terrorisme.
De plus, en 1996, le Conseil constitutionnel a également dit quelques mots en s’intéressant à la conformité des dispositions au principe de stricte nécessité des peines : "eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme, cette sanction a pu être prévue sans méconnaître les exigences de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ;"
Là encore, il serait prématuré de penser que la nouvelle disposition, en suivant le même raisonnement, serait automatiquement validé par les Sages ; bien au contraire.
Pour conclure en laissant une porte de sortie vers une autre discussion, je dirais que non seulement la conformité à la Constitution de la déchéance de nationalité en tant que telle n’a jamais été établie mais surtout qu’il est permis de de se demander qu’elle serait l’issue d’une question prioritaire de constitutionnalité posée sur l’un des cas permettant actuellement de prononcer une telle mesure.
L’hypothèse motivée par la soustraction aux obligations résultant du code du service national ne serait-elle pas considérée comme disproportionnée ?
De la même façon, le fait de s’être "livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de français et préjudiciables aux intérêts de la France" est, me semble-t-il, rédigé de manière bien trop imprécise ; ce qui peut permet de s’interroger aussi sur son devenir en cas de passage devant le Conseil constitutionnel...
Cet article est initialement publié là : http://0z.fr/MGkmL
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