La fin des Jacobins ?
Réunis en congrès à Dijon le 15 décembre, les présidents de région ont instamment demandé un nouveau transfert de responsabilité de la part de l’Etat, notamment en matière économique. Pour Alain Rousset, président de l’Association des régions de France (ARF), « les régions font bouger la France mais la France reste, hélas, marquée par l’empreinte du jacobinisme », et le président de l’ARF d’appeler de ses voeux une nouvelle décentralisation qui doit s’appeler régionalisation. Au même moment deux députés, Augustin Bonrepaux (PS) et Marc Laffineur (UMP), présentent un rapport sur les conséquences des dernières décentralisations qui souligne notamment que la décentralisation a encore renforcé les déséquilibres entre départements. Si l’Etat « couvre » assez globalement les charges transférées, les prestations sociales, comme le RMI et l’APA grèvent fortement les budgets des départements. Et pour les plus pauvres, ce sont les contribuables locaux qui doivent payer la solidarité nationale.
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On l’aura compris, en ce début de XXIe siècle, la France s’interroge sur son organisation administrative. Le jacobinisme, la centralisation des pouvoirs, la place de l’Etat dans notre société sont aujourd’hui fortement remis en cause. Le citoyen lambda peut légitimement s’interroger. Que recouvrent réellement ces demandes de régionalisation ? Plus de démocratie locale ou plus de pouvoirs à de futurs potentats qui se rêvent en grands féodaux ? Une meilleure gestion des deniers publics ou une explosion fiscale ? Le débat ne manque pas d’intérêt.
La question est d’autant plus d’actualité que le choix de notre prochain chef d’Etat se rapproche. Pour sa part, la présidente de la région Poitou-Charentes et porte-parole de l’ARF, Ségolène Royal, n’a jamais caché son "désir" d’une nouvelle phase de la décentralisation, permettant de "réconcilier l’Etat avec le fait régional". Elle a également proposé que les expériences réussies des régions soient généralisées, évitant ainsi "une nouvelle loi théorique". Quant aux futurs transferts de compétences de l’Etat vers les régions, la candidate socialiste a suggéré que les régions disposent d’un droit de veto.
De son côté, le président de l’ARF a demandé à ce que les régions retrouvent une véritable autonomie fiscale et disposent de recettes fiscales cohérentes. Alain Rousset a proposé que les régions puissent bénéficier d’une taxe professionnelle rénové, d’un impôt sur la valeur ajoutée, d’un impôt sur les communications téléphoniques, d’un impôt sur le foncier d’entreprise ou encore d’une part de l’impôt sur les sociétés. Beaucoup d’impôts donc qui viendraient s’ajouter à la possibilité offerte aux régions par la loi Raffarin d’août 2004 d’augmenter le prix de l’essence à compter du premier janvier 2007. Pas très séduisant pour les citoyens exaspérés de se voir promettre des baisses d’impôt sur le revenu quand, au même moment, les impôts locaux explosent.
Selon les tenants de la régionalisation, le centralisme « à la française » ne marche plus. Ils reprochent à Etat de se mêler de tout, de vouloir être tout à la fois arbitre et opérateur de toutes les politiques publiques. Pour eux, la solution est aussi simple que radicale, "il faut faire sauter le verrou jacobin pour débloquer la société", s’inspirant dans leur démarche de l’exemple de l’Europe avec les régions.
Faudrait-il au nom de cette Europe-là, sanctionnée par le dernier référendum, "pasteuriser" notre organisation administrative ou, à l’opposé, ne faudrait-il pas plus d’Etat ? Que celui-ci dysfonctionne, c’est possible, mais faut-il le sacrifier pour autant ? Quel décalage entre les aspirations des exécutifs régionaux et celle de la grande masse des citoyens ? Le référendum sur la constitution européenne portait en lui un appel à plus, beaucoup plus d’Etat. Un Etat fort et juste redistributeur, protecteur des faibles et du citoyen face aux dérives de la société et à la violence du monde. Ce serait une erreur que de penser que la décentralisation dans sa version actuelle est un succès démocratique. Certes, la fonction de maire est plébiscitée mais, les autres ? Force est de constater l’absence de contre-pouvoirs locaux, l’absence de contrôle efficace et redouté tout court.
Alors que la Belgique s’interroge sur son unité, quelles conséquences pourrait avoir une régionalisation sur la nation française ? Où seraient inscrites les solidarités entre territoires et entre hommes ? Les différences sont déjà flagrantes entres communes selon qu’elles ont la chance ou pas de disposer d’un tissu industriel générateur de recettes. La péréquation des richesses, l’aménagement du territoire ne peuvent venir que de l’Etat. Comme toujours, ceux qui veulent plus d’autonomie, d’indépendance, sont ceux qui disposent de moyens financiers. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, ils ne veulent plus partager avec leurs voisins moins bien lotis. Une utilisation rationnelle des deniers publics, ce n’est pas de faire des réalisations pharaoniques ou mégalomaniaques dans certaines collectivités et rien dans les autres, c’est bien de garantir un accès à un minimum de services quel que soit son lieu d’habitation.
L’exemple des départements est parlant. Un quart d’entre eux ne peut faire face à ses compétences obligatoires, faute de moyens. Aujourd’hui nos vieux départements sont inégaux devant le RMI et l’APA dont les dépenses sont vouées à s’envoler. Pour ces départements, la seule solution, c’est la solidarité nationale, c’est l’Etat. Pour d’autres, c’est de supprimer cet échelon administratif et de concentrer leurs prérogatives à un autre niveau. Ne soyons pas obtus ; avant de vouloir mettre fin à l’Etat jacobin, tentons de le rénover et de lui donner un second souffle. Après, seulement, si l’expérience n’est pas concluante, il sera temps de réfléchir à une autre organisation.
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